Le Drame de Nanterre - par Michel Misset

LE DRAME DE NANTERRE: NE NOUS TROMPONS PAS DE CIBLE!
Par Michel Misset, vice-président de l'association "Schizo...Oui!".
Faire face à la schizophrénie.
La douleur des familles et des amis des victimes de la tuerie de Nanterre a suscité une émotion d'autant plus vive que nous savons que ce drame n'était pas inéluctable.

Il est incontestable que les crises de délire peuvent entraîner une minorité de malades à commettre des actes meurtriers, mais cette situation est loin d'être une généralité et il est clairement établi que la folie est à l'origine de moins de crimes que ceux des gens indemnes de maladies mentales. De nombreuses personnes psychotiques dans la cité sont tout à fait dignes de notre affection.

Des enquêtes sur la possession d'armes par Richard Durn, sur les circonstances de l'agression et du suicide ne permettront pas de cerner pertinemment les causes et les conditions de ce drame. La seule conduite utile consisterait à s'interroger sur les raisons et les mécanismes des carences du système de soins en santé mentale. Nous avons demandé que soit diligentée une étude sur la prise en charge par la médecine de Richard Durn, un homme visiblement en grande souffrance, mais soigné de façon apparemment inappropriée. Par comparaison avec d'autres cas récents de meurtres commis par des malades mentaux, cette enquête permettrait de mieux comprendre ce phénomène exceptionnel et d'orienter vers des prises en charge plus précoces et plus efficaces. C'est la seule façon de permettre à ces souffrances désormais irrémédiables d'être porteuses de quelque espoir.

Depuis sa création en 1998, notre association (1) dénonce les difficultés d'accès aux soins des malades psychotiques en crise et le défaut de suivi dont ils sont victimes. Elle s'élève aussi contre l'état d'ignorance de la société sur la réalité de ces maladies pourtant bien définies et souvent graves et handicapantes.

Lorsque des actes de violence surviennent, parfois en dépit de toutes les précautions, l'état mental connu du meurtrier ne doit pas être prétexte à éviter le procès mais dans tous les cas il doit avoir lieu. Il faut pouvoir comprendre et faire connaître au grand public la maladie. La question de la reconnaissance du malade et de son suivi est déterminante pour situer la responsabilité du meurtrier. Un psychotique ne reconnaît pas sa maladie, c'est une caractéristique ignorée du grand public. S'il s'avérait qu'une négligence, de la part de qui que ce soit, est à l'origine d'un manque de soins, lui-même cause de la crise psychotique et de ses conséquences graves, les responsables devraient être mis en cause.

Notre pensée va aussi vers la maman de Richard Durn, si longtemps restée seule, abandonnée avec son fils malade, et dont les avertissements et les appels à l'aide n'ont pas été entendus. A travers elle, nous voulons rendre hommage à ces parents et ces conjoints qui, dans notre pays, assurent souvent seuls, sans aide ni conseils, la vie quotidienne de plusieurs centaines de milliers de personnes souffrant de troubles mentaux graves.
(1) "SCHIZO ?...OUI !" 17, allée Louise Labé, F-75019 Paris
reçu le 14 avril , publié le 4 mai 2002

L'ignorance générale qui règne, en Belgique, à propos des maladies mentales psychotiques, tant chez nos politiques que dans le grand public, ne le cède en rien à celle que dénoncent nos amis français. Avec eux, on ne rappellera jamais assez - les statistiques le prouvent - qu'il n'y a pas plus de criminels ou de meurtriers parmi les malades mentaux psychotiques chroniques que dans la population des gens dits "sains d'esprit" et bien-portants. Mais une certaine fascination pour le morbide semble ajouter de l'attrait, du "piment", une plus-value aux articles de presse à sensation relatant les drames pourtant déjà assez pénibles en eux-mêmes.

Attribuer aux "fous" la propension au crime, c'est peut-être aussi une manière pour chacun de se rassurer: de tels actes ne peuvent être le fait que d'une minorité "d'anormaux", pas de gens comme vous ou moi, bien sûr! Et d'aussitôt imaginer de multiples diagnostics psychiatriques tous plus fantaisistes les uns que les autres pour justifier l'horreur.

Chez nous, malheureusement, il arrive que même des psychiatres contribuent à pareille désinformation. Par exemple: en 1997, une sordide affaire défrayait la chronique. De multiples sacs poubelle en plastique, contenant des tronçons de cadavres humains dépecés, avaient été découverts, éparpillés le long des chemins dans la région montoise. Dans la presse et les médias, le responsable de ces crimes était rapidement baptisé du nom de "dépeceur de Mons". Le criminel n'a pas été identifié et, à notre connaissance, en 2002, il court toujours. A l'époque des faits, interviewé à leur sujet par un hebdomadaire belge (TéléMoustique n°19/3718/du 30/04/1997), un psychiatre bien connu de la région liégeoise affirmait du criminel qu'il s'agissait sans doute d'un schizophrène, et fort lucide, de surcroît!
...sans doute pour ne pas faire mentir l'habituelle boutade sur les psys, selon laquelle nombre d'entre eux seraient aussi peu équilibrés mentalement que leurs patients, et que ce serait, précisément, la vraie raison pour laquelle ils auraient choisi leur métier...

Tant que, dans leur majorité, les psychiatres n'auront pas le courage (ou l'honnêteté intellectuelle) d'assumer ouvertement leurs légitimes ignorances et impuissances, ni par conséquent le souci d'en informer correctement les profanes et responsables politiques, on continuera de discriminer, stigmatiser, culpabiliser, désigner des boucs émissaires, etc., etc. à tort et à travers. Les malades mentaux psychotiques chroniques ont toujours été des boucs émissaires particulièrement "privilégiés" parce qu'incapables de se défendre. Pourtant, personne n'a rien à gagner à perpétuer l'ignorance.


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