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Les ABUS DE LANGAGE entraînent d'abord l'AMBIGUITÉ et les INCOHÉRENCES,
les INCONSÉQUENCES ensuite,
et enfin
les ABUS DE CONFIANCE

"We each populate Pluto's Republic according to our own prejudices: for me, its most prominent citizens are IQ psychologists, and all psychotherapists who apply psychotherapy to the victims of organic diseases of the nervous system."
Peter Medawar (Prix Nobel de médecine 1960): Pluto's Republic, p. 1.
Oxford University Press, Oxford - New York 1983, ISBN 0-19-217726-5
(Chacun peuple la "République de Pluton" en accord avec ses préjugés personnels: ainsi, pour moi, ses citoyens les plus importants sont les psychologues du Q.I. et les psychothérapeutes qui ont recours à la psychothérapie pour traiter les victimes d'affections organiques du système nerveux.) (la "République de Pluton": contre-exemple péjoratif de "la République" de Platon. ndlr)

Récemment (v. confusion²), Monsieur Rudy Demotte, notre ministre fédéral de la Santé, des Affaires Sociales, etc., etc., devant un parterre de "professionnels de la santé mentale" à qui il présentait son "avant-projet" de loi visant à règlementer la profession de psychothérapeute, a déclaré du haut de son autorité ministérielle:

"Depuis quelques années, on sait, en médecine contemporaine, qu'il est possible d'être malade sans souffrir. [On sait que] Par contre, il est tout autant possible de souffrir sans être malade ou, plus précisément, de souffrir d'autre chose que d'une maladie. La solitude, les échecs répétés, la culpabilité, l'angoisse... entraîneront souvent une souffrance psychique plus ou moins aiguë, envahissante, socialement invalidante."

De toutes parts et depuis pas mal de temps, on nous parle abondamment de la "souffrance psychique", toutefois sans jamais nous dire en quoi elle consiste, sans nous expliquer ce qu'elle a de particulier ou de spécifique, en se bornant simplement, en la nommant, à évoquer le spectre de cette chose nébuleuse, spectre d'autant plus menaçant et inquiétant que la chose est moins définissable, donc moins définie. Cette surprenante discrétion portant sur un sujet pourtant si souvent abordé peut laisser supposer que tout le monde devrait, d'avance, savoir ce qu'est cette souffrance "psychique" (même ceux qui pensent ne pas l'éprouver et n'en avoir jamais souffert), sans qu'on ait jamais jugé nécessaire ni utile de l'expliciter. Tout ce qu'on daigne nous suggérer à son propos, c'est qu'elle est distincte de la douleur physique, et certains psys "précisent" encore que "la souffrance psychique n'est pas forcément une maladie" (sic, cf Dossier de Presse de la "Plate-forme Psysm des professions de la santé mentale"). Tout au plus pourrait-on parfois tenter d'imaginer que cette "souffrance psychique" aurait quelque lointaine parenté ou ressemblance avec une banale douleur morale, mais cette dernière dénomination, d'apparence sans doute trop banale en effet, ne semble pas jouir d'une aura suffisamment suggestive ni inquiétante pour avoir droit de cité dans les discours "psys". On suggère habituellement, en y insistant aussi lourdement que possible, que cette "souffrance psychique" particulière constituerait une détérioration de la "santé mentale" (toutefois, tant l'un que l'autre de ces deux concepts très flous n'est jamais qu'une "idée métaphysique" qui ne peut être clairement définie, si bien que quiconque, selon ses désirs, l'opportunité et les circonstances ou encore la mode du moment, peut y mettre et y trouver - ou en exclure - tout ce qu'il veut, ce qui lui plaît - ou déplaît).

Monsieur le Ministre Demotte affirme avoir connaissance d'au moins quelques unes des causes de la "souffrance psychique". En effet, il y fait allusion: ce sont la solitude, les échecs répétés, la culpabilité (mais il reste curieusement muet sur les mystérieuses fautes à l'origine de cette dernière, sans doute les trouve-t-il trop honteuses pour les dévoiler ou, pourrait-on sans doute mieux dire, pour les confesser?), l'angoisse (peut-être du lendemain, de l'avenir incertain pour soi-même, pour ses proches et pour ses enfants, de l'insécurité, du terrorisme annoncé, du chômage qui nous guette, des échéances de dettes auxquelles on ne sait comment on pourra faire face, etc., etc. ?)

Puisque, de l'aveu même de Monsieur le Ministre, les causes de cette "souffrance psychique plus ou moins aiguë" lui seraient connues et peuvent être "autre chose qu'une maladie", comment comprendre qu'on prétende y apporter des apparences de remèdes qui, plutôt que de très logiquement s'attaquer directement à ces causes (bien connues?) pour les éradiquer ou pour au moins en atténuer les effets, se dilueraient à l'infini dans ce que Monsieur le Ministre appelle la "santé mentale" [ce fourre-tout commode de l'indéfinissable]?

Comment comprendre qu'on ne veuille s'attaquer qu'au "tout symptomatique" de cet envahissant "mal-[de]-vivre socialement invalidant " que serait la "souffrance psychique", sans combattre ses "causes profondes" (n'est-ce pas une démarche comparable à celle qui consisterait à coller une rustine toute virtuelle et symbolique à côté du clou négligemment mais délibérément laissé dans le trou du pneu qu'il a crevé)? Pareille attitude est pourtant très voisine de celle depuis longtemps dénoncée par ceux de nos "psys" qui vitupèrent contre ce qu'ils appellent la "techno-médecine". Nos responsables politiques voudraient-ils donc à leur tour inventer et mettre en place un système "de soins" qu'on devrait, par une analogie qui s'impose irrésistiblement, appeler d'un néologisme inspiré du précédent - en quelque sorte son symétrique en miroir - tout aussi péjoratif et dédaigneux, voire "méprisant": les "psycho-thaumaturgies"?

Tout ce qu'on vient d'évoquer ne sert au politique et à certains "professionnels" que de prétexte - ou de justification - mais aussi de diversion! pour règlementer officiellement (par la loi) le titre de psychothérapeute; les psychothérapies, comme leur nom semble l'indiquer, étant censées soigner "les souffrances psychiques". Le souci de nos ministres de la Santé successifs et de l'actuel ministre en exercice se justifiait, paraît-il, d'abord par l'importance accordée par celui-ci à "garantir la sécurité à ceux qui exercent le métier de psychothérapeute de manière honorable et d'écarter les charlatans." (sic, v. Cinq Ans; remarquons en passant que l'intérêt des "souffrants", des vrais malades parmi eux, est ici passé sous silence, il semble ne venir, au mieux, qu'en second dans les préoccupations du ministre, laissant ainsi supposer - à tort ou à raison? - qu'il pourrait n'y occuper, en effet, qu'une place d'importance toute secondaire ou subsidiaire).

En bref, cette fameuse garantie de "sécurité des professionnels" (pas celle des patients!) devrait découler du fait que tous les psychothérapeutes "reconnus officiellement" auraient obtenu leur(s) diplôme(s) après avoir suivi un curriculum d'études publiquement défini, dispensé par des instituts d'enseignement soit universitaires soit supérieurs, agréés et homologués par l'Etat. Les programmes et la durée de ces études, tout comme ceux d'autres études conduisant à diverses professions (entre autres exemples possibles: pour les médecins et professions paramédicales, pharmaciens, avocats, ingénieurs, etc.), devraient être définis officiellement et leur conformité à ces définitions devrait évidemment être vérifiable, par exemple par le ministère de l'Instruction Publique (et/ou celui de la Santé?).

Aussi pouvait-on aisément pressentir que deux grands types de difficultés surgiraient inévitablement, résultant de la volonté du pouvoir politique de légiférer sur les psychothérapies et les qualifications des psychothérapeutes.

La première difficulté du projet était déjà contenue dans le préambule de sa présentation par le ministre, et différentes associations professionnelles de "psys" le disent plus clairement encore: selon eux, la "souffrance psychique" peut être une maladie, mais elle ne l'est pas forcément.
Certains soutiennent, à mon avis assez raisonnablement, que quand on envisage de soigner un malade, mieux vaut, très logiquement, pour le psychothérapeute traitant (et, dirais-je volontiers, sûrement aussi pour le patient), s'adjoindre le concours d'un spécialiste médecin (neurologue, psychiatre) et au moins en consulter un préalablement à tout traitement "psy". Les projets antérieurs des prédécesseurs de Mr le Ministre Rudy Demotte avaient déjà tenté de tenir compte de cette nécessité, mais ils s'étaient heurtés à l'opposition de nombreux "psys" (en majorité membres de "mouvances" psychanalytiques) jaloux de leur "liberté diagnostique et thérapeutique" et craignant de la perdre (par inféodation [sic] aux médecins).

Toutefois, une question délicate se pose aussitôt: qui donc aura le véritable SAVOIR, la compétence nécessaire et suffisante pour décider si la "souffrance psychique" d'une personne que l'on veut aider et soulager est bien une maladie ou ne l'est pas forcément?

Depuis quelques années que nos ministres belges (fédéraux, régionaux et communautaires) de la Santé ont voulu règlementer les psychothérapies, ils ne semblent pas encore être parvenus à obtenir, de la part des autorités et experts "professionnels" qu'ils ont consultés à ce propos, une unanimité consensuelle, même au sein des multiples associations de psychothérapeutes non médecins. Parmi ceux-ci, certains psychanalystes assurent d'ailleurs qu'à l'instar de leur Père Fondateur Sigmund Freud qu'ils prennent encore toujours en exemple, les psychanalystes n'ont, pour leur cures, besoin d'utiliser"qu'une très petite partie de leur savoir médical" (sic. Peut-être faut-il trouver dans cette croyance l'origine des tentations, qu'une proportion non négligeable de psychiatres médecins peuvent parfois éprouver, de s'inspirer eux aussi des psychanalystes, voire de les imiter?).
Les psychanalystes s'autorisent de cette conviction d'avoir acquis, par leur analyse didactique personnelle, une quasi science infuse (l'aveu n'en est-il pourtant pas très révélateur et inquiétant?) pour extrapoler et généraliser, et prétendre à des compétences thérapeutiques pour ainsi dire universelles en dépit d'une absence totale de formation médicale fondamentale: selon eux, on peut pratiquer des "cures" psychanalytiques sans même aucun "savoir médical" (et sans même être psychologue) car, depuis Freud, c'est ce que font les psychanalystes "laïques" (quoiqu' avec des succès thérapeutiques qu'ils proclament depuis toujours mais n'ont jamais démontrés ni montrés).

Ces psychanalystes "laïques" peuvent être monsieur ou madame tout le monde et, à partir du moment où ils ont entrepris eux-mêmes et mené à son terme une "psychanalyse didactique" (fort longue et chère, administrée par un psychanalyste ayant lui-même auparavant suivi un parcours comparable, qui lui-même..., et ainsi de suite...), ils peuvent "exercer" à leur tour et pratiquer des "cures", quelle que soit leur formation professionnelle initiale.
A l'appui de cette prétention, on s'empresse de battre le rappel d'un certain nombre de notabilités qui ont ainsi bénéficié du titre de psychanalyste sans avoir aucune formation ni diplôme d'une quelconque profession médicale (entre autres "célébrités" mentionnées: Anna Freud, Mélanie Klein, Theodor Reik, Julia Kristeva, Pierre Legendre, Daniel Sibony,...), tous exemples fort peu décisifs (plutôt des contre-exemples!) parce que pour le moins discutables, fort controversés et fort peu convaincants de quelque compétence ni efficacité de pratiques [psycho]thérapeutiques que ce soit!

La deuxième difficulté apparaît parce qu'on veut inclure les psychanalystes parmi les psychothérapeutes agréés sur la foi d'un diplôme reconnu, et parce que les psychanalystes eux-mêmes, eux aussi, prétendent dispenser - entre autres "enseignements", disent-ils - des psychothérapies. Mais la psychanalyse n'est pas une discipline qui s'enseigne et s'apprend à l'université ou dans des établissements d'enseignement supérieur officiellement reconnus. C'est là que le bât blesse. Aucun diplôme en effet n'habilite un psychanalyste à exercer la psychanalyse. Ce dont le "psy" s'autorise pour exercer, c'est, au contraire, un long "trajet" individuel, une épreuve qu'on pourrait qualifier d'initiatique et qu'on appelle formation (en réalité une manipulation, une "éducation" ou un conditionnement psychologique à l'acceptation et l'adoption d'un certain nombre de croyances et de dogmes sur soi-même et les autres, une sorte de conversion, une catéchèse laïque et confidentielle). C'est une longue épreuve qui se conclut par la cooptation par d'autres psychanalystes précédemment passés par la même "formation" (dont l'origine et les pratiques remontent au père fondateur Sigmund Freud, en passant depuis lors par ses disciples successeurs et en suivant, plus ou moins, les ramifications d'un arbre généalogique de psychanalystes dérivant les uns des autres de proche en proche - le prophète et ses héritiers).

La ressemblance des associations et "écoles" de psychanalystes avec certaines "églises", mouvements religieux et des organisations sectaires ne peut donc manquer de se présenter à l'esprit, même si les psychanalystes s'en défendent bruyamment. Il n'est donc pas étonnant non plus qu'on se pose cette question avec eux: du point de vue des psychanalystes, de quel droit l'Etat se mêlerait-il de leur formation? Pourquoi l'Etat exigerait-il d'eux des diplômes alors qu'il ne s'en inquiète guère quand il s'agit de la formation des curés de l'Eglise catholique, de celle des pasteurs protestants ni des rabbins, qui pourtant donnent des cours de religion dans nos écoles publiques? L'Etat fait confiance pour cela aux autorités ecclésiastiques et à celles des responsables religieux des autres religions "principales" présentes chez nous (actuellement, certains de nos ministres exprimeraient, paraît-il, des velléités de contrôle en ce qui concerne les enseignants de la religion musulmane, mais on ne voit pas pourquoi ni comment cette tendance particulière et discriminatoire obtiendrait d'être légitimée).

Si les psychanalystes se défendent d'être les représentants d'une sorte de religion qu'ils souhaitent être reconnue officiellement, force est pourtant de constater qu'ils revendiquent néanmoins pour eux-mêmes les avantages consentis par l'Etat laïque à des religions et même un peu plus que ces seuls avantages. Ils affirment en effet pratiquer des cures à visées thérapeutiques (bien que parfois, et en contradiction avec eux-mêmes, ils contestent ou minimisent l'importance de cet objectif thérapeutique), alors que les "véritables" religions évitent soigneusement de se mêler de santé (certaines sectes exceptées, évidemment). Sur base de quelles prérogatives, dont la psychanalyse se réclamerait, l'Etat laïque devrait-il accorder aux diverses associations de psychanalystes une reconnaissance et des privilèges qu'il ne reconnaît qu'à certaines institutions religieuses et à certains cultes en tant que croyances et cultes, alors même que les associations de psychanalystes refusent depuis toujours d'y être assimilées?

Si, au moins provisoirement, nous acceptons la distinction faite par Mr le Ministre Rudy Demotte entre deux "souffrances psychiques", l'une qui serait une maladie, l'autre qui ne le serait pas, pourquoi ne pas laisser aux médecins le soin et la responsabilité d'en décider? N'est-ce pas à eux que revient la responsabilité (officiellement reconnue et règlementée) que leur formation leur permet d'assumer, de reconnaître ce qui est une maladie (d'en faire le diagnostic)?
Dans le cas d'une maladie, si le médecin estime que son patient peut bénéficier d'une psychothérapie, il l'enverra chez un psychothérapeute dont la formation et les pratiques lui sont connues, puisqu'il connaît les conditions d'obtention du diplôme officiel requis.
Si, par contre, il pense que son patient ne souffre pas d'une maladie, il l'en avertira et lui laissera la liberté de choisir, à son gré, le psychothérapeute qu'il croira peut-être devoir consulter, qu'il ait un diplome officiel ou qu'il n'en ait pas. Chacun n'a-t-il pas le droit de choisir le restaurant, le spectacle, le divertissement ou l'ami qui lui plait, sans pour cela espérer trouver celui dont l'Etat (la Sécurité Sociale) acceptera de lui rembourser la dépense? A-t-on besoin de savoir si la cartomancienne qui vous fait votre horoscope a obtenu un diplôme homologué par la "Santé Publique"?

On peut donc craindre que la volonté de règlementer les psychothérapies ne traduise aussi, à côté de préoccupations plus ou moins avouées, plus ou moins corporatistes, peut-être mercantiles (et somme toute assez mesquines), une tentative de diversion, c'est-à dire la volonté de ne pas aborder de front les réels problèmes socio-économiques et humains que posent et ont toujours posés les vrais malades mentaux chroniques. Les solutions à ces problèmes supposent une charge financière bien trop lourde pour qu'on accepte de les envisager. Mais cet aveuglement volontaire risque d'entraîner, en éternisant des situations de malheur de plus en plus nombreuses, des dépenses encore bien plus lourdes et bien plus proches de nous qu'on ne veut s'en rendre compte.


Première publication: 27 Novembre 2006 (J.D.) Dernière modification: 27 Novembre 2006

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