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En février 2004,
MENS SANA
atteint 3 ANS

Nous le savons tous: même si la vie est courte, le temps passé à l'affût de progrès sans cesse espérés nous paraît pourtant durer l'éternité, surtout si cette attente ne reçoit de réponses que décevantes. Nous attendons des progrès dans les traitements des malades mentaux chroniques, nous attendons de véritables améliorations concrètes des aides pratiques qui devraient leur être apportées, sans toutefois parvenir à les obtenir. Sans trop y croire, nous continuons à attendre que se produise enfin, chez une majorité de nos professionnels belges de la "santé mentale" et de la psychiatrie, le déclic, la véritable prise de conscience générale qui, peut-être, modifierait leurs attitudes envers les problèmes auxquels les malades mentaux sont confrontés en permanence.

Une prise de conscience, cela voudrait dire que les yeux des "responsables" (à tous niveaux) s'ouvriraient vraiment sur la triste réalité humaine des malades mentaux. Ceux-ci, incapables de vivre décemment par eux-mêmes, fournissent pourtant leur gagne-pain à ceux-là mêmes qui, en prétendant "promouvoir leur Santé" et "défendre leurs Droits", laissent croire qu'ainsi ils se soucieraient aussi, et en quelque sorte automatiquement, du bien-être de leurs "clients". Une prise de conscience, cela reviendrait à dire que ces "humanitaires" accepteraient enfin de voir, telle qu'elle est dans tous ses aspects quotidiens, la vie menée par chacun de "leurs" malades, la vie telle que la maladie mentale la leur impose.
Cette prise de conscience pourrait avoir pour résultat qu'ils ne se limitent plus ni ne se complaisent à n'échafauder que des constructions imaginaires et abstraites des "maladies" de leurs "protégés". La conséquence en serait qu'ils cesseraient de prétendre se faire une représentation théorique, souvent fantaisiste et presque toujours stérile de la maladie mentale, mais qu'ils pourraient s'efforcer enfin de connaître et comprendre ce que la maladie mentale inflige très concrètement à chacune de ses victimes.

Nos "professionnels du psychisme" (?) devraient s'efforcer d'acquérir, enfin, un peu de cette lucidité et de cette humilité intellectuelle, qualités [peut-être difficiles et rares mais] indispensables qui, d'abord, les obligeraient à s'interroger sur leurs compétences et sur le sens ancien, véritable de ce mot: la compétence. D'après le dictionnaire Petit Robert (1994), la compétence, dans ce premier sens, c'est "la connaissance approfondie, reconnnue, qui confère le droit de juger ou de décider en certaines matières".
Il est aujourd'hui généralement admis que la psychiatrie emprunte leur savoir aux neurosciences (au moins en grande partie). Comme toutes "matières" scientifiques, les neurosciences évoluent en permanence, et le savoir psychiatrique devrait donc progresser, lui aussi. La connaissance approfondie des "maladies" mentales est donc évolutive et fluctue en fonction du progrès des neurosciences. Elle s'acquiert jour après jour et, elle aussi, tout comme les sciences qui l'alimentent, elle doit remettre continuellement en question ses acquisitions antérieures.

Par conséquent, à son tour, la compétence en psychiatrie ne peut échapper à cette même exigence de réévaluation permanente. Chaque praticien, s'il est consciencieux, s'il se respecte soi-même comme il est censé respecter ses malades doit, pour lui-même et pour ceux qu'il soigne, sans cesse remettre en question ses connaissances, c'est-à-dire les vérifier, les corriger, les mettre à jour, en savoir les limites pour pouvoir soigner au mieux, ne serait-ce aussi que pour éviter que d'autres, et surtout les "profanes", ne soient amenés, unilatéralement, à mettre en doute eux-mêmes les compétences du professionnel, c'est-à-dire n'en arrivent à lui retirer leur nécessaire confiance (en réalité, ceci ne se limite pas à la pratique de la seule psychiatrie mais, de toute évidence, vaut pour tous les métiers!).

Cependant, nombreux sont les professionnels de la psychiatrie qui, dès les origines de cette spécialité, ont pris un mauvais départ et ont ensuite contracté et soigneusement cultivé des habitudes de "pensée" dont, aujourd'hui encore, ils ne parviennent pas à se défaire.
La psychiatrie est fille de la psychologie. Celle-ci, avant de devenir scientifique, était tout d'abord populaire, intuitive, philosophique et interprétative (voir, à ce sujet, Jacques Van Rillaer: "Psychologie de la vie quotidienne", Odile Jacob édit., 2003).

Mais alors que psychologie et psychiatrie scientifiques ne s'annonçaient encore que timidement (fin du XIXème siècle et début du XXème), apparaissaient malheureusement aussi une psychologie et une psychiatrie "concurrentes" (un peu à la manière des "médecines alternatives" d'aujourd'hui). Elles étaient élucubrées à partir des croyances régnant à l'époque et développées, amplifiées par les ambitions personnelles et nourries des obsessions morbides de quelques "médecins" à l'esprit attardé dans un certain "romantisme bourgeois" du XIXème siècle, personnages eux-mêmes peu équilibrés (raison première de leur choix professionnel, de l'aveu même de leur chef de file, Sigmund Freud) mais surtout avides d'emprise sur l'esprit de leurs contemporains.

C'étaient des théories fumeuses fabriquées par des "psys" à la poursuite de notoriété, voire de célébrité lucrative vite acquise. Leurs auteurs étaient fort peu soucieux de s'encombrer ni de s'embarrasser, tant de rigueur que d'honnêteté intellectuelles pourvu qu'ils parvinssent à leurs fins ausi rapidement que possible: solidement asseoir et étendre une réputation de novateurs révolutionnaires, c'est-à-dire assurer, par tous les moyens, leur apparence d'autorité, leur influence et pouvoir personnels de telle sorte qu'on n'osât jamais en mettre les bases publiquement en question.

Le succès de la psychanalyse selon Freud et ses successeurs auprès du grand public tient à divers facteurs, mais ce n'est pas ici la place pour les passer tous en revue (v. Jacques Van Rillaer: "Les illusions de la psychanalyse", 1980, 4ème édition en 2003, Mardaga, Belgique). Insistons seulement sur deux facteurs importants: ce sont, d'une part la pauvreté - pour ne pas dire l'indigence - de la médecine scientifique et expérimentale, ainsi que de la psychologie et de la psychiatrie scientifiques à l'époque des débuts de Freud, d'autre part l' habituelle ignorance générale du grand public, encore plus marquée alors qu'aujourd'hui, des critères auxquels doivent répondre les disciplines dites "scientifiques" et ceux qui les exercent pour qu'on puisse effectivement les recevoir comme "scientifiques".

A la manière des vérités révélées, ayant réponses et "explications" à toutes les questions, à tous les troubles, avançant masquées derrière un jargon pseudo-scientifique qui n'est que du verbiage, ne s'appuyant que sur l'argument d'autorité, se dérobant à l'examen critique et n'ayant besoin d'aucune vérification, la psychologie et la psychiatrie de tendance psychanalytique formaient un contraste séduisant avec la psychiatrie s'efforçant d'être scientifique. Celle-ci, à ses débuts, n'offrait pour ainsi dire aucune explication utile aux multiples questions posées par les troubles mentaux, elle ne pouvait donc paraître que décevante.

Que la psychiatrie non analytique se soit laissée séduire par ce système global qu'était le freudisme, cette nouvelle religion, qu'elle ait tenté d'en adopter surtout la rhétorique "tous azimuts" mais aussi certains des procédés , c'est-à-dire la parole thérapeutique et l'interprétation imaginaire, arbitraire des comportements, cela n'a donc rien d'étonnant: elle tentait de rester compétitive malgré le handicap des lenteurs inhérentes à l'approche scientifique.

D'une certaine manière, ne faisons-nous pas tous pareil que ces psys imaginatifs, dans les multiples circonstances de la vie quotidienne? Nous n'arrêtons pas d'interpréter les paroles et les comportements de ceux que nous rencontrons. Et sans cesse, par nos paroles principalement, nous espérons à notre tour les orienter dans l'une ou l'autre direction qui nous convient ou nous plaît, ou les détourner de celles qui ne nous plaisent pas.
Sans y penser vraiment, nous ne faisons ainsi que suivre nos habitudes et nos penchants, nous utilisons et entretenons nos idées reçues, voire nos superstitions. Et, puisqu'en gros, cela marche à peu près... Cependant, rendons-nous à l'évidence: cela ne marche plus dès que nous nous adressons à des malades mentaux psychotiques chroniques ou qu'ils s'adressent à nous.

La psychiatrie "interprétative" de notre pays s'obstine pourtant à ne pas tenir compte de ce constat. Et ce faisant, elle ignore délibérément les progrès des neurosciences. Mais, les ignorant, par là même elle refuse ces progrès, elle en reste aux vieilles fables heureusement périmées. Ignorant elle-même et délibérément les acquis plus récents, elle ne peut en informer le politique et en empêche ainsi les responsables de prendre les meilleures mesures de santé publique et sociales qui pourtant s'imposeraient en faveur des malades mentaux chroniques. Puisque les professionnels de cette psychiatrie de "bon papa" sont les seuls "experts" disponibles et reconnus, les seuls dont le politique puisse prendre les avis, d'où et quand peut on espérer que surgira[it] enfin l'embellie tant attendue?

Dans notre petit pays tiraillé entre divers territoires qui ne tiennent ensemble que par des pointillés dessinés sur une carte virtuelle, nous entrons - à nouveau! - dans une période (pré)-électorale. Il y a un an, à l'occasion des précédentes élections (communales, cette fois), le parti politique cdH ("Centre démocrate humaniste") de la commune où j'habite reprenait à son compte le discours inepte de l'OMS sur la "définition de la santé". Il montrait ainsi la réelle méconnaissance du sujet dans le chef de nos responsables politiques, qui se fient plus à l'argument d'autorité de fonctionnaires onusiens (ou "européens" éloignés des réalités du terrain) qu'à leur propre réflexion critique sur la réalité quotidienne qu'ils ont pourtant sous les yeux.
Un an plus tard, le même parti ose encore affirmer, entre autres promesses de bienveillantes balivernes, (conférence de presse du CDH du 28 janvier 2004), à propos des diminutions programmées du nombre d'hospitalisations psychiatriques en secteur fermé, que "Ces politiques de santé [mentale] ont permis de réinsérer progressivement les patients atteints de pathologies mentales dans la société."
Peut-on faire mieux comme désinformation? Qu'on aille donc voir, "dans la société", ce qu'il en est réellement de ces "réinsertions"!

A propos, comment se fait-il que les politiques n'aient pas pensé à enrôler les familles de malades mentaux pour clamer leur satisfaction à la suite de ces progrès, afin que nul n'en ignore?
Comment se fait-il que, de leur côté, les associations de défense des malades mentaux n'aient pas réagi (avec enthousiasme?) aux déclarations des politiques? Leurs membres sont-ils à tel point [in]crédules?

En réalité, c'est probablement parce que, chez nous, les politiques, de quelque parti qu'ils soient, ne font que répéter, sans jamais y aller voir par eux-mêmes, ce que les "experts" de notre psychiatrie leur disent. A leur tour, ces derniers (qui, eux, malheureusement ne se renouvellent pas au gré des élections) ne disent aux politiques que ce que ceux-ci ont envie d'entendre et de croire. Comme cela, tout le monde est content... Du moins, c'est cette satisfaction de façade qu'on espère nous faire partager.
Et, de jour en jour, de semaine en semaine, de mois en mois, d'année en année, on continue et on recommence ce jeu de c....


Première publication: 23 Février 2004 (J.D.) Dernière modification: 23 Février 2004

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