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"Man muß in der Flut psychopathologischen Geredes lernen, zu wissen, was man weiß und was man nicht weiß, zu wissen, wie und in welchem Sinne und in welchen Grenzen man etwas weiß, mit welchen Mitteln dieses Wissen erworben und begründet wird. Denn das Wissen ist nicht eine glatte Fläche gleichmäßiger und gleichwertiger Richtigkeiten, sondern eine gegliederte Ordung ganz verschiedener Arten der Geltung, der Wichtigkeit und Wesentlichkeit..."
Karl Jaspers: Allgemeine Psychopathologie, Vorwort zur dritten Auflage, p.IV. Berlin Springer Verlag 1973 ISBN 3-540-03340-8

("Dans le déluge du bavardage psychopathologique, il faut apprendre à reconnaître ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas, apprendre à savoir comment, quel sens donner à ce qu'on sait et quelles en sont les limites, par quels moyens ce savoir a été obtenu et sur quoi il se fonde. Car le savoir n'est pas une surface unie faite de vérités équivalentes en grandeur et en valeur, mais c'est un assemblage articulé et ordonné d'approches et d'évaluations totalement différentes les unes des autres: de l'importance accordée à ces vérités et de leur existence réelle...")

UNE PSYCHOPATHOLOGIE INTUITIVE, PUREMENT PHILOSOPHIQUE, SPÉCULATIVE et TOTALEMENT DÉSINCARNÉE

court le risque de n'être qu'un récit folklorique de 'contes et légendes', comparable à une sorte de théologie construite sur l'une ou l'autre 'révélation' mythique ou peut-être parfois née d'une 'illumination visionnaire' qui, par "chance", aurait eu quelque succès et se serait ensuite propagée et perpétuée.

Ce 'risque', aujourd'hui encore, est généralement pris par facilité et habitude, par routine de confort - par inertie - , ou par volonté ou souci de conformisme social, et par déférence prudente envers des traditions réputées vénérables, bien que ces dernières devraient ne figurer que dans les bibliothèques et les musées où elles seraient conservées aux fins d'études historiques et archéologiques, pour les préserver de l'oubli et pour nous permettre, par comparaison avec nos mœurs actuelles, de prendre conscience des multiples progrès peut-être accomplis (ou non?) par l'espèce humaine depuis l'âge de la pierre taillée.
Par contre, bien que dépassées aujourd'hui, et pourtant peu en accord avec notre savoir et nos connaissances actuels, et non plus guère adaptées à nos modes modernes d'organisation et de vie sociales présentes, nombre de ces croyances sont encore ancrées (consciemment ou non) dans les esprits de certains qui en restent profondément imprégnés et qui s'y réfèrent comme à des "vérités" éternelles et universelles qui, selon eux, nous dicteraient d'immuables règles de bonne conduite à observer et à respecter scrupuleusement.

Plutôt que des reliques historiques désuètes finalement délaissées, ces traditions resteraient-elles quand même des coutumes encore toujours d'actualité, auxquelles nous devrions nous conformer avec révérence et fidélité encore de nos jours? Serait-ce elles, ces fameuses "racines identitaires" dont certains, quasi fanatiquement, nous rebattent les oreilles, qui seraient à "cultiver, entretenir et préserver pieusement" de façon à nous protéger des dangereux(?) progrès de nos connaissances, et qui devraient nous prémunir contre une invasion iconoclaste des sciences menaçant de destruction l'héritage ancestral de nos précieuses croyances, par l'acquisition du savoir scientifique du réel?

Ou encore, peut-être pour apaiser une certaine nostalgie du prestige des religions aujourd'hui en perte de vitesse, ou peut-être encore pour assouvir un puéril mais persistant besoin de l'autorité infantilisante (mais de nos jours plutôt agonisante) des religions organisées et institutionnalisées, devrait-on tenter, sans jamais les remettre en question, de maintenir en survie - comme par une sorte d'acharnement thérapeutique - les antiques croyances suppléant les ignorances dont étaient forcés de se satisfaire, par la force des choses de leur temps et bien malgré eux, nos très lointains et superstitieux ancêtres préhistoriques, devrions-nous en plus promouvoir et revenir aux pratiques de leurs méthodes magiques et en généraliser les dogmes pour les remettre à l'honneur, au goût du jour et s'en inspirer pour les imiter?

Notre actuelle, essentiellement subjective, très conventionnelle (consensuelle et conceptuelle) et toute superficielle "psychopathologie" traditionnelle (et principalement francophone) ignore superbement et néglige - délibérément ou non, peu importe - l'indispensable organe générateur physique et biologique (le S.N.C.) qui est, obligatoirement, tout à la fois à l'origine, le support et le moteur de "l'esprit" dont elle prétend étudier la "pathologie". On peut dire qu'ainsi commodément et opportunément débarrassée de tout élément constitutif matériel et concret, c.-à.d. libre de toutes contraintes et limites biologiques, cette psychopathologie est bien désincarnée en effet, au propre comme au figuré.

Dès lors, en toute liberté mais aussi à la merci de la fantaisie débridée de ceux qui l'inventent et prétendent s'en servir selon et pour ce qu'ils décrètent être le bien (celui des malades et le notre), la psychopathologie peut fantasmer à l'infini et ne se baser que sur des "raisons" imaginaires, c.à.d. créées à partir de concepts que le psychologue ou le psychiatre se construit ex nihilo et qui lui sont donc personnels (ou pour ainsi dire inoculés d'autorité dès l'enfance et innocemment absorbés à son insu avec le lait maternel et/ou le biberon)! ... Et par conséquent, elle ne nous parle jamais que d'elle-même (et plus exactement de l'imagination de son ou de ses inventeurs) si bien que, finalement elle se borne à la seule description de quoi? De rien de plus que de ses propres hypothèses qu'elle fait passer pour des faits, tout en universalisant ses représentations à l'humanité entière en général.

Ce faisant, elle oublie qu'elle devrait ne se préoccuper que de personnes individuelles, particulières et malades et, pour illustrer et justifier son discours, elle n'use que de métaphores, d'analogies et même de symboles impersonnels et nécessairement ambigus dont la pertinence n'est le plus souvent qu'hypothétique et arbitraire. Bien trop rarement, sinon même jamais, pareilles hypothèses a priori, postulats élevés prématurément à la dignité de théories et organisés hâtivement et imprudemment en systèmes, ne sont soumises à des tentatives d'épreuves sérieuses de vérification, de validation ni de "falsification" (réfutation) expérimentales (car elles ne s'y prêtent en réalité que très difficilement et le plus souvent ne donnent de réponses ni décisives ni réellement concluantes, mais seulement équivoques et discutables à en perdre haleine sinon patience...).

Pourtant, les conclusions de ce qu'il vaudrait mieux appeler "psychopathologie des apparences" ou "psychopathologie de surface" ou encore "psychopathologie herméneutique" (appellations qui me paraissent plus conformes à la réalité observable des méthodes 'psy' mises généralemnt en œuvre), les conclusions tirées de ses spéculations et de ses affirmations, lorsqu'elles se confrontent cette fois à la réalité concrète incarnée par les malades, nécessairement fourmillent d'erreurs, de fautes de logique, d'incohérences, de contradictions, d'apories, de paradoxes inextricables incompatibles avec la réalité physique qui nous entoure et qui ne cesse de les dénoncer, de les contredire et de les démentir d'éclatante façon.

(Une majorité d'entre nous n'ose-t-elle donc toujours pas reconnaître honnêtement et ouvertement que, même en dépit de notre éventuel désir profond de la refuser et de l'ignorer en l'oubliant, la réalité s'impose à nous et malgré nous sans aucune opposition ni discussion possibles? Dans la 'vie courante' et quotidienne qui est le lot de tous, c.à.d. en dehors du rêve, fausser la réalité ou la nier, n'est-ce pas un mensonge permanent? Ne devrait-il pas être proscrit par simple probité intellectuelle?
Ne savons-nous pas que la réalité ne se plie pas et n'a pas à se plier à nos désirs, ni à se conformer à nos espoirs, ni à ménager 'charitablement' nos inquiétudes existentielles pour nous rassurer en nous incitant à nous réfugier dans une ignorance rendue confortable par nos croyances? C'est nous qui devons apprendre à connaître la réalité telle qu'elle est et à l'accepter, - quitte parfois peut-être, et pour beaucoup plus d'entre nous qu'on ne l'admet, à malgré tout se laisser aller, par faiblesse, à tenter assez lâchement (hypocritement) de "transiger avec la Vérité" qui sans cela leur paraîtrait trop dure voire insupportable - , et finalement nous devons apprendre à nous en accommoder bon gré malgré, qu'elle nous plaise ou non).

Les faits [et événements d'observation!] à eux seuls bien sûr "ont toujours raison", dit-on habituellement un peu vite, trop facilement et sans trop réfléchir. Car les faits en eux-mêmes n'ont jamais ni tort ni raison, ils sont les faits, tout simplement, ni plus ni moins, et le bon sens nous commande de les respecter. Nous ne pouvons qu'en reconnaître - et admettre! - l'existence et la présence. Leurs prétendues "raisons d'être" n'existent pas comme telles, c'est nous qui les imaginons, et en les imaginant c'est nous qui les créons et qui attribuons aux faits ces "raisons" en leur prêtant ainsi qu'aux choses une intentionnalité qui n'est que le reflet de la nôtre (son pendant) et du besoin 'instinctif' que nous en éprouvons de par notre propre atavisme préhistorique, voire animal.

Mais trop souvent aussi, nous oublions que nous confondons bien trop facilement et abusivement les faits avec les représentations et interprétations dont nous les affublons et de plus, par l'esprit, nous relions ces faits entre eux et les combinons, la plupart du temps de la manière qui nous arrange au mieux (ou qui nous dérange le moins, en accord avec nos aspirations, nos goûts et nos répugnances), alors même que ces liens, souvent seulement supposés eux aussi, ne sont tout au plus qu'hypothétiques, c.à-d. issus "tout droit" de notre imagination.

Puisque ces liens et interprétations ne sont rien d'autre que des opinions (des croyances) imaginées à propos des faits eux-mêmes dont elles sont néanmoins bien distinctes, elles ne sont donc que "de notre fait et de notre responsabilité", ces croyances peuvent être discutées, et par conséquent elles peuvent (et même elles doivent) toujours être remises en question (en testant leur validité, c.-à d. la capacité prédictive de leurs conséquences observables, et selon que cette capacité vérifie ou non nos propres prédictions et attentes en toute bonne logique), sans que toutefois pareil examen critique ne doive ni ne puisse modifier jamais ni en aucune façon les faits eux-mêmes en soi.

Les noms et mots employés en psychopathologie, bien que trop souvent indéfinis, les concepts eux aussi indéfinissables forgés et utilisés pour inventer, fabriquer puis "expliquer" une réalité tout imaginaire (hypothétique) mais à l'image des espérances, des aspirations et des appréhensions oniriques de ses inventeurs, et bien que ces derniers s'appliquent avec un art plus ou moins consommé à en justifier l'invention et l'usage par un jargon abscons et une rhétorique au moins autant, sinon peut-être encore plus délirante que fleurie, tout ce verbiage confus en aucune manière ne parvient toutefois à exorciser la réalité bien concrète des troubles psychotiques et ne permet pas de les combattre et, par suite, encore moins de les vaincre (c.à.d. de les "guérir").

Malgré l'évidente et fondamentalement contraignante réalité du monde physique, une majorité de nos "responsables", dont beaucoup se considèrent comme des professionnels et "experts" de la santé mentale, refusent obstinément d'apprendre à connaître cette réalité, d'en reconnaître la nature ni d'en tenir compte car, sous prétexte qu'ils accolent au mot de "santé" le qualificatif de "mentale", la qualité de "mentale" leur semble alors légitimer d'en quelque sorte "dématérialiser" l'esprit et de le rendre mystérieusement surnaturel et métaphysique (c.à.d. échappant aux lois du monde physique!). C'est du moins ce qu'on est irrésistiblement amené à soupçonner et à déduire de leurs attitudes dites "thérapeutiques" voire de prétendue recherche d'une vérité "spirituelle" et "psychique" qu'ils disent "cachée", donc à "découvrir" et à "révéler" (par la magie du verbe dont ils s'étourdissent eux-mêmes, se croient-ils vraiment capables de révéler aux profanes ce que seuls des magiciens initiés prétendent être en mesure de découvrir et d'avoir mis au jour?)

Tandis que, par contre, distincte du monde intérieur et virtuel d'illusions (de représentations) que nous nous fabriquons dans notre cerveau (notre carte géographique intérieure représentant le monde physique et réel, carte qui, comme chacun le sait, n'est pourtant pas le territoire!), la réalité physique, 'extérieure' cette fois et bien concrète, non seulement nous y sommes tous plongés, tous nous y baignons en permanence, mais pourtant nous en faisons aussi nous-mêmes partie (les bien portants tout comme les malades, les "experts" (?) et "savants" tout comme les ignorants). Cette réalité s'impose donc à nous, même quand, à force d'échafaudages des inventions et des illusions accumulées dont nous nous entourons, certains parmi nous tentent d'y échapper (un peu à la manière du pauvre Gribouille de la Comtesse de Ségur).

On ne conjure jamais que ce qui n'existe pas, ce qui n'a aucune existence physique réelle. On n'exorcise que les spectres et les fantômes qui ne sont que le produit de notre seule imagination. Et si on constate que les exorcismes et raisonnements s'avèrent impuissants à chasser les hallucinations, les spectres, fantômes et autres monstres de cauchemar, produits du délire psychotique, c'est parce que ces illusions ont des causes cérébrales bien physiques qui ne nous apparaissent pas mais qu'après coup, erronément, nous réifions et rationalisons les illusions (mais pas leurs causes!) en "raisons" (dissipe-t-on par des exorcismes les mirages de caravanes ou d'oasis rencontrés parfois dans le désert? Ce sont pourtant bien des mirages, mais nous connaissons leurs véritables causes bien physiques, et nous savons que celles-ci ne s'exorcisent pas. Les mirages s'évanouissent d'eux-mêmes, mais seulement quand leurs causes physiques ont elles-mêmes disparu).

Ce sont les altérations physiques bien concrètes de notre cerveau qui détériorent ses capacités de raison et rendent alors "déraisonnables" voire absurdes ce qu'habituellement nous appelons nos "raisons". On devrait plutôt dire que nos apparentes raisons, tout comme les mirages, ont des causes physiques qui résultent de la structure matérielle et de l'organisation de notre cerveau. Mais ces "vraies causes", de notre raison et de nos "raisons" telles que nous les percevons consciemment, ne sont en fait jamais accessibles à notre conscience.

Chacun devrait depuis longtemps savoir d'expérience et avoir compris qu'on ne conjure donc pas le monde physique (le seul dont l'existence est prouvable et éprouvée et qui nous est accessible, tant par l'esprit que d'abord par nos sens - assistés, étendus et amplifiés ou non par des instruments auxiliaires!), qu'on ne l'exorcise pas plus qu'on ne peut non plus se permettre de l'ignorer; que les exorcismes, les innombrables variétés d'incantations et de rites et rituels supposés propitiatoires , qui ne sont qu'exercices théatraux et verbaux suggestifs et générateurs d'illusions voire d'hallucinations, doivent être laissés, en guise de divertissements ou de consolations, à l'intention des rêveurs; ce sont des "trucs de métier", prérogatives et gagne-pain des poètes, des romanciers, des artistes petits et grands, des illusionnistes, des magiciens de music-hall et de cirque et autres bateleurs, ce sont des procédés qui leur appartiennent. Ces marchands de rêves et d'illusions éphémères peuvent nous distraire, nous enchanter pendant un temps et nous faire agréablement rêver un instant... mais un instant seulement, ce qui n'en est pas moins appréciable et respectable (et bien sûr tout à fait utile, de l'ordre du divertissement, et donc parfaitement admissible).

Malheureusement, on peut aussi retrouver ces illusions, à mauvais escient cette fois, sous diverses formes plus insidieusement séduisantes et plus durables (et donc néfastes), proposées ou soi-disant offertes (contre rétribution, cela va de soi!) par des marchands d'orviétan et par toutes sortes d'autres charlatans assez peu recommandables, parce que tous ceux-là ne s'efforcent que d'exploiter notre crédulité et nos faiblesses à leur propre profit, sans se soucier le moins du monde du véritable intérêt ni de l'équilibre mental des malades - et pas plus du nôtre - , en nous faisant prendre leurs mirages mensongers au sérieux.

On ne fait œuvre réellement utile pour lutter contre les "maladies mentales" qu'en explorant (scientifiquement) et en identifiant la réalité concrète de la source physique ("organique") des troubles mentaux, plutôt qu'en ignorant délibérément la réalité physique du monde pour lui préférer une illusion volontairement imaginée (une fiction) et se persuader de l'existence de celle-ci. La réalité physique dans laquelle nous vivons (et qui contient les "causes" tout aussi physiques), on la dissèque et en dénombre les composantes une à une, dont on analyse les propriétés (qu'alors nous jugeons favorables ou défavorables pour nous), et on peut ensuite s'efforcer de peut-être modifier les troubles consécutifs à ces causes bien physiques, en modifiant de manière adéquate les "causes" (concrètement, matériellement, physiquement).

A défaut de disposer des moyens d'éliminer ou de modifier les causes (physiques!) elles-mêmes parce qu'on n'en connaît encore que bien trop peu d'entre elles avec assez de certitude, on ne peut que tenter de les identifier (très laborieusement) au cas par cas, au "coup par coup", afin d'éviter de s'y heurter et d'en susciter (d'en subir) la cascade de leurs conséquences "négatives"; mais on ne les conjure ni ne les exorcise ni ne s'en prémunit par la seule parole, par les discours ou les prêches et les sermons pas plus que par les prières ni même la méditation (prétendûment "transcendantale"!): pareils leurres ne sont que des manœuvres dilatoires et de diversion, des échappatoires qui permettent aux "experts autoproclamés" qui y ont recours, sinon de se rendre vraiment indispensables, du moins de le faire croire, de se donner en spectacle et de se conférer aux yeux de leurs spectateurs crédules une importance toute usurpée (quoiqu'évidemment le plus souvent tarifée en proportion de cette importance affichée!)

Quant à ce qu'on appelle généralement le "ciel" (qu'on lui donne des noms divers, qu'on veuille le voir habité ou vide n'y change rien), il ne risque pas de jamais vous aider, sauf si, vous le premier, vous prenez activement l'initiative de vous aider vous-même et lui en donnez l'exemple et si, au hasard de vos éventuels succès apparents bien que tout aléatoires, vous lui en attribuez ou lui laissez naïvement le mérite (au bénéfice de vos croyances plutôt qu'à celui du doute). Des dictons célèbres et déjà très anciens indiquent clairement que parmi ceux qui implorent les faveurs du "ciel", et alors même qu'ils affectent le plus souvent de s'obstiner [en vain] dans leurs supplications, ils sont depuis longtemps nombreux et tout à fait conscients du faible rendement de cette démarche (mais ils se gardent bien de le reconnaître ouvertement et parfois même de se l'avouer à soi-même...)

De nombreux psychiatres, des psychologues, des psychothérapeutes et des travailleurs sociaux affirment qu'il est indispensable de "se mettre à la place" des malades psychotiques dont ils s'occupent afin de les "comprendre", afin d'ainsi pouvoir en retour se faire comprendre d'eux et par conséquent de pouvoir les soigner (par le raisonnement et la persuasion, paraît-il, et grâce à leur apparente sinon contagieuse force de conviction et de suggestion!). Et ils imaginent qu'ils peuvent lire et déchiffrer le contenu des pensées de leurs patients, qu'ils peuvent comprendre comment elles prennent naissance et par quels mystérieux cheminements intracérébraux les germes et précurseurs fragmentaires de ces pensées transitent avant de finir par se rassembler comme par coalescence, par se développer, s'organiser et émerger à l'extérieur: sous forme peut-être plus ou moins bien achevée de paroles et phrases audibles, d'humeurs manifestées, de comportements et d'actions observables, éventuellement compréhensibles au moins en apparence et en partie, mais aussi parfois (ou souvent) parfaitement absurdes et incompréhensibles d'emblée, pour au moins une fraction d'entre elles.

Les paroles et actions des malades psychotiques, bien que souvent absurdes, ne seraient-elles néanmoins toujours et entièrement compréhensibles qu'aux seuls professionnels? C'est du moins ce dont nombre de ces "professionnels" tentent de nous convaincre quand, par exemple, ils affirment qu'ils décryptent le sens caché qui, d'après eux, nécessairement se dissimulerait au plus profond de "la psychose" (cette dernière n'étant qu'un pur concept qu'ils ont encore toujours bien du mal à définir, sans toutefois vraiment y parvenir!)

Pourtant, comment et sur quels éléments convaincants de preuve croire ces professionnels, alors que nous ne disposons pour cela que de leurs seuls témoignages et de leurs étranges "explications" qui n'en sont pas vraiment, alors que, de surcroît, jamais ils n'apportent la démonstration, les véritables preuves (constatées) de leur efficacité thérapeutique qui viendraient à l'appui de cette prétendue "compréhension", et que, curieusement, ils semblent obstinément (délibérément ou intrinsèquement?) incapables de se rendre à l'évidence que "compréhension de l'absurde", c.-à d. "compréhension de l'incompréhensible", compréhension de ce qui n'a pas de sens, ce n'est qu'un éclatant oxymore, un parfait non-sens, une magnifique aporie?

C'est encore cette même et toute irrationnelle conviction toujours présente bien qu'implicite et profondément enracinée, sinon toujours explicitement assumée, et pourtant elle-même bien évidemment absurde, selon laquelle la compréhension de l'absurde serait possible et aurait donc elle-même un sens, une croyance qui pousse le public à assister, par exemple à des procès d'assises dans l'espoir de "comprendre" les motivations d'un malade mental psychotique qui, par exemple, l'auraient amené à commettre un crime (ces motivations qu'on dit invoquées et que, de manière très irréfléchie et erronée, tous appellent à tort les "raisons"!).

Et c'est à nouveau cette conviction d'une compréhension qui, en toutes circonstances, serait toujours possible, conviction due à l'ignorance et à la crédulité dévote et quasi religieuse du public pour l'argument d'autorité dogmatique des experts "psys" (leur omniscience et infaillibilité quasi pontificales voire divines?), qui permet à certains psychiatres de faire croire au public mais aussi aux magistrats et aux avocats, à l'équivalence des obsessions morbides, des idées fixes et délirantes avec une préméditation "sensée" du crime commis, ce qui permettra à un tribunal d'en décréter le malade "responsable et coupable" (comme s'il s'agissait d'une personne pouvant être considérée comme étant "de bon sens" et jouissant de toutes ses facultés) et de le condamner (le 'punir'), en faisant passer pareille sentence pour un acte de justice (dite tout à la fois répressive et dissuasive et peut-être même pédagogique!).

"Wir kennen von den Kausalketten zwischen Seelischem und Körperlichem immer nur die Endglieder" (Jaspers, op.cit., p.4)
(Des enchaînements de causes qui relient l'âme au corps, nous ne connaissons jamais que les chaînons terminaux situés aux deux extrémités de la chaîne)
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Ce constat, tout comme les considérations citées en tête du présent article, ont été énoncés dès l'introduction de son monumental ouvrage par le médecin psychiatre et philosophe allemand Karl Jaspers (1883-1964) (référ. dans l'encadré ci-dessus). Toutes ces affirmations sont toujours valables aujourd'hui encore, aussi bien pour la psychologie "normale" que pour la psychopathologie. Mais il peut quand même paraître assez plausible que nombreux sont les professionnels francophones qui, soit ne les ont jamais lues (dans le texte original), soit leur ont préféré, probablement parce qu'elles leur "prennent moins la tête" et sont donc l'apparente et immédiate facilité, les "psycho-philosophies" et les théologies "laïques" ou "séculières", inspirées par exemple des psychanalystes (entre autres 'imaginatifs' torturés, voire volontiers quelque peu tortionnaires), et parce que ces théologies sont bien plus propices à l'élaboration d'une diversité infinie d'élucubrations et développements oniriques, littéraires et poétiques où une rhétorique bien sonore et parfois plus ou moins mélodieuse se substitue aux preuves dont elle fait oublier l'absence par trop gênante (ou, si on préfère, les discours artistiquement surréalistes, délibérément et opportunément obscurs - des malotrus irrespectueux se permettraient sans doute de les appeler de la "noyure de poiscaille, ce dont ici je m'abstiens moi-même prudemment et par élémentaire politesse!)

Si bien que ces "fabrications de l'esprit" semblent aussi permettre d'aisément et sans trop surmener la matière grise de ceux qui s'en délectent, "expliquer" tous les délires et n'importe quels comportements insolites voire aberrants, y compris l'absurde inexplicable, et ce, sans jamais tolérer de contradiction (illustration caractéristique de l'indiscutable et sacro-saint argument d'autorité).
La phrase de Karl Jaspers ci-dessus, adaptée au langage actuel, pourrait prendre aujourd'hui la forme suivante, nettement plus longue:

Nous ne connaissons de notre activité mentale que ce qui rentre dans notre corps par nos sens, puis qui en ressort transformé sous forme de paroles, sentiments, souvenirs, humeurs et comportements. Tout ce travail de transformation "psychologique" ou "psychique" ou "mental" se déroule dans cette "boîte noire" qu'est notre cerveau et, contrairement à ce que prétendent de nombreux psychologues et psychiatres de chez nous, pendant que cette alchimie digestive cérébrale s'opère, aucune parmi le nombre indéterminé de ses étapes intermédiaires n'est accessible à notre conscience tant que la 'digestion' n'est pas achevée, c'est à dire que seule la conclusion 'finale' du processus parvient à notre conscience;

...ce qui implique aussi que même la psychanalyse, encore toujours considérée voire vantée par beaucoup comme un moyen unique et irremplaçable pour explorer un prétendu subconscient, n'est en réalité aucunement capable de rappeler à la conscience ces différentes étapes (car aucune d'elles n'existe sous une forme transmissible par la parole, ce ne sont que des modifications électrochimiques de neurones et de circuits neuronaux). La psychanalyse ne fait que construire et produire une frauduleuse improvisation concoctée par le psy, d'une histoire inventée de toutes pièces en partant d'un seul point de départ conscient, peut-être connu, pour aboutir à un point d'arrivée, lui seul aussi devenant enfin conscient et connu.

Mais toutes les causes et mécanismes cérébraux, ces maillons de la chaîne reliant le début d'une histoire - que nous pouvons raconter au psy - à son épilogue, non seulement ne nous sont pas connus tant en nombres de chaînons que sous forme de mots, et ils ne se déroulent pas non plus (dans notre cerveau) dans un 'langage' qui, si nous pouvions en prendre conscience, aurait le moindre sens pour nous (et ce langage cérébral n'est pas plus compréhensible pour le "psy" que pour son patient). Ce que le psy prétend nous en dévoiler, c.-à d. les hypothèses qu'il nous suggère en nous faisant croire qu'il ne fait que nous aider à les découvrir par nous-même (grâce à son aide qui n'est jamais neutre mais toujours orientée, c.-à d. tendancieuse!), tout cela est forcément inventé et fabriqué de toutes pièces avec plus ou moins de brio et relève uniquement de son imagination et des contes (souvent à dormir debout) qu'il s'efforce d'inventer pour remplir tous les blancs (les lacunes) du scénario d'une histoire qu'il se croit néanmoins capable de fidèlement reconstruire "à l'authentique" (et qu'il croit en plus avoir le droit ou même le devoir d'imposer comme véridique à son client!).

Toutefois, le véritable "inconscient/subconscient" où prend place en permanence et sans arrêt la très grande majorité de notre activité cérébrale n'a absolument rien à voir avec le fameux subconscient soi-disant découvert (mais seulement imaginé et aussi emprunté à d'autres) par Sigmund Freud et adopté ensuite par nombre de ses admirateurs, par ceux qui, naïvement, ont cru à ses affirmations, par ceux qui s'en sont inspirés, lui ont emprunté, voire qui l'ont plus ou moins servilement plagié, ceux qui, même en se défendant d'adopter toutes ses vues, se sont laissé influencer (voire séduire!) par elles ou ont voulu à leur tour profiter de l'engouement général et de la mode qu'elles suscitaient chez certains intellectuels.

Si bien que, même aujourd'hui encore, l'imagination à prétentions d'érudition faussement poétique et antique règnant en maître et sans aucun partage avec la biologie cérébrale chez une majorité de nos "psys", l'histoire "psychique" d'un patient, ainsi "reconstituée" par son "psy" imaginatif grâce à ses procédés d'invention et de suggestion, n'a jamais eu et ne pourra jamais avoir d'autre existence ni de validité scientifique et thérapeutique qu'imaginaire, elle n'appartiendra jamais qu'aux fantasmes personnels de ce professionnel.

"Ganz abgesehen davon, daß die Behandlung einzelner Menschen selbstverständlich eine gründliche medizinische Bildung verlangt, ist eine Einsicht in die Ursachen der Seelenvorgänge ohne Kenntnis der körperlichen Funktionen, insbesondere der Physiologie des Nervensystems, nicht zu gewinnen. So sind die Neurologie, die innere Medizin und die Physiologie die wichtigsten Hilfswissenschaften der Pyschopathologie." (Karl Jaspers, ibid).
(Même en faisant complètement abstraction du fait allant de soi que le traitement de personnes individuelles exige une formation médicale solide et approfondie, une compréhension des causes des processus psychiques ne peut être obtenue sans connaissance des fonctions corporelles [organiques, N.d.tr], en particulier de la physiologie du système nerveux. C'est pourquoi la neurologie, la médecine interne et la physiologie sont les plus importantes sciences auxiliaires nécessaires à la psychopathologie.)

Je crains fort que cette formation médicale solide et approfondie ne fasse toujours pas partie du curriculum obligatoire de tous les psychologues s'estimant "psychopathologistes" (j'admets volontiers que, basée sur ma seule expérience personnelle forcément limitée de mes rencontres avec des "psys", comme aussi déduite de mes lectures des ouvrages littéraires de nombreux autres "psys", c'est là une impression que je ne devrais pas me risquer à généraliser à l'ensemble de nos "psys"... Quoique? ;^() ).

Mais encore, tous les psychiatres (et lesquels parmi les psychologues?) se sont-ils vraiment et sérieusement intéressés à la physiologie, à la neurologie et à la neurophysiologie, à la neuroanatomie, à la biochimie et à la médecine interne, suffisamment pour qu'ils s'en souviennent peut-être encore assez bien après avoir terminé leurs études médicales proprement dites, depuis qu'ils se sont spécialisés en psychiatrie? Se sont-ils depuis lors et très régulièrement tenus au courant des progrès intervenus dans toutes ces disciplines (tenues pour si "mécanistes", si terre-à-terre par tant d'entre eux, et dont de surcroît l'étude demande un énorme investissement en temps auquel on peut sans doute, sans trop d'invraisemblance, imaginer qu'ils hésitent à s'astreindre)?

Depuis qu'en majorité (notez bien que je ne dis pas "tous"!) nos psys consacrent principalement, voire uniquement, leur temps à une psychiatrie qu'on pourrait qualifier de sociale, "surtout socioculturelle" voire ethnique et anthropologique, et fort peu biologique et médicale, comment pourraient-ils et peut-être même s'ils le voulaient, suivre les sages recommandations de Karl Jaspers, c.-à d. comment seraient-ils à même de maîtriser le savoir avéré permettant de distinguer ce qu'on sait réellement des psychoses, de l'énorme fatras accumulé de ce que, par contre, on ne fait qu'en imaginer sans en avoir jamais rien prouvé?
Depuis les débuts de la psychiatrie, tant d'hypothèses explicatives des psychoses, de leurs "symptômes", de leurs causes, de leurs traitements prétendus efficaces ont été avancées qui ne reposent sur rien de plus solide que des rêveries, de telle sorte que les quelques vérités utiles que les chercheurs scientifiques des neurosciences se sont jusqu'à présent échinés à bien établir se noient irrémédiablement dans l'océan onirique des croyances, voire des superstitions, s'y engloutissent et qui donc pourrait prédire quand elles referont surface chez les praticiens?

Aujourd'hui encore, de la plume d'un contributeur francophone (anonyme, heureusement pour lui) à l'encyclopédie en ligne Wikipedia, dans l'article consacré à Karl Jaspers, on peut lire que "des spécialistes tels que Ronald Laing et Richard Bentall appuient l'idée que suivre cette piste [de l'impossibilité de comprendre les illusions absurdes (J.D)] amènerait le psychiatre à la facilité de croire que parce qu'il ne peut comprendre le patient, alors ce dernier ne justifiera pas d'enquête plus poussée de la part du médecin, celle-ci étant vouée à être infructueuse."

Comme quoi, aujourd'hui encore, certains semblent approuver de privilégier et de s'obstiner dans l'invention fantasmatique qui permettrait de trouver des "raisons et du sens dans l'absurde", c'est-à dire affirmer la prétention pour le moins très contestable (c'est un euphémisme) de l'intelligibilité de l'absurdité, plutôt que de reconnaître qu'ainsi ils énoncent eux-mêmes une absurdité (dans leur cas particulier, ne devrait-on pas employer un autre terme un peu plus péjoratif qu'absurdité?). Ceux-là feraient mieux, si possible, de former et d'entretenir leur rationalité et leur logique (à moins qu'ils ne veuillent, en bons et cultivés praticiens du non-sens, mettre en œuvre une logique de diagnostic psychiatrique selon Eugène Ionesco?).
Comme quoi aussi, être qualifié de "spécialiste" [en psychopathologie] de la schizophrénie et des psychoses en général n'est manifestement pas toujours ni nécessairement synonyme de détenteur de "compétence" ni de logique rationnelle. (Signalons que le médecin psychiatre U.S. bien connu E.F. Torrey rappelle dans son livre "Surviving schizophrenia", p.172, que dans une interview de 1982, quelques années avant sa mort, Ronald Laing avait reconnu qu'on lui avait attribué de "posséder les réponses" [à la schizophrénie - J.D.], mais qu'il savait désormais ne les avoir jamais eues).

Pour ceux que la lecture de l'anglais n'intimide pas, voyez aussi, plus récents et bien plus actuels encore que Jaspers, et cohérents avec ses opinions:
Michael S. Gazzaniga: "The Mind's Past". University of California Press, Ltd., London England, 2000. ISBN 0520-22486-8 (201 pages passionnantes)...
et l'ouvrage collectif (1294pages! plus pour professionnels et étudiants éclairés) dirigé par Michael S. Gazzaniga:
"The Cognitive Neurosciences". A Bradford Book, MIT Press, 2009 MIT, ISBN 978-0-262-01341-3

A cet "arbre de science" que constituent les connaissances en psychiatrie et en neuropsychiatrie, il serait peut-être grand temps chez nous de donner de l'air et de la lumière aux branches fertiles et prometteuses d'avenir qu'il porte enfin, en élaguant les branches stériles et en arrachant les rameaux depuis longtemps morts qui l'encombrent et l'étouffent. Le travail des "psys" en serait facilité d'autant et leur spécialité en quelque sorte rajeunie et sans doute mieux perçue, le sort des malades devrait s'en trouver amélioré.
Qui donc aura le courage et peut-être la témérité (?) de s'atteler à cette tâche aux dimensions qui peuvent apparaître surhumaines au point de toujours dissuader de l'entreprendre?


Première publication: 29 Août 2011 (J.D.) Dernière modification: 29 Août 2011