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L' O.M.S. (W.H.O.) a pondu un volumineux rapport sur "La santé dans le monde en 2001", consacré exclusivement à la "Santé mentale".

Est-ce un nouvel exploit de "casques bleus désarmés"?

Mise en ligne le 4 octobre 2001, la version en français est une brique de plus de 91 feuillets au format A4 imprimés recto-verso (200 pages). Ceux dont la curiosité serait suffisamment éveillée pour se risquer à en entreprendre la lecture peuvent télécharger ce document (format .PDF, 2.743 Ko) depuis le site suivant: www.who.int/whr (mais un exemplaire papier du Rapport sur la Santé dans le Monde peut aussi être obtenu depuis la Belgique en passant commande à: bookorders@who.int, pour la modique (?) somme de 15 Francs suisses). Il est accompagné de quatre "aide-mémoire" et d'un "Communiqué de Presse" séparés, censés fournir un abrégé condensé du rapport lui-même (attention! Très abrégé, très condensé et, de plus, dénaturé de manière regrettablement orientée vers ce qu'on pourraît appeler le "psychiatriquement et politiquement correct"). Ces aide-mémoire sont destinés sans doute à ces journalistes, à ces responsables politiques ou encore à ces "professionnels de la santé" qui, toujours pressés, seraient peu soucieux de s'imposer la lecture de l'original dans son entièreté.

Compte tenu de la réputation - ou du prestige, sans vouloir préjuger de leur bien-fondé - que beaucoup seraient habituellement tentés d'accorder aux organisations dites humanitaires dépendant de l'O.N.U., on peut s'attendre à ce que, sous peu, la presse de nombreux pays en général, et du nôtre en particulier, mais aussi nos politiques, s'emparent avidement des déclarations sans nuances contenues dans ces aide-mémoire et s'en servent pour, au choix, vanter la prise de prétendues mesures ou dénoncer leur absence, c'est-à-dire justifier comme condamner, à leur convenance du moment, tout et n'importe quoi et leurs contraires (on en a l'habitude).
Il ne peut être question de procéder ici à l'analyse critique détaillée que ce "Rapport" mériterait pourtant, car elle serait beaucoup trop longue et fastidieuse. Nous voudrions seulement mettre en garde contre l'acceptation crédule et aveugle de toutes les affirmations que certains croiraient y trouver, sous prétexte qu'elles émaneraient d'experts sponsorisés par l'O.M.S. (et donc, indirectement, par l'O.N.U.). On se contentera donc de quelques extraits démonstratifs (les lecteurs en jugeront), choisis pour leur exemplarité. La plupart peuvent être trouvés déjà dans le chapitre intitulé "Résumé" (Overview), mais les autres chapitres, eux non plus, ne sont pas exempts de passages discutables, loin de là. On mentionnera aussi des extraits des "aide-mémoire" car, par leur brièveté bien commode, ils risquent de flatter les tendances naturelles à la facilité de certains médias qui les relayeront sans vraiment en examiner ni vérifier la teneur.

D'entrée de jeu, le ton de compassion un peu miséricordieuse est donné qui, sous prétexte de "positiver" - sans toutefois rien arranger -, prévaudra systématiquement dans l'ensemble des documents. Mais nous voilà prévenus.

Le Directeur général de l'O.M.S., Mme le Dr Gro Harlem Brundtland, dans son message d'introduction au rapport, nous affirme: (p. ix) "La maladie mentale n'est pas un échec personnel." ("a personal failure", dans la version anglophone).

Il aurait été plus juste (et plus honnête intellectuellement) de dire que la maladie mentale est un accident fortuit et malheureux qui fait, de la vie de sa victime, un échec très personnel dont celle-ci n'est en rien elle-même responsable et encore moins coupable (pas plus que son entourage, d'ailleurs). Nous disions déjà, en introduction sur notre site MENSSANA, que la maladie mentale ampute ses victimes de tout ou partie de ces caractéristiques et capacités qui participent de (et à) leur humanité, elle les dépossède de ces qualités particulières, uniques, qui nous rassemblent tous dans cette humanité. Comment dès lors ne pas ressentir pareille amputation comme une injustice, un réel échec de la vie? Et comment un échec de cette nature pourrait-il n'être pas partie intégrante de la personne, enfoui au plus intime d'elle-même, comment pourrait-il n'être pas personnel? Seuls, sans doute, des spectateurs distants, touchés ("concernés") seulement en apparence, et aussi lénifiants que soient les discours qu'ils s'efforcent de tenir, peuvent croire ou prétendre croire que la maladie mentale n'est pas un "échec personnel" pour celui qui en est atteint.
Bien au contraire, la maladie mentale est peut-être même l'exemple par excellence de l'échec personnel, car elle détruit précisément et tout d'abord ces moyens personnels-là, ceux-là seuls auxquels la personne pourrait faire appel pour, en la combattant, se libérer de la maladie ou pour la dominer, ou encore pour s'en accommoder faute d'autre solution. La maladie mentale ne peut donc que condamner à un échec, plus ou moins important selon les circonstances et les cas. Cela, ceux qui proclament se préoccuper du sort des malades mentaux semblent systématiquement l'oublier, voire l'ignorer. Parmi ces "experts" et "responsables", nombreux sont ceux qui, tout à la fois affectent de s'évertuer à "enseigner" aux malades comment surmonter ou contourner quoi? précisément cet échec qu'ils se refusent de voir et de nommer, comme s'ils pouvaient ainsi effacer ce dont, en même temps, ils prétendent nier l'existence.

Le Directeur Général nous dit aussi (p. ix): "Rien ne justifie en effet que l'on mette au ban de la société ceux qui souffrent d'un trouble mental et cérébral: tout le monde y a sa place." ("... there is no justification for excluding people with a mental illness or brain disorder from our communities - there is room for everyone.")
Pareille affirmation n'est qu'un affichage faussement naïf de bons sentiments, parfait exemple de confusion délibérée de ses désirs avec la réalité (wishful thinking). Elle occulte les véritables problèmes de société qui, dans nos systèmes occidentaux "développés", rendent aux malades mentaux l'existence souvent invivable. Il serait en effet souhaitable que chacun puisse trouver sa place dans notre société (qui oserait contester cela?). Mais encore faudrait-il pour cela fournir à chacun les moyens de se trouver ou de se créer cette place; et si aucune place acceptable n'existe dans notre société pour ceux dont les moyens mentaux diminués leur interdisent de s'y imposer par leurs propres moyens, sans doute serait-il impérieux que notre société y pourvoie et crée, à leur intention particulière, des espaces aménagés de vie ou l'existence leur serait rendue supportable.
Il est donc faux de dire que "tout le monde y a sa place". Il serait plus juste (et plus honnête intellectuellement) de dire que tout le monde devrait y avoir une place (there should be room for everyone).
Nos citoyens ne mettent pas délibérément les malades mentaux au ban de la société, et chacun de nous pourrait sans doute, bien assuré qu'il est et persuadé de sa propre bonne conscience, se récrier lorsqu'il entend émettre l'opinion contraire. En réalité, l'attitude générale est bien plus hypocrite et pernicieuse. Notre société industrialisée, en permanence obsédée surtout par la poursuite de la productivité et du "meilleur rendement", n'a tout simplement pas prévu de place pour ces citoyens "hors normes" que sont les malades mentaux dont, aujourd'hui encore, elle ne sait toujours pas que faire. Elle les exclut donc de fait, automatiquement, en ignorant leur existence, ce qui est le plus commode, et elle ne reconnaît pas sa part de responsabilité dans cette situation et dans toutes les conséquences qui en découlent.

Le Dr Gro Harlem Brundtland nous dit (p. x): "Nous savons que les troubles mentaux résultent de nombreux facteurs et ont une origine physique dans le cerveau." ("We know that mental disorders are the outcome of many factors and have a physical basis in the brain.")
Ceci est inexact. Il serait plus juste (et intellectuellement plus honnête) de dire que: nous ne connaissons pas les causes des troubles mentaux, même si nous savons qu'ils sont la manifestation finale d'altérations bien matérielles (organiques) du cerveau. C'est pourquoi nous sommes forcés de supposer que de multiples facteurs puissent être à leur origine, dont nous ne pouvons aujourd'hui négliger aucun, sans toutefois non plus pouvoir en désigner aucun en particulier avec une quelconque certitude.

Le Dr Gro Harlem Brundtland nous dit (p. x.): "La dépression majeure est aujourd'hui la première cause d'incapacité dans le monde en général et figure au quatrième rang parmi les dix principales causes de la charge globale de morbidité. Si les projections sont correctes, elle aura dans une vingtaine d'années le triste privilège d'accéder à la seconde place." (Major depression is now the leading cause of disability globally and ranks fourth in the ten leading causes of the global burden of disease. If projections are correct, within the next 20 years, depression will have the dubious distinction of becoming the second cause of the global disease burden.)
Notons que, dans ce passage, c'est bien la dépression majeure qui est désignée, et dont on nous dit que les cas ne cessent d'augmenter. Rappelons ici, car ils sont justement pertinents, les propos du professeur Isidore Pelc (psychiatre U.L.B., hôpital Brugmann à Bruxelles), rapportés dans le quotidien belge "Le Soir" en date du 7 avril 1999. Il nous disait alors: "Si l'on est puriste par rapport à la nosographie psychiatrique, [traduisons: si l'on s'en tient à la stricte définition psychiatrique de la dépression majeure] il n'y a pas d'augmentation. [...] Il ne faut pas confondre maladies mentales et mal-être."

Voilà déjà, et pour seulement les deux premières pages d'introduction au "Rapport" de l'O.M.S., c'est-à-dire le "message du Directeur Général", quelques unes des remarques et quelques commentaires qu'on devrait faire. S'il fallait ici passer en revue la totalité du document pour en analyser les vérités mais aussi les erreurs qui en déforcent ou même en déforment malencontreusement les vérités, ni vous, ni moi n'en aurions fini avant longtemps. Limitons-nous donc à quelques exemples caractéristiques.

Dans le communiqué de presse diffusé par l'O.M.S. le 4 octobre 2001, portant le titre "Une personne sur quatre souffre de troubles mentaux" et annonçant l'existence du rapport sur la santé mentale "dans le monde", on nous déclare de manière péremptoire:
"Il existe des traitements, mais près des deux tiers des personnes que l'on sait souffrir d'une pathologie mentale, ne vont jamais se faire soigner auprès d'un professionnel de la santé. Le rejet social, la discrimination et les négligences empêchent ces malades de bénéficier des traitements,..."
mais aucun des rédacteurs de ce communiqué ne semble avoir éprouvé le besoin de se poser les questions (et encore moins d'y répondre!) que de telles affirmations catégoriques ne devraient pourtant pas manquer de soulever. Si elles ne vont jamais se faire soigner, comment connaît-on les personnes qu'on "sait souffrir d'une pathologie mentale"? Comment connaît-on leur nombre? Comment saurait-on de quelle pathologie mentale elles auraient à souffrir et quels seraient les traitements appropriés?

Tout un chacun (mais les responsables du communiqué ne sont sans doute pas tout un chacun!) devrait savoir qu'une "pathologie mentale" sérieuse, justiciable d'un "traitement psychiatrique", ne s'identifie pas (ne se "diagnostique" pas) en quelques minutes de consultation et d'examen clinique, comme on le ferait peut-être pour une simple écorchure, une jambe cassée ou même l'un ou l'autre trouble respiratoire, voire cardiovasculaire ou digestif relativement courant. De plus, même une fois le "diagnostic psychiatrique" posé (quel qu'il soit!), après parfois plusieurs semaines de "consultations" successives, rien ne permet de prédire avec certitude que le premier traitement choisi sera approprié, et encore moins qu'il sera efficace. Il faudra attendre d'en constater les effets pour en décider. Les auteurs de ce communiqué de presse auraient pu faire à leur public la politesse de lui expliquer comment leur boule de cristal permet de dénombrer les malades qui ne viennent pas voir le psy, alors que pourtant et selon eux, ils le devraient.

Dans l'aide-mémoire intitulé "Troubles mentaux et du comportement", à propos de "la" schizophrénie, on nous dit: "Jusqu'à une époque récente, environ un tiers des patients guérissaient complètement. Avec les progrès de la chimiothérapie et des soins psychosociaux, près de la moitié des personnes chez qui se déclare une schizophrénie peuvent désormais espérer une guérison complète et durable." (sic). Il semblerait que les rédacteurs de ce remarquable morceau d'anthologie euphémique aient eux-mêmes craint que la notion de simple guérison pouvait n'apparaître que peu convaincante, et qu'ils aient voulu la rendre plus plausible par l'adjonction de qualificatifs (malheureusement révélateurs de restriction mentale par leur caractère redondant).
Dès la deuxième phrase de cet aide-mémoire, tous les lecteurs, qu'ils soient profanes ou même s'ils fréquentent des milieux médicaux et paramédicaux sont, insidieusement et de manière inadmissible, gravement induits en erreur. Cette phrase dit en effet: "On peut désormais diagnostiquer ces pathologies [les "troubles mentaux ou du comportement"] de manière aussi fiable et précise que la plupart des troubles physiques courants." On peut la retrouver, à quelques nuances et "précisions" près, en page 22 du "Rapport" lui-même: "Enfin, les critères diagnostiques ont été normalisés au niveau international. On peut donc désormais diagnostiquer les troubles mentaux avec autant de certitude et de précision que la plupart des troubles physiques courants. La concordance des diagnostics de deux experts se situe en moyenne entre 0,7 et 0,9 (Wittchen et al.,1991; Wing et al., 1974; OMS,1992; APA,1994; Andrews et al., 1995). Cette fourchette est la même que pour des troubles physiques comme le diabète sucré, l'hypertension ou les coronaropathies."
Pour faire comprendre l'intoxe que cette phrase encourage, rien de mieux que de reprendre les explications lumineusement simples du psychologue britannique Richard Bentall (on en trouvera la référence précise dans notre dossier .PDF sur la schizophrénie). Ces explications, à l'origine, concernent "la" schizophrénie, mais nous pensons qu'elles sont tout aussi valables pour la plupart des syndromes psychiatriques, et particulièrement pour toutes les "pathologies psychiatriques psychotiques chroniques".
Mr Bentall nous dit:

"Pour déterminer si le concept de schizophrénie [ici, vous pouvez remplacer "schizophrénie" par n'importe quel autre diagnostic psychiatrique de votre choix, aussi fantaisiste que vous voudrez - J.D.] est utile, soit pour des buts cliniques, soit pour la recherche, il faut lui faire subir deux tests: celui de la fiabilité et celui de la validité. Le premier test évalue la mesure dans laquelle les cliniciens parviennent à se mettre d'accord entre eux pour décider qui a droit au diagnostic, tandis que le second estime dans quelle mesure le diagnostic est cohérent lorsqu'on l'évalue par d'autres critères (par exemple si les symptomes se regroupent de la manière prévue, s'ils ont un aboutissement [pronostic, outcome] particulier et si ils répondent à un traitement particulier). La fiabilité est un critère nécessaire mais non suffisant de validité.

Un diagnostic ne peut être valide à moins d'être d'abord fiable, alors qu'il peut être fiable sans être valide.

[...] Ces préoccupations conduisirent au développement de manuels diagnostiques (par exemple, DSM-IV et ICD-10) qui indiquent de manière précise quels sont les symptomes requis pour pouvoir poser le diagnostic de schizophrénie [ou de XYZ - J.D.]. Il n'y a aucun doute que des cliniciens se servant d'un même manuel diagnostique tombent habituellement d'accord sur qui est atteint de schizophrénie [ou de XYZ - J.D.] et qui ne l'est pas. Cependant, il est important de se rendre compte que les critères décrits dans les manuels diagnostiques n'ont pas été écrits sur la base d'une recherche empirique mais sont, en fait, du folklore psychiatrique officialisé par des comités de distingués psychiatres."

Retenons donc bien ceci, que le "Rapport..." semblerait vouloir nous faire oublier: "La validité d'un diagnostic psychiatrique, c'est-à-dire sa valeur prédictive: pour l'évolution et les péripéties de l'affection, pour le choix du traitement et l'efficacité de celui-ci et pour le pronostic à long terme, n'a de rapport que très ténu et très aléatoire avec sa fiabilité (c.à.d. la concordance entre diagnostiqueurs).
Dans ces conditions, les patients et leurs proches, qu'en ont-ils à f......, du nom particulier qu'on met "avec beaucoup de précision et de certitude" sur leur maladie?

A de multiples reprises, on peut retrouver dans le "Rapport..." la confusion systématique entre corrélation statistique et relation de cause à effet (c'est une des erreurs des plus constantes du secteur psychiatrique et des plus fréquentes dans beaucoup de publications psychiatriques et "psycho-sociales"). Il en résulte, presque inéluctablement, selon les inspirations et tendances personnelles, les circonstances particulières, les modes du moment et l'opportunité politique, des interprétations contestables sur les causes et les effets des troubles mentaux et, fréquemment, on prend les effets pour les causes et vice versa.

  - C'est le cas pour le rôle prétendu de l'influence de "l'émotion exprimée" sur la fréquence de récidive de schizophrénie, alors qu'on ne semble jamais se poser la question de savoir si, à l'inverse, ce n'est pas la sévérité plus grande des troubles mentaux qui ne peut qu'entraîner, très naturellement, une émotion accrue chez l'entourage;

  - c'est aussi le cas de l'interprétation de l'évolution des troubles mentaux, qui serait plus favorable quand les patients sont "soignés" en traitement ambulatoire qu'en institution psychiatrique. A nouveau, on ne semble jamais évoquer la possibilité que si certains patients sont gardés en institution, c'est peut-être justement parce que, d'emblée, la sévérité de leurs troubles ne permet pas d'autre solution, et le pronostic en est, dès le départ, évidemment moins bon;

 - un autre exemple de raisonnement défiant le bon sens a trait aux interactions entre pauvreté et troubles mentaux (v. p.14). Depuis que le monde est monde, tout le monde sait bien (sauf les socio-psychologues?) que les troubles mentaux entraînent de multiples incapacités, dont découle la perte des revenus, donc aussi la dégringolade sociale en même temps que la pauvreté. Prétendre le processus inverse, c'est entretenir la controverse et permettre de ne traiter correctement ni la pauvreté, ni les troubles mentaux. La "Santé Mentale" devient le nouvel âne de Buridan. Certains y trouvent peut-être leur avantage.

 - On nous dit encore (p.114): "Ils [les soins communautaires] sont aussi plus économiques et plus respectueux des droits de l'homme."

Avant d'en terminer, attirons encore l'attention sur une des "Recommandations Générales" de ce "Rapport...". Il y est dit qu'il faut "Traiter les troubles [mentaux] au niveau des soins primaires". Qu'est-ce que les "soins primaires"? Bien que ces deux mots jumelés reviennent à de multiples reprises tout au long de ce volumineux rapport, leur définition n'a été donnée nulle part, sans doute parce que les auteurs de "cette publication très importante" (this landmark) n'ont pas voulu s'y risquer. On peut les comprendre. Ils voulaient un rapport aussi général que possible.

Les structures, les moyens et l'organisation des soins de santé sont très disparates dans l'ensemble du monde. Sans doute cela est-il valable aussi pour ce que l'O.M.S. appelle les "soins primaires" (on n'en retrouve pas non plus de définition - à moins qu'elle ne soit bien cachée - sur les autres pages WEB du site de l'O.M.S.)
En ce qui concerne la Belgique, peut-être pourrait-on croire que les "soins primaires" correspondent à ce que certains de nos ministres, qui semblent aimer les termes martiaux (signe d'énergie, donc d'activité!), appellent les "soins de première ligne". La signification réelle de cette dénomination n'est guère beaucoup plus certaine que celle de l'O.M.S. Tentons de nous contenter, pour le moment, d'une définition simple pour tout un chacun, pour le citoyen commun de notre pays: les soins primaires, c'est ceux que nous pouvons recevoir chez notre médecin généraliste, ou au dispensaire situé au bout de la rue, ou à l'hôpital le plus proche (le moins éloigné) de chez nous; dans tous ces lieux, nous pouvons consulter et recevoir des soins sans trop (?) attendre.
Cependant, ces structures de "soins de première ligne" ne conviennent aucunement aux exigences spécifiques de la "Santé Mentale" parce qu'elles ne tiennent aucun compte des particularités propres aux maladies mentales; elles leur sont aujourd'hui totalement inadaptées, même dans des pays réputés "développés" comme, par exemple, la Belgique.
Plutôt que de recommander, de manière générale et vague, de "traiter les troubles au niveau des soins primaires", les auteurs du rapport auraient, au moins, fait oeuvre utile s'ils s'étaient contentés de définir toutes les caractéristiques et les critères généraux minimum auxquels ces "soins primaires" devraient répondre quand il s'agit de la "Santé Mentale" et de maladies mentales.

Etablir un "Rapport..." qui s'applique indifféremment à toute la planète, c'est se forcer à rester très général et vague, et c'est aussi risquer que les recommandations qui y figurent, à force de vouloir englober tous les pays, de l'avis de chacun ne s'appliquent jamais qu'aux autres.
C'est aussi le moyen le plus sûr d'encourager chaque pays à ne prendre du rapport que ce qui semble lui convenir, même si cela revient à ne rien faire réellement.
Vous n'êtes évidemment pas obligés de nous croire. Pour vous forger votre propre opinion, allez donc voir le site de l'O.M.S. déjà mentionné plus haut:

www.who.int/whr

En "annexe" de ce qui précède, et pour confirmer, si besoin était, le dernier paragraphe ci-dessus, mentionnons ce qui suit, qu'apprécieront certainement tous ceux qui, en Belgique, se préoccupent vraiment des malades mentaux.

A l'occasion de la 54ème Assemblée Mondiale de la Santé (O.M.S.), des "Tables Rondes Ministérielles" ont été organisées, qui se sont tenues en mai 2001. Un document de l'O.M.S. est disponible sur le site de cette organisation, qui en résume la teneur. On y trouve notamment l'intervention de la ministre belge Magda Aelvoet. Nous n'avons pas pu résister au (douteux) plaisir (?) de vous en présenter le compte-rendu original in extenso. Les soulignements et chiffres (liens) entre parenthèses ont été rajoutés par nous.

Tables Rondes Ministérielles 2001 (O.M.S.) Belgique

Mme Aelvoet dit que l'on constate en Belgique, comme dans beaucoup d'autres pays, une augmentation de la demande de traitements psychiatriques et cela malgré une croissance économique importante, ce qui tend à montrer que la richesse en soi n'est pas une solution(1). De plus, la stigmatisation est encore largement répandue(2); les personnes atteintes de troubles mentaux ne sont pas traitées de la même manière que celles qui ont des maladies physiques et tendent à être considérées comme anormales. Au cours des 25 dernières années, on s'est employé à encourager les malades à rester chez eux et, donc, à leur permettre de continuer à travailler et à fonctionner normalement(3). Cela a été rendu possible par le développement des soins de première ligne ainsi que des services d'aide et de soins à domicile(4), en plus des soins ambulatoires et en institutions. En 2001, le budget de la santé a été augmenté de 10 %, soit plus que tout autre poste des dépenses publiques. L'idée a été admise que les malades chroniques, au nombre desquels les personnes souffrant de troubles mentaux, devraient recevoir un soutien financier et institutionnel. Un système de plafonnement des dépenses annuelles des malades a également été mis en oeuvre, tout ce qui dépasse le plafond fixé étant couvert par un système de remboursement, compte dûment tenu des conditions socioéconomiques de chacun. Au sujet de la sexospécificité, il a été établi que les femmes sont davantage dépendantes des drogues légales, alors que les hommes tendent à être dépendants de l'alcool. Pour toutes les questions d'importance nationale, y compris la santé, il est stipulé qu'un tiers au moins des membres des commissions nationales doivent être des femmes(5).

(1): mais une solution en soi à la pauvreté! (1)
(2): uniquement dans l'esprit de ceux qui en font le sujet de leurs discours! (2)
(3): Quel remarquable euphémisme politicien! Traduisons: au cours des 25 dernières années, on s'est employé à supprimer le plus grand nombre possible de "lits psychiatriques", expulsant ainsi des institutions psychiatriques de nombreux malades mentaux chroniques, les renvoyant dans leurs familles quand celles-ci existaient encore et étaient capables de les accueillir et, sinon, les mettant à la rue tout simplement. Quant à leur remise au travail ("normalement", comme on ose le dire!), elle relève du plus pur fantasme ministériel et de la désinformation. (3)
(4): Le "développement des soins..." est, lui aussi, plus un mot dont l'existence se trouve dans la bouche des politiques qu'une chose réelle, mais la chose ainsi évoquée se recherche vainement sur le terrain. (4)
(5): Voilà qui va certainement faire un immense plaisir à tous les commissaires mâles se morfondant pendant les séances, et bien faire évoluer leurs rapports de commissions! Mais, à propos, quelle est donc la relation avec la situation des malades mentaux? (5)


Première publication: 21 Octobre 2001 (J.D.) Dernière modification: 2 Novembre 2001

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