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ANALOGIES ET COMPARAISONS REGRETTABLES, LIAISONS DANGEREUSES
(Loin des yeux, loin du cœur?)

"Ignorance is preferable to dogma. We do not have to believe, but we often do. For some it is less painful and more consoling than to remain suspended in midair on a string of doubts. There is only one dogma in science: do not blindly believe in any dogma"
Petr Skrabanek, "In defense of destructive criticism", Perspectives in Biology and Medicine 30, 1, 1986
("L'ignorance est préférable au dogme. Bien que nous ne soyons pas obligés de croire, pourtant nous sommes souvent croyants. Pour certains, cela est moins douloureux et plus consolant que de rester "suspendu entre ciel et terre, accroché à un chapelet de doutes". En science, il n'existe qu'un seul dogme: n'accordez jamais aveuglément confiance à aucun dogme.")

Première partie:
Depuis quelques années déjà, des controverses ou même de vives polémiques se développent dans l'opinion publique, encouragées par un sentiment ambiant de pessimisme, de malaise et d'insécurité (qui reflète les craintes d'un avenir qu'aujourd'hui chacun de plus en plus imagine qu'il sera bien plus sombre encore que le présent et le passé récent). Ces disputes sont reprises, alimentées, entretenues et amplifiées par tous les partis et personnages politiques, à tour de rôle ou même tous ensemble et de quelque "couleur" idéologique ou dénomination partisane qu'ils soient. A l'occasion de l'un ou l'autre fait divers plus ou moins retentissant ou, quand au contraire l'actualité semble quelque peu s'assoupir, les disputes sont périodiquement réveillées et ranimées par les médias pour, selon le cas et les idéologies, critiquer et attaquer plus ou moins violemment un gouvernement actuellement aux affaires, ou encore celui ou ceux qui l'ont précédé (ceux-là qui, bien sûr (?), sont accusés - à tort ou à raison, là n'est pas la question - de nous avoir légué en Europe la situation économique et sociale présente si difficile à contrôler et à maîtriser).

Certains ténors politiques, qu'au choix on pourra trouver plutôt simplistes ou sommaires, disent vouloir privilégier en priorité la sécurité des populations mise(s), paraît-il, en danger par la recrudescence affirmée, voire proclamée à grands cris de la délinquance et de la criminalité. Cultivant à plaisir toutes les peurs et sans s'embarrasser de nuances, ils préconisent la multiplication des peines de prison (de préférence de plus en plus sévères) dont ils veulent croire et prétendent qu'elles dissuaderaient les criminels et délinquants prospectifs de commettre leurs crimes ou délits.

Mais aussi, ces tribuns semblent souvent ne réfléchir et ne prévoir (gouverner, ce ne serait donc plus prévoir?) qu'à très court terme [peut-être jusqu'à la prochaîne échéance électorale? Peut-être ne pensent-ils qu'à leur carrière politique personnelle plutôt qu'à l'avenir humain et à la réinsertion sociétale des condamnés incarcérés, ce à quoi sans doute ils n'accorderaient une attention que de façade et quelque peu épisodique?]. Très probablement, nombre d'entre ces hommes et femmes politiques au discours énergique et simpliste visant surtout à séduire ces personnes-là qui, d'avance, ne sont pas trop sourcilleuses quant au respect de l'éthique et des principes du droit - ces politiciens voulant rallier à leur camp et à leurs vues tous les amateurs impatients de solutions simples et expéditives - , [se] disent à chaque condamnation prononcée de réclusion pénitentiaire d'un délinquant ou d'un criminel: "Ah! En voilà toujours un(e) [de plus] dont on pourra annoncer et se féliciter que, prestement et très efficacement, il/elle a été retiré(e) de la circulation, cela en fera toujours un(e) en moins à nous embêter désormais" (in petto: "nous", c.-à d. "moi et la société dont je prétends pouvoir me réclamer puisqu'elle m'a élu(e).")

Ces "répressifs sécuritaires" négligent apparemment de se préoccuper de la logistique que la mise en application de leur philosophie devrait supposer et comporter en préalable obligé. Cela ne semble-t-il pas signifier que leur discours pourrait en réalité n'être que de la "com" électoraliste? On peut en effet craindre que cette hypothèse soit des plus plausibles, car si les logistiques de l'appareil policier et de la justice - sur lesquelles en grande partie reposent la prévention et la répression de la criminalité - devaient malencontreusement s'avérer inexistantes ou du moins n'être pas à la hauteur des besoins requis pour pouvoir atteindre les objectifs annoncés, la "philosophie" répressive et sécuritaire tant vantée serait de toute évidence d'avance avortée ou mort-née et ne pourrait tout au plus que se résumer à une opération de pure communication électoraliste et uniquement publicitaire (c.-à d. un vœu pieux plutôt hypocrite).

On nous apprend à tous et tous les jours que les tribunaux, manquant de personnel et de moyens budgétaires, sont submergés par de nombreux procès, à tel point que ceux-ci ne peuvent se tenir qu'après des délais excessivement prolongés à la suite des faits délictueux à juger. Le souvenir précis des détails de ces faits finit alors par s'estomper dans la mémoire du public encombrée d'innombrables soucis plus récents ou peut-être plus proches de leur quotidien banal; en même temps, les prisons (non seulement trop peu nombreuses (?) mais aussi encore trop souvent [fort] vétustes et insalubres) pour ainsi dire débordent de détenus littéralement entassés les uns sur les autres, dont beaucoup sont maintenus en détention "préventive" en attendant bien trop longtemps - et dans quelles conditions de promiscuité et d'hygiène! - que leur jugement, enfin rendu, soit les condamne à l'incarcération, soit leur rende finalement la liberté en cas d'éventuel non-lieu.

Faut-il donc croire qu'aux "sécuritaires du tout répressif", peu importerait que "l'intendance" [p.ex. de la Justice] suive ou ne suive pas? Pourtant, cette intendance ne date pas d'aujourd'hui et ils en connaissent bien les divers rôles et la nécessité, puisqu'en principe ils en font voter les budgets...
Qui veut la fin veut les moyens. Ne pourrait-on pas raisonnablement renverser l'énoncé de ce proverbe bien connu (depuis Machiavel?), et par conséquent soupçonner que si ceux qui n'ont jusqu'à présent pas éprouvé un besoin suffisant de se doter des moyens de leur action annoncée, c'est peut-être parce qu'en fait, ils se soucieraient peu d'effectivement vouloir la fin que pourtant très bruyamment ils promettent de poursuivre?

Si on veut vraiment se doter des moyens de cette politique purement répressive et sécuritaire, ne devrait-on pas commencer par non seulement vouloir mais aussi par entreprendre de rénover les anciennes prisons et d'en construire de nombreuses supplémentaires, et d'y consacrer le budget correspondant à leur importance et en proportion de leur nombre prévu? Ne faudrait-il pas aussi décider des lieux de leurs nouvelles implantations, ne serait-ce pas désigner d'autorité les emplacements réservés à celles-ci, par conséquent ne serait-ce pas risquer aussi de se heurter à la répugnance, voire d'avoir à affronter l'opposition des populations locales concernées (des citoyens électeurs et de leurs représentants élus!) qui, peut-être avec quelque raison craignent de voir pareilles implantations surgir et s'installer à demeure à côté de "chez eux", et en jugent le voisinage très peu souhaitable car tout à la fois "dévalorisant" (pour le tourisme et pour le "foncier") et peut-être inquiétant à bien d'autres points de vue?

Sérieusement vouloir disposer des moyens, n'est-ce pas aussi s'imposer et s'engager à former et à recruter du personnel pénitentiaire compétent en nombres suffisants, ce qui, compte tenu de la réputation peu motivante et des peu séduisantes conditions de travail réservées de tous temps aux acteurs des métiers impliqués, risque de ne guère susciter les vocations ni d'encourager d'exceptionnels postulants uniquement motivés par "l'exaltante perspective du métier" à se presser à l'embauche.
Ne nous aventurons pas non plus à calculer ici ce que tout cela coûterait à chaque contribuable déjà pressuré par les charges fiscales, éprouvé par le chômage et fragilisé par une longue crise économique, sociale et financière difficilement contenue, subie et de moins en moins bien supportée...

De leur côté, les partisans de vues opposées à "la prison à tout-va", tenues pour plus humanistes et plus nuancées - ceux qu'ici on pourrait appeler les "rééducateurs" et que d'autres dénommeront sans doute les "laxistes" par opposition aux "répressifs" - rappellent que, au contraire de ce que veulent nous persuader ces "sécuritaires répressifs" inconditionnels, une expérience acquise fort ancienne devrait leur avoir appris que les incarcérations (d'une durée variable mais qui, néanmoins et forcément, ne peut qu'être toujours limitée en pratique) n'ont, jamais ni nulle part, apporté la garantie assurée et généralisable d'empêcher indistinctement toutes les récidives susceptibles de survenir après l'inéluctable (et finalement quand même souhaitable!) levée d'écrou finale.

Ce dernier constat peut nous porter à déjà soupçonner que, au moins pour une proportion indéterminée de criminels et délinquants tant potentiels qu'avérés, jugés et condamnés, ni la perspective d'une possible peine de prison, ni l'expérience personnellement vécue de l'incarcération pénitentiaire ne risquent d'être dissuasives d'un premier faux pas pour les uns, ou préventives d'une récidive pour les autres. Logiquement donc, sans doute ne devrait-on pas naïvement attendre des séjours en prison qu'ils contribuent à faire sensiblement baisser les taux actuels de délinquance et la criminalité de manière à rassurer pleinement tous les citoyens et à satisfaire entièrement l'opinion publique dans son ensemble.

Le scepticisme quant au succès des conséquences sociales "souhaitables" que certains escomptent du recours accru aux peines de prison est encore renforcé par l'observation des conditions actuelles déplorables de détention pénitentiaire qui ne peuvent, semble-t-il, que favoriser la transformation des séjours en prison en ce qu'on pourrait être tenté d'appeler des stages d'apprentissage et de perfectionnement de la délinquance par l'exemple, alors que parfois on voudrait laisser croire qu'on s'efforcerait d'en faire, autant qu'il serait souhaitable et peut-être possible, une étape surveillée et encadrée de réhabilitation morale, sociale et professionnelle en institution de rééducation.
Mais sans doute devrait-on, tout au contraire, constater qu'aujourd'hui bien des séjours en prison seraient plutôt comparables à une sorte de "longue visite guidée", à une espèce d'exploration imposée équivalente à une promotion des diverses "modalités" possibles de délinquance dont les exemples, les acteurs et promoteurs sont commodément rassemblés, accessibles et disponibles en permanence et sur place, voire ces détentions constitueraient une incitation ou un encouragement - bien sûr involontaires et fortuits! - à la récidive? Mais sans doute est-ce là faire preuve de ma part d'une imagination morbide, pessimiste et tout à fait excessive!

A en juger d'après ce qu'on nous apprend chaque jour par l'intermédiaire des médias et de la presse (en Belgique et en France), pour désengorger les prisons et pour ainsi humaniser (provisoirement?) les conditions matérielles de détention (en attendant de disposer de nouvelles et "meilleures" prisons?), les autorités ont pu imaginer d'écourter certaines peines de détention (surtout les moins longues) et de les remplacer ou de les "compléter" par des peines de substitution dites "de probation", subies en milieu "ouvert" ou "semi-ouvert" et assorties de "travaux d'intérêt général". On veut croire que pareilles mesures permettraient de surcroît de promouvoir une certaine formation professionnelle des délinquants (principalement les jeunes), ce qui, théoriquement du moins et une fois leur peine accomplie, en plus de présenter une valeur "éducative et formative" (supposée) , devrait également faciliter leur réinsertion dans le monde du travail et leur reclassement dans la société. On suppose donc (on espère) de plus que la tentation des récidives devrait s'en trouver atténuée.

Ceux qui, très humainement et sans aucun doute sincèrement animés des meilleures intentions, ont décidé d'instaurer ces "peines alternatives", n'ont semble-t-il pas encore vraiment bien compris que la logistique nécessaire à la mise en œuvre de ces dispositions est beaucoup plus lourde encore que celle accompagnant les détentions en milieu carcéral. Il devrait être évident pour tout un chacun que, contrairement à ces dernières, nécessairement elles supposent l'encadrement très continu et assidu et l'accompagnement individualisé (personnalisé) et permanent de chaque individu "détenu" en période de probation, ce qui implique un personnel de "surveillants" (au dévouement proche de l'apostolat), très spécialisés bien plus nombreux et aux compétences fort diverses (que les coûteux moyens de surveillance électronique ne peuvent à eux seuls suffire à remplacer), et représente une charge financière bien plus lourde et un budget conséquent bien plus important que celui dont on se contente depuis toujours pour les détentions pénitentiaires traditionnelles. A-t-on seulement pensé à cet aspect des choses? Où donc sont-ils aujourd'hui, où donc trouver et prendre les moyens humains et financiers indispensables au succès de pareille entreprise?


Dans ce qui vient d'être rappelé ci-dessus sont généralement (habituellement) inclus les problèmes liés à la sécurité des personnes et à leur protection, au maintien de l'ordre et à la réparation des dommages aux personnes et aux biens causés par le comportement délictueux ou criminel d'autres personnes, et à la définition de la sanction à infliger à ces dernières (tout cela concerne principalement ce qu'on appelle les forces de l'ordre - c.- à d. la police et la gendarmerie - ainsi que la Justice et son administration). La discussion détaillée de tous ces problèmes n'a bien évidemment pas sa place ici.


Deuxième partie:
Il y a un deuxième domaine mal-aimé de notre vie en société qu'on néglige (ou qu'on s'empresse d'oublier ou qu'on s'évertue à passer sous silence) et qu'on n'ose presque jamais rapprocher du premier, de celui qui vient d'être évoqué, pour en comparer attentivement les composantes caractéristiques de l'un avec celles de l'autre. Pourtant, je crois que si on s'y intéressait vraiment comme je pense que d'évidence ce deuxième domaine le mériterait, on s'aperçevraitt alors qu'on y est confronté à des problèmes tout à la fois chroniques et urgents (c.-à d. éternels et donc peut-être prioritaires!), eux non plus jamais ni abordés ni résolus de manière vraiment satisfaisante, et qu'il suppose des missions qui, par leurs justifications, les unes immédiatement apparentes et évidentes, les autres peut-être moins visibles mais encore bien plus profondes que les premières, présentent d'étroites similitudes avec les tâches confiées à la police et à la Justice dont je parlais plus haut.

Cet autre domaine, c'est celui que les "officiels" et une bonne partie des médias conviennent délibérément de dénommer avec une ambivalence assez opportuniste (ou une hypocrisie peut-être un peu honteuse?) et par antonymie très délibérée la "Santé mentale". Il vaudrait certainement mieux l'appeler plus honnêtement, franchement et sans détours d'un nom qui le désigne plus clairement et plus justement pour ce qu'il est et à quoi tous peuvent le reconnaître: le "domaine médicosocial des maladies mentales chroniques et de la médecine psychiatrique".

J'ai déjà décrit, énuméré et dénoncé à de multiples et [trop] nombreuses reprises sur ce site les divers aspects et problèmes médicaux et sociaux qui font obstacle à l'organisation et à l'apport, aux personnes affligées de psychose(s) chronique(s), de l'indispensable et très particulière aide de revalidation médicale et sociale dont elles ont un impérieux besoin, obstacles qui empêchent de trouver les solutions les plus satisfaisantes (ou les moins pénibles) possibles leur permettant de mener une vie aussi acceptable et digne d'être vécue à laquelle ils devraient pouvoir accéder. Il est donc superflu d'y revenir ici à nouveau.

Toutefois, il me semble aussi que, malgré l'importance des multiples problèmes que doivent et devraient affronter les responsables et les acteurs de la "Santé mentale" et la difficulté des missions qui leur sont confiées, on évite autant qu'on peut, soigneusement et systématiquement, d'en aborder ouvertement (publiquement) les particularités et les caractéristiques parce que fréquemment le sujet fâche et peut-être lasse le grand public, mais cela précisément parce qu'il en est mal informé. C'est pourquoi, pour ne pas heurter les sensibilités, les croyances ou parfois les superstitions, on minimise, on lénifie ou même on ignore (on ne veut pas voir) ce qui est par trop déplaisant à dire et peut-être inavouable. On continue par conséquent à ne pas en informer (ce qui évidemment ne résoud rien!) et ainsi on maintient le public dans une ignorance jugée "préférable et rassurante pour tout le monde", et surtout plus "confortable" pour le repos de la bonne conscience des organisateurs et gestionnaires de cette "santé mentale".

Mais par contre, quand on ose commettre cette espèce d'inconvenance devenant dès lors quasi blasphématoire qui consiste à informer et à exposer en les éclairant sans complaisance un certain nombre des "vérités" qui sont le propre de la "Santé mentale" telle qu'elle est organisée et "pratiquée" chez nous (mais pas seulement chez nous, je le crains), ces mises en lumière sont elles-mêmes à leur tour fort mal ressenties par les acteurs "responsables" participant à cette "Santé mentale". Ceux-ci alors se croient et se sentent personnellement la cible d'attaques ad hominem. C'est "humain", paraît-il. Peu de personnes en effet supportent et tolèrent sereinement de se faire rappeler par autrui la faiblesse et les insuffisances de leurs actions, même (surtout!) quand et le plus souvent, bien des carences constatées - et signalées - ne sont simplement que le résultat du manque de moyens dont les exécutants disposent pour "agir", et ne reflètent pas nécessairement un manque de motivation ou de volonté d'agir de la part des "acteurs" eux-mêmes.

Les reproches concernant la misère des moyens mis à disposition pour permettre d'exercer correctement le métier de "santé mentale" devraient s'adresser au politique. Par contre, les reproches visant parfois la personne des professionnels de terrain devraient se limiter au constat du silence assourdissant que gardent les uns (résignés, blasés ou indifférents?) et à l'absence habituelle de protestation manifestée par les autres (fatigués, découragés et déçus?) contre les dérisoires conditions de travail qui leur sont consenties et les pauvres moyens matériels, humains et techniques qui leur sont alloués pour utilement (?) et efficacement (?) aider et accompagner les malades dans la durée (mais qui, notoirement, sont très loin d'y suffire!)

Le défaut d'information du public à propos des maladies mentales est la conséquence de longues et anciennes habitudes contractées par les "psys" dans leurs méthodes de travail et de raisonnements, et aussi de leurs vieilles convictions irrationnelles préscientifiques, très persistantes et ayant ensuite bien souvent progressivement dérivé en attitudes plutôt sectaires chez certains d'entre ces "professionnels". Ces habitudes ont pendant très longtemps et par tradition entretenu, non seulement entre et parmi eux mais aussi et surtout dans la population générale, le sentiment de mystère et de surnaturel (tabous?) entourant les affections mentales chroniques et les multiples thérapeutiques plutôt ésotériques imaginées par les divers "professionnels" pour les combattre.

Malheureusement aussi, ceux qui prennent les décisions "politiques" ayant trait aux soins de santé - et les administrations qui veillent à leur application - partagent souvent, aujourd'hui encore, des croyances très voisines de celles entretenues par un public nourri d'idées reçues et fausses et, quoique sans doute bien malgré eux, ils commettent l'erreur de respecter religieusement l'argument d'autorité de ceux de ces apprentis philosophes-là qui, sur un ton des plus péremptoires et avec cette même autorité autoproclamée ou d'emprunt, s'érigent en experts et s'autorisent d'un certain dogme (qu'ils ont eux-mêmes contribué à créer, à progressivement étoffer et agrémenter et à généreusement répandre) de ce qu'ils appellent les "maladies de l'esprit".
On peut fréquemment soupçonner que ces politiciens, ces politiques-là et leurs administrations ne sont habituellement guère mieux informés ni beaucoup plus compétents sur les conséquences pratiques des affections mentales chroniques que le "grand public" crédule et désinformé ne l'est lui-même.

Sans doute la réticence (ou la répugnance?) à traiter clairement certains sujets sensibles tient-elle à ce que les problèmes difficiles des maladies mentales dont il est à présent question dérangent encore plus que ceux déjà mentionnés précédemment. Ils menacent, et même ils bousculent le confort de la "bonne conscience" généralement affichée à propos des moyens qu'en pratique nous acceptons qu'on les mette en œuvre (ou dont au contraire nous nous désintéressons!) pour peut-être apporter (ou non?) à ces problèmes des solutions effectives (sinon véritablement efficaces), tout en prétendant un peu légèrement que celles-ci, quelles qu'elles soient, seraient toujours acceptables parce que nous voudrions nous persuader qu'en apparence elles respecteraient - plus ou moins superficiellement - l'éthique recommandée par nos concepts du "Bien" et du "Mal" généralement et conventionnellement admis (par consensus "démocratique et bien-pensant").

Encore toujours fort répandu dans le "grand public" règne et circule le mythe selon lequel les malades psychotiques chroniques sont [presque?] toujours dangereux. Par conséquent, pour ceux qui, nombreux, croient encore dur comme fer à ce mythe, les instituts psychiatriques seraient des endroits où on fait bien de les enfermer, ce seraient donc des prisons bien qu'on les appelle d'un autre nom. Pareil nom de prison est celui qui vient toujours à l'esprit des braves gens, il ne peut manquer de leur rappeler qu'il désigne aussi (c.-à d. d'abord) les lieux où l'on enferme les criminels et autres divers malandrins; et la mauvaise réputation de cette "racaille" de détenus, à son tour ne peut qu'automatiquement, bien que par ignorance, manque de réflexion et par pure association d'idées abusive et non pertinente, rejaillir et déteindre sur les malades mentaux eux-mêmes et les "stigmatiser" dans l'esprit d'une majorité du "grand public" (c.-à. d. tous les braves gens).

Si bien que, dans l'imagination d'une importante fraction de l'opinion, on enfermerait les malades mentaux pour en quelque sorte "leur apprendre à vivre", et pour préserver la sécurité de la société qu'on les soupçonne de mettre en danger, ce dont d'ailleurs on ne se prive pas de les accuser sans preuves et trop souvent. Par volonté et décision de justice (?), en plus de la privation de leur liberté on les punirait encore de surcroît en leur infligeant, bien contre leur gré, diverses vexations et humiliations auxquelles on donne les noms de soins et de traitements médicaux (cette dernière affirmation, elle aussi trompeuse, c'est le mauvais argument depuis longtemps périmé dont se servent encore toujours et tirent parti - pour se faire connaître - certains mal-informés, très ignorants mais d'autant plus bruyants faux bons apôtres qui, au vu des résultats thérapeutiques pour le moins médiocres obtenus par la psychiatrie, contestent erronément mais souvent avec hargne les hospitalisations psychiatriques sous contrainte).
Ils s'imaginent ainsi prendre la défense des malades et s'en vantent pour se faire mousser, sans toutefois être capables de proposer aucune solution "thérapeutique" de remplacement qui aurait valablement fait ses preuves - et pour cause, car personne aujourd'hui n'en connaît encore aucune qui serait susceptible de satisfaire à cette exigence).


Les deux parties qui précèdent devraient à présent nous permettre de mieux comprendre et évaluer l'importance des analogies qui, dans l'esprit et l'opinion des gens (le grand public en général), contribuent à leur faire "instinctivement" rapprocher les malades mentaux chroniques des criminels et des délinquants. Nous pouvons aussi plus justement apprécier le sort, qu'en se basant sur ces croyances puisqu'elle-même les partage et les véhicule, la société peut se permettre et se contenter de réserver aux uns et aux autres de ces deux "catégories d'humains" exclus et mis à l'écart de la "cité".
Enfin, nous pouvons mieux distinguer les discordances et les erreurs dues aux interprétations hâtives, superficielles et faciles de ces analogies et ressemblances, montrant que celles-ci sont fallacieuses et injustes, c.-à d. en réalité non valables et aux conséquences humaines et sociales inacceptables à long terme.


Les délinquants et les criminels ont commis des crimes et des méfaits. Principalement pour les punir et pour les empêcher de "nuire", accessoirement pour pouvoir annoncer qu'on va les rééduquer, on les condamnera donc à des peines prison. Cela semble couler de source.

Les malades mentaux chroniques, eux aussi, transgressent parfois les lois et peuvent menacer, voire molester les personnes avec qui ils entrent en contact (bien que ce soient là des événements relativement rares, ils sont toujours montés en épingle et amplifiés par les médias à l'affût de sensationnel dont les récits se vendent bien aux amateurs de faits divers aimant se faire peur, ce qui en exagère l'importance réelle en créant et en amplifiant la rumeur).
Principalement pour préserver la Société du danger qu'ils pourraient représenter pour l'ordre public (et d'abord pour eux-mêmes, ce que souvent on oublie de dire), accessoirement pour tenter de les soigner et censément pour peut-être soi-disant les guérir, on les enfermera. Cela aussi semble aller de soi, mais seulement parce qu'on évite d'y réfléchir vraiment.

En attendant que les uns aient accompli leur peine et aient été rééduqués et "amendés" puis libérés, et que les autres aient été soignés et guéris comme le public se l'imagine parce qu'on le lui laisse croire, les naïfs ou les égoïstes indifférents peu intéressés, et aussi les crédules du grand public (c.-à d. l'ensemble de l'immense majorité de la population) peuvent désormais vaquer tranquillement à leurs occupations et oublier l'existence de ces absents inquiétants (les exclus), que ceux-ci soient des malades, c.-à d. innocents et irresponsables, ou bien des condamnés par décision de justice.
Ne se préoccuperont réellement de ces absents que seule une petite minorité de la population: les proches de ceux qui auront transgressé les lois et ont été "punis" et mis en prison, d'une part; et d'autre part, ceux qui sont les parents et les proches des malades devenus les "pensionnaires" périodiques, intermittents ou permanents des instituts psychiatriques. Et parmi cette minorité de la population, une partie minoritaire plus réduite encore (celle des proches des malades) sait bien que les malades sont innocents parce qu'ils n'ont pas choisi d'être malades et ne sont pas des criminels ni les délinquants volontaires ou délibérés auxquels ils ne mériteraient jamais d'être assimilés; (mais, dans les médias, de rares exemples isolés de malades non ou mal soignés devenus dangereux sont souvent le prétexte à en faire des boucs émissaires tout trouvés pour distraire l'opinion, voire pour en quelque sorte "émoustiller" à bon marché une actualité terne ou morose).
L'avis de cette petite minorité-là sur les conditions de vie faites aux malades mentaux chroniques ne pèse que fort peu dans l'opinion générale, en comparaison du poids des idées reçues et fausses qui ont cours dans l'immense majorité de la société. Cette dernière, allègrement, par confortable "sainte ignorance" et pour la commodité de l'indifférence, rassemble délinquants, criminels et malades mentaux "tous dans le même sac". Pourquoi donc les décisionnaires politiques s'en émeuvraient-ils au point de se fatiguer à chercher et à trouver de véritables améliorations au sort de ces malades, (ces quelques malades-là qui ne votent même pas)?

Par conséquent, on se contentera "en haut lieu" de "réfléchir" aux programmes de rééducation des détenus dans les prisons, et ensuite à leur "suivi" une fois qu'ils auront été libérés. Mais on ne se dotera pas des moyens nécessaires à la mise en pratique des bonnes résolutions qui peut-être émergeront de ces réflexions: ils coûteraient bien trop cher.
De manière comparable, on réfléchira profondément à des programmes nouveaux de "soins" et de "revalidation" des malades mentaux psychotiques chroniques; sûrement on en parlera beaucoup dans de multiples colloques auxquels on donnera toute la publicité voulue. Mais la mise en œuvre des recommandations auxquelles ces réflexions seront peut-être arrivées risque fort, elle aussi, de ne jamais pouvoir se concrétiser, car les ressources budgétaires nécessaires aux traitements et à la revalidation des malades, ainsi qu'à leur suivi constant, attentif et de longue durée ne seront pas plus disponibles demain qu'elles ne l'ont jamais été jusqu'à présent.

Et voilà pourquoi, pour les condamnés détenus comme pour les malades mentaux chroniques, les choses risquent fort de ne pas changer avant longtemps: on continuera de se contenter de bonnes paroles et on en restera là. (Pourtant, combien en réalité j'espère me tromper!)

 


Première publication: 28 Octobre 2013 (J.D.) Dernière modification: 28 Octobre 2013