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"The fundamental cause of the trouble is that in the modern world the stupid are cocksure while the intelligent are full of doubt."
Bertrand Russell, in "The Triumph of Stupidity", 1933.
"La cause fondamentale des difficultés est que, dans le monde moderne, les idiots sont outrecuidants tandis que les intelligents sont pleins de doutes"
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"Ignorance more frequently begets confidence than does knowledge: it is those who know little, not those who know much, who so positively assert that this or that problem will never be solved by science."
Charles Darwin: "The descent of Man", 1871.
"L'ignorance engendre l'assurance plus souvent que ne le fait la connaissance: ce sont ceux qui ne savent que peu de choses, et non pas ceux qui en savent beaucoup, qui avec autant d'assurance affirment que tel ou tel autre problème ne sera jamais résolu par la science."
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"The fool doth think he is wise, but the wise man knows himself to be a fool."
William Shakespeare: As you like it. Act 5, scene 1.
"Le sot pense être sage, mais l'homme sage sait qu'il est lui-même un sot."
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NOMBREUX SONT les PROBLÈMES DIFFICILES NON ENCORE RÉSOLUS, dont la DIFFICULTÉ et MÊME L'EXISTENCE PASSENT INAPERÇUES aux yeux des PROFANES LASSÉS ET IMPATIENTS.
Ces DIFFICULTÉS SONT IGNORÉES de NOMBREUSES PERSONNES CONCERNÉES,
car on ne veut pas (souvent on n'ose pas) prendre la peine ni le temps: de les leur signaler ni de les expliquer!

Dans le courrier électronique que des lecteurs m'envoient, il arrive de temps en temps que certains reproches sans doute irréfléchis et plutôt immérités sont adressés,
1) tout d'abord aux praticiens professionnels de la psychiatrie en général, parce que, paraît-il, ceux-ci ne mettraient pas en œuvre les analyses biologiques qui, selon les croyances de quelques-uns de ceux qui m'écrivent, devraient aujourd'hui permettre de détecter et de corriger les possibles déficits à l'origine des "maladies" psychiatriques ou accompagnant leurs manifestations morbides (par exemple un ou des manques de telle ou telle molécule nécessaire au métabolisme normal du cerveau et indispensable à son bon fonctionnement);

2) ensuite, je reçois aussi moi-même mon petit paquet de reproches de la part de ceux qui dénoncent et ne supportent pas "mon pessimisme présent à chaque ligne" (sic), et parce que, paraît-il encore, je ne réserverais pas assez de place dans mes écrits aux progrès porteurs d'espoir engrangés par les scientifiques (et parce que je ne ferais que dénigrer à longueur d'articles la "vulgarisation" par des "amateurs qui seraient tous nuls" [sic]; ceux-là qui pourtant prétendent me faire l'honneur de me lire - mais sans doute ne me lisent-ils qu'à la va-vite - oublient d'observer que le site de mens-sana.be ne se consacre, lui aussi, qu'à de la vulgarisation explicative destinée à un public motivé! Et j'ose espérer que cette vulgarisation n'est peut-être pas totalement "nulle", bien qu'elle s'interdise tant d'adopter que d'affecter l'habituel optimisme tout à la fois paterne, "charitable" et de commande, résolument forcé, tout compte fait assez hypocrite et irresponsable qui semble être généralement de mise de nos jours dans les médias quand sont abordés les sujets touchant à la "Santé Mentale". Heureusement, je reçois par ailleurs assez de courriels d'encouragements pour conforter ma conviction de n'être quand même pas totalement inutile [c.-à d. "nul"]).

Sur un plan cette fois non plus limité ou individuel mais fort général, on me permettra de rappeler que dans les pays "développés", la moyenne de l'espérance de vie s'est fortement élevée depuis un siècle. On peut considérer que c'est là un progrès tout à fait souhaitable dont on ne peut que se féliciter. Mais une contrepartie de ce progrès peut être le développement d'une fragilité accrue des individus obtenue grâce aux avancées de la biologie et aux exploits de la médecine de pointe (parfois acrobatiques, souvent assez exceptionnels et spectaculaires pour faire la "Une" des journaux dans le monde entier sans toutefois être accessibles à tous mais seulement à quelques privilégiés), exploits qui parviennent désormais à maintenir en vie: de grands prématurés d'une part, mais aussi des personnes adultes et parfois fort âgées atteintes d'affections aigües ou chroniques nécessitant des soins éventuellement très lourds et peut-être de longue durée voire permanents.

De plus (et paradoxalement en apparence), en Occident, nos sociétés ont adopté des modes de vie privilégiant la surconsommation et un gaspillage tous azimuts: entre autres des ressources énergétiques non renouvelables de la planète et des ressources agroalimentaires. Malgré d'indéniables et spectaculaires progrès technologiques dans de nombreux domaines (mais peut-être aussi à cause d'eux!), nos populations d'Europe et d'Amérique du nord se sont aussi graduellement accoutumées à accepter des conditions de travail et à adopter des modes de vie assez peu raisonnables et peu respectueux à long terme de l'hygiène et des recommandations sanitaires publiques en général; en sont témoins entre autres exemples:
- une course effrénée et sans cesse accélérée à la poursuite aveugle, individuelle et collective de la "compétitivité productive", à la recherche obsessionnelle du profit (financier et social) personnel immédiat, tous eux-mêmes facteurs de permanent "mal-vivre" stressant, de "mal-bouffe" etc., et entraînant inéluctablement à terme une certaine insécurité et l'épuisement nerveux et physique des individus;
- une consommation croissante de diverses drogues à des fins réputées récréatives (et de prétendue "sophrologie"?), prétendûment non dangereuses (socialement admises?) bien qu'addictives (mais on sait bien que certaines d'entre elles, fort toxiques, constituent un véritable fléau destructeur de notre cerveau);
- la recrudescence du nombre de cas de dépression psychiatrique (à l'échelle mondiale) conduisant à une fréquence accrue de suicides;
- l'augmentation générale du nombre d'individus en surpoids voire dangereusement obèses, ce qui entraîne pour eux des risques de santé accrus divers: diabètes, problèmes d'hypertension, problèmes cardiovasculaires, AVC, etc., etc.
Il serait facile d'allonger indéfiniment cette liste des conséquences "bienfaisantes" de nos "progrès". J'éviterai ce piège, car je ne voudrais pas apporter trop d'eau au moulin de tous ceux qui me reprochent mon "insupportable pessimisme".

Conséquence supplémentaire des évolutions technologique et sanitaire, une croyance s'est répandue et généralisée dans les populations crédules subissant, passivement et avec patience ou résignation, le matraquage publicitaire des fabricants de compléments alimentaires et d'aliments diététiques: c'est la croyance aux vertus de jouvence de ces "alicaments" et "nutriments vitaminés" divers, d'abord très en vogue aux U.S.A., qui finissent par arriver chez nous et rencontrent un succès certain allant parfois jusqu'à l'engouement, et dont on ne comprend pas comment nous avions pu nous en passer jusqu'à présent.
Rassemblées en comprimés-cocktails-multifonctionnels contenus dans des emballages simulant ceux de produits pharmaceutiques (ou encore incorporées en tant que composants prétendant rendre "précieux" une foule d'aliments en réalité intrinsèquement peu intéressants en tant qu'éléments d'un régime alimentaire raisonnablement équilibré), ces diverses molécules sont censées nous faire le plus grand bien: on nous persuade que nous pouvons compter sur elles pour "booster" notre santé, nous rendre plus sains, plus forts et plus intelligents, pour compenser les carences de notre alimentation ordinaire et pour en corriger ses excès nocifs. Et, soi-disant pour notre santé et notre bien-être, on nous incite ainsi à nous gaver de "junk food" amélioré et d'autres boissons dites "énergisantes".
Ces suppléments "diététiques" (le mot 'diététique' n'est-il pas évocateur, voire synonyme de santé dans l'imaginaire populaire ?) ne sont-ils pas, pour un public peu informé, très suggestifs de parenté supposée ou même d'équivalence avec des produits dopants voire prophylactiques, aux effets miracle(s) bien connus sur les performances de certains sportifs "de haut niveau"?

Cette publicité envahissante et très commerciale que nous déversent tous les médias finit par convaincre aussi les proches de malades mentaux qui, naïfs et ignorants des particularités du fonctionnement cérébral, ne peuvent s'empêcher de placer leurs espoirs perpétuellement déçus dans d'utopiques remèdes simples dont on leur ressasse et leur vante sans arrêt les prétendus bienfaits garantis; ainsi, il y a peu, une correspondante (dont j'omets le nom par discrétion) m'écrivait, protestant à propos de tout ce qu'elle imaginait qu'on pourrait et devrait faire et que, d'après elle, on ne fait pas:
"[...] on doit chercher aussi du côté des nutriments: vitamines ou acides aminés ou minéraux ou, ou, ou ... qui rééquilibreraient les échanges. Simple bon sens: si des maladies courantes sont provoquées par des manques nutritionnels, on peut aussi améliorer la nutrition du cerveau en cherchant ce qui fonctionne mal chimiquement."(sic).
Cette opinion très fréquemment rencontrée dans le public en général est l'illustration exemplaire des effets de désorientation et, finalement, de ce qui s'apparente à une véritable désinformation du grand public, par les articles sensationnalistes et simplificateurs qu'on peut trop fréquemment lire dans la "grande presse" (mais aussi dans de nombreuses et éphémères petites revues "santé/beauté/bien-être/etc." vivotant de publicité commerciale), articles rédigés par des "journalistes" (souvent de fortune) qui n'ont peut-être eux-mêmes pas toujours bien compris la signification des communiqués qui leur ont été rapportés des travaux des chercheurs scientifiques sur les causes des affections mentales chroniques. J'ai déjà dénoncé ailleurs les excès et les à-peu-près trompeurs de ce soi-disant "journalisme" voulant passer pour "scientifique", pour le moins très approximatif (voyez Vulgarisation); je pense n'être pas, et de loin, le seul à critiquer la façon dont habituellement ce métier de "com" est tout d'abord appris, puis comment il est ensuite exercé.

Le soi-disant "simple bon sens", tant vanté par ceux qui se contentent, entre autres, d'apparences, d' "idées reçues", qui se fient à leur seule imagination et parfois aussi au respect inconditionnel pour des mythes millénaires véhiculés par des "livres sacrés" divers, ce "bon sens" laisse croire, à ceux qui, sans le savoir, ignorent à peu près tout du cerveau, que cet organe serait en tous points comparable aux autres organes faisant partie de notre anatomie.

En effet, l'apparent "bon sens", s'il ne s'appuie que sur l'ignorance (c.à.d. sur la croyance naïvement prise pour de la connaissance), risque bien de régulièrement fourvoyer ceux qui lui accordent en tout une confiance aveugle. C'est ce "bon sens" qui, avant Copernic et Galilée, affirmait que le soleil tourne autour de la terre et que celle-ci est le centre de l'univers (et malheur à qui aurait alors contesté cette croyance en l'univers géocentrique, admise des "autorités", voire imposée par elles!). C'est encore ce même "bon sens" qui "prouvait" que la terre devait être plate et ne pouvait être une sphère flottant et tournoyant dans le vide de l'espace, car, à moins que les semelles de leurs chaussures ne fussent enduites d'une épaisse couche de colle ou munies de crochets ou de ventouses comme les mouches en ont aux pattes, les habitants des antipodes auraient dû être précipités tête première dans le vide et aussi, pour le moins, devaient marcher la tête en bas... En sommes-nous encore à accepter ces contes qui de nos jours sont devenus depuis longtemps des sornettes dérisoires? Et comment n'être pas effaré d'apprendre que certains adultes illuminés très actuels (p.ex. aux USA, pays pourtant très évolué "le plus puissant au monde"!) continuent de s'accrocher à pareilles convictions infantiles (débiles), bien que nous soyons au temps des satellites et de l'exploration spatiale, qui sont des faits avérés dont nous sommes abondamment informés et instruits, si bien qu'il faudrait être sourd et aveugle pour pouvoir prétendre en ignorer l'existence et tous leurs apports à notre savoir.

Croire qu' "on peut aussi améliorer la nutrition du cerveau en cherchant ce qui fonctionne mal chimiquement", c'est un peu comme si on imaginait pouvoir dépanner sa voiture immobilisée on ne sait trop pourquoi, simplement en remplissant d'essence son réservoir et d'eau son radiateur, et en rectifiant le niveau d'huile, alors que c'est la batterie qui peut-être a rendu l'âme (ou encore les circuits électriques qui sont pourris). Par ailleurs, ceux qui parlent de "la nutrition du cerveau", en quoi s'imaginent-ils que cette "nutrition" consiste et comment croient-ils qu'il faudrait s'y prendre pour "l'améliorer"? Si on leur demandait de préciser le sens de ces mots qu'ils utilisent et des phrases où ils les insèrent, il y a fort à parier qu'ils resteraient le bec dans l'eau. Les personnes qui profèrent de pareilles affirmations ne connaissent rien du cerveau et par conséquent ne peuvent rien y comprendre. On n'a cependant pas le droit de le leur reprocher: à notre tour, n'oublions pas que ce n'est pas leur métier d'acquérir ces connaissances et qu'il y a des professionnels pour cela. C'est à ces derniers d'entreprendre enfin un consciencieux travail de vulgarisation sérieux, ne trahissant pas ni ne masquant la réalité, et si possible accessible à la compréhension du plus grand nombre. On aura certainement compris que j'ai des doutes sur la façon dont ils s'acquittent habituellement de cette tâche.

Quant à ceux qui trouvent qu'on ne procède pas assez activement à ces recherches qu'ils pensent pouvoir imaginer et qu'ils croient nécessaires mais seraient négligées à tort, si on peut comprendre leur impatience, on doit tout de même leur reprocher, non pas leur ignorance parfaitement compréhensible et en quelque sorte légitime, mais leur inconscience de celle-ci. Car s'ils en étaient conscients, ils deviendraient capables de choisir et de poser aux professionnels de la "Santé Mentale" les bonnes questions (ce qu'ils semblent ne pas vouloir ni oser faire), ces questions fondamentales et de vrai "bon sens" auxquelles les "psys" ne pourraient plus se dérober (et peut-être, comme on dit communément, cela mettrait-il un peu "la pression" à ces derniers et les forcerait peut-être à reconnaître et à expliquer les obstacles qu'ils affrontent dans leurs efforts [?] généralement fort mal récompensés par une efficacité et des résultats thérapeutiques très discutables et décevants en comparaison des espoirs qu'ils entretiennent par leurs discours).

Les "profanes" concernés devraient alors admetttre que, depuis le début des recherches scientifiques des biologistes sur les maladies mentales chroniques, on s'est bien efforcé de "chercher [et de trouver] ce qui fonctionne mal chimiquement", et qu'à aucun moment cette recherche ne s'est arrêtée, qu'elle continue aujourd'hui et sera poursuivie longtemps encore. Mais le grand public, lui, ne cesse d'oublier que le cerveau humain est la machine la plus énorme et la plus compliquée à laquelle la curiosité et l'ingéniosité de l'homme se sont jamais attaquées. On pourrait comparer les recherches entreprises à la reconstitution d'un gigantesque puzzle dont les multiples et diverses dimensions dépassent en nombres, en complexité et en propriétés les capacités d'imagination et de raisonnement analytique de tous les auteurs de fictions littéraires, même les plus prolifiques et les plus inventifs (voire poétiques et délirants).

A chaque "pièce" du puzzle cérébral qu'on croit avoir identifiée, on est obligé de se demander en plus s'il s'agit bien d'une pièce unitaire et non pas d'un assemblage de plusieurs fragments distincts, ou encore s'il ne s'agit pas d'une fragmentation expérimentale accidentelle, ce qui équivaudrait à un artifice de dissection. On doit aussi s'interroger à chaque fois sur les relations non seulement topographiques mais aussi fonctionnelles de cette pièce avec d'autres pièces du puzzle peut-être encore insoupçonnées; et ainsi de suite jusqu'à ce que, petit à petit, se complétant morceau par morceau, l'image complète contenue dans le puzzle finisse par se préciser, par émerger et faire sens pour ceux qui cherchent à comprendre ce qu'elle représente et qui espèrent bien y arriver un jour.

Cela vaut aussi bien pour le cerveau "qui fonctionne bien" que pour celui qui s'est mal développé et "fonctionne mal", les différences qu'on parvient à identifier dans l'un par comparaison avec l'autre nous éclairent utilement sur ce qui se passe aussi dans l'autre ("et réciproquement"!!).

Mais on oublie aussi que ces recherches de "déconstructions" et "reconstructions" de la structure et des fonctions du cerveau vivant et fonctionnant, qu'il soit en bon état ou non, demandent la mise en œuvre de moyens techniques d'investigation eux-mêmes très sophistiqués dont beaucoup sont d'apparition seulement récente ou même très récente, et supposent la collaboration d'équipes de médecins, de biologistes, de physiciens et de techniciens hautement spécialisés entraînés à s'en servir et à en interpréter correctement les résultats, et à replacer convenablement les nouvelles connaissances ainsi acquises dans le cadre bien établi et bien connu des connaissances plus anciennes qu'ils doivent toutes maîtriser et être capables d'éventuellement corriger (remettre à jour). Tout cela ne se fait pas en un jour, mais occupe la vie entière de nombreux chercheurs, et coûte assez d'argent pour que le politique hésite à renforcer les moyens existants mis à disposition, trop peu nombreux parce que coûteux mais indispensables, et on rechigne à en faire de surcroît la promotion (ce n'est en fait qu'une question de choix du mode de tri et de classement entre diverses "priorités" et volontés politiques).

Il faut aussi trouver les personnes, aussi bien parmi les malades que dans la population en bonne santé, qui acceptent de se porter volontaires pour se prêter à ces recherches. Reconnaissons que la culture de pareil volontariat n'est pas aussi développée et ne va pas autant de soi dans notre vieille Europe qu'en comparaison de ce qui est le cas outre-Atlantique. Et il faut attendre des temps souvent fort longs pour parvenir à réunir des "cohortes" assez nombreuses de patients et de "témoins" comparables pour pouvoir organiser des recherches fiables et en tirer des conclusions statistiquement significatives et valides. La recherche est, entre autres, une longue patience jamais définitivement aboutie, même si on doit reconnaître que, de leur côté, les malades et leur entourage ont beaucoup de bonnes excuses pour ne pas vouloir patienter.

Aujourd'hui, de plus en plus de personnes (parmi lesquelles figure ma correspondante évoquée plus haut) croient, à propos de psychoses comme les schizophrénies, qu'on connaîtrait déjà aujourd'hui ce qu'elles appellent naïvement des "marqueurs de déficits possibles", et qu'on devrait par conséquent être capable de les détecter au moyen de "protocoles d'analyses" personnalisés "pour chaque malade", ce qui devrait permettre de définir puis d'entreprendre des thérapies en quelque sorte taillées sur mesure et "fournissant en compléments au cerveau les 'nutriments' identifiés comme étant déficitaires" et d'ainsi compenser les "déficits" et de corriger les "symptômes".

Contrairement à ces croyances, pareils "marqueurs de déficits possibles" n'ont jusqu'à présent pas été identifiés sans ambigüités - ni systématiquement ni avec constance, ni même avec une régularité suggestive de quelque spécificité, dans les liquides biologiques relativement "facilement" accessibles sur le vivant (tels que le sang, la salive, les urines ou, à la rigueur le liquide céphalorachidien p.ex.), excepté peut-être dans des prélèvements de tissus post mortem sur le cerveau même (qui ne sont pas une procédure courante acceptée par toutes les familles concernées et qui, de toute évidence, est-il vraiment nécessaire de le dire? arrivent trop tard pour aider les victimes elles-mêmes!). A nouveau, n'oublions pas que les anomalies métaboliques ("chimiques") cérébrales liées aux psychoses sont multiples, diverses et inégalement réparties localement dans des zônes dispersées du cerveau. De plus, ces concentrations inégales des nombreux métabolites impliqués ne se reflètent pas individuellement hors du cerveau (fort bien isolé du restant du corps) mais sous forme de valeurs moyennes globales de composés dérivés et "mélangés", diversement modifiés par rapport à leurs origines dans le cerveau: donc des valeurs de significations encore controversées forcément sujettes à interprétations diverses souvent discutables.

De nombreux "profanes" (c.-à.d. les non professionnels du "grand public") oublient aussi que les "déficits" cérébraux accompagnant les psychoses schizophréniques (p.ex.) ne sont pas simplement "chimiques", mais aussi anatomiques, c.-à d. de structure (= architecture). Ils ne se rendent pas compte que si, par exemple, les cibles post-synaptiques (ou les neurones auxquels elles appartiennent) spécifiquement sensibles à un médiateur particulier ne se sont pas développées normalement (au cours du développement cérébral), les anomalies cliniques qui en résultent in fine pourront logiquement être interprétées comme la conséquence d'un déficit apparent du médiateur synaptique concerné et l'absence de ce dernier sera faussement incriminée. Et dans pareil cas, l'administration thérapeutique de ce médiateur (ou de ses précurseurs physiologiques) ne pourrait pas produire les effets favorables escomptés...

La manifestation clinique d'un apparent déficit de fonction d'un médiateur synaptique (p.ex. glutamate ou GABA, etc.) n'est donc pas obligatoirement ni toujours synonyme de carence ou déficit de ce médiateur. Il faut encore que les neurones fabriquant ce médiateur soient présents, au bon endroit et au bon moment, et qu'ils aient établi les connexions correctes avec d'autres neurones spécifiquement sensibles à ce médiateur (eux aussi présents à la bonne place et en temps voulu). La mise en place précise des circuits neuronaux et leur organisation se font progressivement pendant l'organogénèse cérébrale, selon un calendrier précis pour chaque circuit dont ensuite toutes les activités devront, en définitive (à l'âge adulte), être étroitement et harmonieusement coordonnées avec celles des autres circuits. C'est donc un impératif: le calendrier de mise en place de ce processus doit être strictement respecté, mais la précision de cette organogénèse est extrêmement sensible à tout accident ou interférence survenant avant qu'elle ne soit achevée (de quelque nature que ces interférences puissent être: anomalie génomique ou susceptibilité génétique particulière au départ, réaction immunitaire à une affection infectieuse virale, microbienne ou parasitaire, ou encore trouble endocrinien de la mère pendant la gestation dans ses six premiers mois, etc., etc., ; la liste actuelle de ces éventualités est déjà fort longue mais très probablement encore fort incomplète).

Enfin, grâce aux méthodes les plus récentes d'électroencéphalographie assistée par ordinateurs, on peut désormais identifier les anomalies d'activité de groupes de neurones, telles qu'elles se révèlent (p.ex. chez des malades psychotiques) par les synchronisations et les désynchronisations de leurs oscillations (qui normalement permettent à ces groupes de neurones d'en quelque sorte, [en se mettant ou non en phase les uns avec les autres] "sélectionner" les connexions auxquelles leurs axones aboutissent, pour coordonner leurs activités en vue d'une fonction "mentale" particulière et spécifique). On a constaté que les oscillations synchrones de réseaux de neurones et leurs désynchronisations en fonction des activités cérébrales diffèrent chez les malades de ce qu'on observe chez les "contrôles" bien-portants.
(http://homepages.inf.ed.ac.uk/pseries/Neuroinformatics/Uhlhaas&Singer2006.pdf
&: www.nature.com/nrn/journal/v11/n2/pdf/nrn2774.pdf )
D'autre part, au moyen de nouvelles techniques non invasives de spectroscopie de résonance magnétique, on est parvenu à détecter, in vivo, la présence de glutathion dans le mésocortex préfrontal et à en mesurer la concentration, qui s'est avérée n'être, chez des patients atteints de schizophrénie, que de 52% de celle observée chez des personnes "contrôles" en bonne santé. L'administration de N-acétyl-cystéine, un précurseur du glutathion qui traverse la barrière hémato-méningée (que le glutathion lui-même ne peut franchir) a permis de rétablir des concentrations corticales plus élevées de glutathion et on a observé alors aussi une certaine normalisation consécutive de la modulation des synchronisations de l'EEG (électroencéphalogramme) chez les patients étudiés, de même qu'une amélioration modérée de leur état clinique
(http://download.journals.elsevierhealth.com/pdfs/journals/0006-3223/PIIS0006322308002709.pdf)
Ces dernières observations constituent une importante avancée dans la compréhension des altérations des mécanismes biochimiques concomitantes des troubles schizophréniques et fournissent de nouvelles pistes prometteuses de progrès thérapeutiques.

Il faut toutefois rester conscient des énormes problèmes qui ne sont pas encore résolus: on oublie généralement l'extraordinaire complexité des cascades de processus biochimiques intriqués les uns dans les autres qui font du cerveau l'extraordinaire machine qu'on tente de déchiffrer. Cette complexité a pour conséquence que, quand "quelquechose fonctionne mal chimiquement", selon l'expression naïve de certaines personnes trop peu informées, de très nombreuses autres "choses insoupçonnées" se mettent elles aussi à mal fonctionner. Et un des problèmes toujours difficiles à résoudre est de déterminer "qu'est-ce qui a commencé à mal fonctionner". Pour chaque étape d'une possible anomalie métabolique détectée dans une cascade de réactions intriquées et foisonnantes, c'est l'éternelle histoire de la poule et de l'œuf, et il y a toujours de nombreuses poules et de nombreux œufs possibles à chaque fois. J'évoquais plus haut une longue patience...

Cette multiplicité des "choses qui peuvent mal fonctionner chimiquement à la suite les unes des autres" suppose très logiquement qu'il faudrait - du moins si on disposait toujours et partout des moyens nécessaires à leur mise en évidence - faire subir à tous les patients présumés une très longue et lourde batterie d'examens et d'analyses fort diverses, pénibles voire parfois invasives, et qui pourtant ne seraient pas nécessairement ou toujours concluantes à 100% .
D'autre part, comment reconnaître à temps, parmi les bien-portants, les patients "prospectifs et présumés", avant que "ce qui fonctionne mal chimiquement" n'ait fait des dégats irréversibles? Comment éviter d'infliger à de "faux futurs malades qui resteront bien-portants" l'inutile et onéreuse torture de tous ces examens superflus dans leur cas?

C'est en poursuivant sans relâche cette recherche scientifique largement ignorée du grand public parce qu'on ne l'en informe pas. Un aperçu assez complet et très évocateur peut en être trouvé dans l'ouvrage à l'adresse ci-dessous:
(http://www.amazon.fr/Handbook-Neurochemistry-Molecular-Neurobiology-Schizophrenia/dp/0387303650/ref=pd_ybh_1),
que je ne renseigne pas pour en conseiller la lecture trop technique et spécialisée pour la plupart, mais pour qu'on se rende compte que, malgré certaines idées reçues qui circulent chez nous, la vraie recherche ne s'arrête pas et qu'elle s'efforce de ne rien négliger!


Première publication: 24 Décembre 2012 (J.D.) Dernière modification: 24 Décembre 2012

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