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CROYANCES AVEUGLES ENTRETENUES PAR LA TRADITION CARTÉSIENNE
ET PAR L'ATTACHEMENT AUX DOGMES DE NOS PRINCIPALES RELIGIONS
ou, plus précisément sans doute, par
L'IGNORANCE QUI PÉRENNISE LES SUPERSTITIONS

"Science differs fundamentally from religion in that it requires us to force our beliefs to confirm to the evidence of reality, rather than vice versa."
(La science diffère fondamentalement de la religion en ce qu'elle nous oblige à accorder nos croyances avec les preuves de la réalité, plutôt qu'à choisir la démarche inverse.)

physicist Lawrence Maxwell Krauss , (Scientific American, August 10, 2016)

En explorant la toile à la recherche de sites ayant généreusement entrepris de défendre avec dévouement les intérêts, soit de malades mentaux qualifiés de psychiatriques chroniques et psychotiques, soit de personnes atteintes d'affections cérébrales neurologiques dégénératives, il y a déjà quelque temps que je suis "tombé" comme par hasard sur deux sites web certes très respectables et aux motivations qu'on ne peut qu'approuver chaudement.

Malheureusement, [AMHA du moins, et c'est ce qui m'a fait hésiter à renvoyer vers ces sites par des liens de mens-sana.be], les équipes responsables des textes de ces deux sites, bien que chacune d'une manière différente, avancent des affirmations qui reflètent et trahissent leurs conceptions anciennes, toutes d'imagination pure [traditionnelles, crédules envers le surnaturel et fausses] que nos connaissances scientifiques actuelles ont aujourd'hui montrées nettement erronées et rendues notoirement obsolètes. Ce sont les représentations plutôt "philosophiques" (certains sans doute diraient "spiritualistes") qu'elles se font de la nature des troubles étiquetés "psychiatriques". Sur un des sites, les auteurs opposent les "troubles psychiatriques" aux maladies cérébrales neurologiques dégénératives, en distinguant et en séparant (à tort) ce qu'ils appellent les "maladies psychiatriques" des maladies neurologiques cérébrales dégénératives, et ce en se basant sur des critères intuitifs non valides et sur des arguments fantaisistes et/ou faux.
Dans l'autre site, on encourage le rejet de l'approche scientifique, pourtant seule source assurée de futurs progrès possibles, pour par contre et par conséquent militer en faveur du rêve, des fantasmes de l'imagination et de la subjectivité qui ne sont que d'impuissantes et stériles rêveries nostalgiques de croyances aujourd'hui périmées.

Et si les motivations et activités de ces organisations et associations d'entraide ne sont animées que de bons sentiments qu'on doit bien sûr porter à leur crédit, leurs interprétations très subjectives des affections dont souffrent les victimes à qui elles s'efforcent de fournir une aide bien nécessaire risquent pourtant de faire reporter, toujours à plus tard, les solutions pratiques et concrètes tant attendues que la Société - les "pouvoirs publics" - pourrait déjà leur apporter. Ainsi, avec les meilleures intentions du monde et des objectifs très recommandables, on pourrait néanmoins dire que les auteurs de ces affirmations "se tirent une balle dans le pied" (et, par extension, dans celui des malades; voyez ci-dessous).

Leurs interprétations subjectives (c. à d. intuitives et sentimentales dépourvues d'assises scientifiques) en effet ne peuvent que prolonger encore, sans toutefois aucunement l'améliorer, la toujours très médiocre voire mauvaise compréhension générale qui règne dans le grand public, cette nécessaire compréhension objective cette fois, des mécanismes bien biologiques de ce qu'ils dénomment "maladies psychiatriques ".

Sur le premier des deux sites, suisse (http://www.promentesana.org/wq_pages/fr/psytrialogue/), on peut lire: "La science n’était et n’est toujours pas en mesure d’expliquer les psychoses telles que les troubles schizophrènes ou bipolaires. Elle ne le sera pas plus dans l’avenir." (j'ai souligné - J.D.)
Sur le deuxième site, français cette fois, (http://www.francealzheimer.org/sites/default/files/Brochure-DFT.pdf ), dans sa brochure au format PDF vulgarisant les DFT (dégénérescences frontotemporales, démences sémantiques progressives,ou maladie[s] de Pick), on peut lire en page 5 à propos de celles-ci: "Elles sont dites « apparentées à la maladie d’Alzheimer » car ce sont des maladies neurologiques dues à la dégénérescence de cellules cérébrales. Ce ne sont donc pas des maladies psychiatriques." (je me suis permis de souligner ce fragment de syllogisme révélateur de croyances et de logique fautives).

Les concepteurs et rédacteurs du site de Suisse romande (www.promentesana) me paraissent cultiver une vision particulièrement superficielle et limitée, et pour tout dire fruste de ce qu'est pour eux "la science", de ce qu'elle a jusqu'à présent apporté à l'humanité entière dans tous les domaines de connaissance mais aussi de vie pratique et quotidienne, et de ce qu'on peut encore en espérer pour l'avenir!
Ils ne me semblent pas non plus être au courant des nombreuses "explications" validées (bien qu'encore lacunaires) dont on dispose déjà, grâce à la recherche scientifique (ne leur déplaise!) sur les causes véritables et les mécanismes responsables des "psychoses". On ne peut que leur conseiller de mettre au plus vite leurs connaissances à jour, de les "actualiser" selon le vocabulaire d'aujourd'hui.
Mais comme, de surcroît, ils semblent se targuer d'être capables de prédire l'avenir - je ne sais toutefois pas sur la foi de quel fantasme, car ils se gardent bien de le révéler - , ils devraient sans doute aussi se hâter de bien profiter de leurs dons supposés de prescience (tant qu'ils continuent d'y croire) et de s'efforcer vigoureusement et sans attendre, de résoudre, comme ils paraissent le préconiser, les problèmes des "psychoses" par la seule entremise de pratiques « spirituelles » purement magiques, à l'exclusion des sans doute "piètres" moyens de la "science". Par exemple, par les séances de prières à diverses divinités judicieusement choisies (il y en a heureusement toujours eu un grand choix de disponibles!), par les exorcismes (en nombres aujourd'hui plus limités), par l'organisation de rituels propitiatoires (ad. lib.), etc., etc., tous procédés dont l'efficacité a été jusqu'ici bien éprouvée depuis des temps immémoriaux, tout le monde bien évidemment sait cela, n'est-ce pas?... Et peut-être les responsables de promentesana seront-ils ainsi en mesure de prouver au monde entier la justesse de leurs croyances? En [probable] cas d'échec toutefois, ils pourraient imaginer de supprimer leur malheureux aphorisme, ce qui prouverait qu'ils ont cette fois réfléchi à ce qu'ils disaient, et cela les rendrait plus crédibles à leurs lecteurs.
On devrait aussi souhaiter bonne chance à ceux de leurs visiteurs qui se fieraient naïvement à leurs actuelles affirmations et prédictions péremptoires (mais aussi les prévenir de ne pas trop compter sur le succès de ce mépris pour « la science »!).

Quant au texte de vulgarisation des DFT qui figure dans la brochure mise en ligne sur le site des associations France Alzheimer, il contient une phrase que j'ai citée plus haut, et qui est très révélatrice des croyances fort anciennes qui persistent dans de très nombreux milieux à propos de la psychiatrie et des affections dont celle-ci aurait une sorte de monopole.
J'en reprends ici le texte:
"Elles [les DFT - J.D.] sont dites « apparentées à la maladie d’Alzheimer » car ce sont des maladies neurologiques dues à la dégénérescence de cellules cérébrales. Ce ne sont donc pas des maladies psychiatriques." , et je me permets, d'une part d'en corriger une petite inexactitude, et d'autre part d'expliciter ce que sa dernière phrase implique alors que son/ses auteur(s) omet(tent) d'en montrer la véritable signification, ce qui, AMHA, est pour le moins surprenant et loin d'être anodin.
Commençons par le début de la citation et disons que la maladie d'Alzheimer et les DFT font partie d'une famille de plusieurs maladies neurologiques dégénératives distinctes caractérisées en commun par la défectuosité d'une protéine particulière, la protéine Tau, protéine qui normalement assure l'intégrité des microtubules cellulaires (très abondants dans les axones de la très grande majorité des neurones, et essentiels à leur bon fonctionnement ainsi qu'à l'intégrité de la structure de leurs terminaisons synaptiques). Les neurones affectés sont reconnaissables (p.ex. post mortem) par l'accumulation dans leurs axones et dans leur péricaryon (corps cellulaire) d'enchevêtrements neurofibrillaires; ils deviennent progressivement non fonctionnels et finissent par dégénérer. On a donné à la famille de ces affections le nom de tauopathies. Les symptômes de ces maladies diffèrent en fonction des territoires cérébraux atteints et permettent ainsi de les distinguer cliniquement les unes des autres au sein de cette famille des tauopathies.

Maintenant, dire que "ce ne sont donc pas des maladies psychiatriques" sans justifier, (et pour cause!) la présence de ce "donc" qui en réalité n'introduit qu'un non sequitur, c'est avouer ingénument qu'on croit et qu'on s'en tient encore toujours à la distinction séculaire des "maladies purement neurologiques", c. à d. physiques, matérielles, somatiques et biologiques (et qui peuvent se traiter par médicaments), par opposition aux "maladies psychiatriques", celles réservées aux psychiatres, ces maladies de l'esprit immatériel, ces affections qui ne laisseraient pas de traces visibles dans l'organisme et n'y auraient pas leur origine, ces maladies que par conséquent nombreux sont ceux qui s'imaginent qu'on peut les traiter uniquement par l'écoute et la parole pour les faire s'évaporer, et n'avoir, pour accomplir cette magie, besoin d'aucune notion de ce qu'est un cerveau et comment il fonctionne?
Venant de la part d'une association qui, en page 2 de sa brochure de vulgarisation sur les DFT, remercie le Dr Florence Lebert, médecin psychiatre et pourtant spécialiste bien connue pour ses publications scientifiques traitant de ces affections, prétendre que les DFT ne sont pas des maladies psychiatriques, voilà qui peut paraître étonnant, non?

En réalité, ce que certains appellent le "modèle médical" des troubles mentaux s'impose de plus en plus et ce n'est que justice car, de toute évidence et par sa logique, sa rationnalité et son bon sens, il ne peut qu'être adopté par les médecins se préoccupant consciencieusement des affections mentales et de leurs victimes. Et on peut s'en réjouir. Mais on doit aussi dénoncer avec constance et vigueur toutes les affirmations erronées qui tendent à faire croire à l'immatérialité des soi-disant "maladies de l'esprit" et qui, en retardant le progrès des connaissances, retardent aussi l'amélioration indispensable des thérapeutiques et des soins.

Est-il donc nécessaire d'énumérer à nouveau comme une litanie la maladie de Huntington, la maladie de Parkinson, la phénylcétonurie, l'autisme, la maladie d'Asperger, la sclérose en plaques, etc., etc., des maladies qui, tout à la fois, sont neurologiques dégénératives mais présentent aussi ce qu'on pourrait appeler des "aspects psychiatriques" ?

Il faut qu'enfin le "grand public" lui-même finisse par se rendre compte que toutes les affections dites psychiatriques sont, elles aussi et sans exception, toujours des maladies neurologiques qui, par différents processus pathologiques, détruisent des neurones et ainsi détériorent nos fonctions mentales. Pour moi, l'idée de "maladie purement psychiatrique", c'est à dire désincarnée, dépourvue d'une origine physique et biologique n'est qu'une absurdité.
Et cette pure absurdité perdure par la faute de ceux qui, à la suite de Descartes et des théologiens (passés mais aussi actuels), ignorent les neurones et continuent à séparer cerveau et esprit, alors que le second n'est que le produit renouvelé en permanence et la manifestation de l'activité ininterrompue du premier. Mais pour ceux pour qui cerveau et esprit ne sont que des mots, c'est là sans doute la représentation d'une réalité que beaucoup ont du mal à accepter.


Et pour préciser encore un peu mieux les choses, citons donc l'éditorial du British Journal of Psychiatry (BJP 2015, 207: 373-374), dont le titre pose clairement la question: "Are neurological and psychiatric disorders different?" en se référant à l'article paru dans la même revue (Nicolas A. Crossley & al., BJP 2015, 207(5) 429-434 DOI: 10.1192/1192/bjp.bp.114.154393 .

Il ressort de ces publications que, très clairement, tant les troubles neurologiques que les troubles psychiatriques résultent bien d'atteintes de neurones dans tous les cas. Ainsi que le montrent les observations d'imagerie cérébrale, les différences entre "psychiatrique" et "neurologique" tiennent aux localisations différentes des atteintes "pathologiques" dans les différents territoires du système nerveux central, et non pas à une distinction imaginaire entre présence et absence de "lésions de neurones".


Première publication: 19 Mai 2014 (J.D.) Dernière modification: ?? Mai 2016

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