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Démissions de la raison face à l'ignorance

"Si ce n'est toi, c'est donc ton frère."
Jean de La Fontaine: Le loup et l'agneau

"...car il y a deux choses, la science et l'opinion ; celle-là conduit au savoir, celle-ci à l'ignorance."
Hippocrate de Cos: La Loi

Nous sommes au XXIème siècle. Du moins, c'est ce qu'on nous dit. Nous croyons aux progrès scientifiques et techniques dont la plupart d'entre nous, dans nos sociétés occidentales, apprécient les avantages et les commodités, les "retombées". Le plus souvent même, nous ne nous rendons pas compte que, tous, nous utilisons ces conséquences de "la science" et que nous en profitons tous d'une manière ou d'une autre.

La plupart d'entre nous se disent rationnels et logiques dans leur vie de tous les jours, et, sans doute ils le croient. Certains même se disent rationalistes, et sans doute ils en sont intimement persuadés.
Depuis une lointaine antiquité, nous sommes les héritiers d'innombrables et longues lignées de penseurs, philosophes, intellectuels et scientifiques. Et, en principe, dans tous les pays occidentaux, le système d'éducation - l'école - s'efforce de transmettre à chacun les moyens, les techniques, bref, le savoir que ces prédécesseurs nous ont légué et qui a fait ses preuves. Ce sont l'instruction et l'éducation qui, progressivement, dès nos débuts dans la vie puis tout au long de celle-ci, nous rendent capables de nous servir rationnellement, utilement, intelligemment (c.à.d. au mieux) de nos capacités cérébrales, et d'éventuellement transmettre cet acquis à nos descendants, peut-être un petit peu augmenté à chaque nouvelle génération.

Les limites connues du cosmos ont reculé. Des hommes ont marché sur la lune, ils sont allés dans l'espace. La matière et l'énergie nous livrent constamment un peu plus de leurs secrets. Les chercheurs ont déchiffré - ou presque - le code génétique humain, ouvrant la voie à de nombreuses avancées médicales. Des thérapies et des thérapeutiques nouvelles s'annoncent, qui n'étaient même pas imaginées il y a encore peu d'années.
Quand l'usure prématurée, l'accident ou la maladie compromettent le fonctionnement du coeur, des reins, du foie, des poumons par exemple, il est devenu possible de substituer à ces organes abîmés des greffes prélevées chez des donneurs, et ainsi de prolonger des vies auparavant condamnées à brève échéance.

Tous ces exploits techniques et combien d'autres encore, toutes nos connaissances sur le monde qui nous entoure, mais aussi sur nous-mêmes qui faisons partie de ce monde, sont les résultats et les conséquences de la mise en oeuvre de la "méthode scientifique". Pour employer des noms plus modestes mais tout à fait équivalents, c'est l'application de la logique et de la raison venant en aide à notre curiosité et à notre soif de comprendre. D'après les résultats obtenus, on peut dire, avec une certaine confiance, que la méthode rationnelle a fait la preuve de son efficacité. C'est même la seule méthode connue et accessible à l'homme dont on puisse dire cela.

Grâce à cette méthode, nous connaissons aujourd'hui les causes de nombreuses maladies infectieuses, leurs modes de propagation et leurs mécanismes d'action, et c'est ainsi qu'un grand nombre d'entre elles peuvent être combattues avec succès. Beaucoup ont même été éradiquées. Aujourd'hui, plus personne, dans nos pays, ne songerait plus à interpréter des maladies devenues sporadiques ou même disparues totalement de nos contrées selon les croyances de jadis: on en faisait alors un fléau envoyé sur terre par la (les) divinité(s) courroucée(s) pour punir l'humanité de ses péchés: la peste, le choléra, etc.
Grâce à cette méthode, chaque jour nous accroissons notre connaissance de la structure et du fonctionnement de notre corps (l'ensemble de nos organes), et nous comprenons de mieux en mieux les origines et les mécanismes de nombreuses maladies qui dérèglent ce fonctionnement. Cela nous permet de les combattre efficacement, rationnellement, très souvent avec un succès prévisible qui s'avère total (la guérison), parfois avec un succès prévisible mais seulement partiel (permettant cependant de continuer à vivre de manière supportable). Personne aujourd'hui ne croit plus que ces affections bien connues surviennent par "la faute" de quelqu'un, même quand il s'agit de maladies très graves comme, par exemple, certains cancers qui continuent à défier les traitements les plus récents.

Si! Il est pourtant encore des circonstances où des personnes supposées coupables ou responsables de maladies sont recherchées et désignées à tort. Prenons un exemple très caractéristique qui devrait immédiatement venir à l'esprit de chacun, car il a été abondamment médiatisé récemment. C'est celui de la maladie génétique connue du grand public sous le nom de "maladie des os de verre". Dans cette affection, les processus d'ossification - commençant dès la vie foetale - sont défectueux, conduisant à la formation d'os de texture anormalement fragile et cassante. Ceci entraîne la survenue de multiples fractures, spontanées ou conséquences d'efforts et chocs - habituellement anodins si vous ou moi devions les subir. Elles surviennent bien sûr dès l'enfance et, encore de nos jours, de nombreux parents soupçonnés d'avoir provoqué ces fractures ont été accusés de battre leurs enfants en bas âge par des enseignants, des puéricultrices, des travailleurs sociaux, et même par des médecins (!) tous bien intentionnés mais ignorants (les parents ont même été poursuivis en justice, les enfants leur ont été retirés pendant de longues périodes!)

Dans cet exemple particulièrement démonstratif, l'origine de l'imputation de faute, l'explication de la stigmatisation de ces parents est immédiate, évidente: c'est tout simplement l'ignorance générale de cette maladie qui est responsable des accusations. On imagine compenser l'ignorance par la croyance en des idées reçues, et le besoin de boucs émissaires s'y ajoute ensuite: il faut qu'il y ait faute "quelque part" (les fractures sont la preuve des coups reçus, la preuve de la faute), il doit donc y avoir un fautif (certains parents battent leurs enfants, le fait n'est-il pas notoire?). Pareille suspicion est immédiate, surtout en ces temps où la maltraitance des enfants fait les choux gras des médias. Et dans ce cas, les premiers suspects du crime imaginaire et imaginé ne peuvent, bien sûr, être que les parents: ils ont l'opportunité et les moyens du crime, on pourra bien trouver (inventer) des motifs apparemment crédibles à leur attribuer. Plus tard, cette ignorance des vraies causes des fractures fera qu'on stigmatisera les parents aux yeux de leurs enfants eux-mêmes, car la bêtise souvent accompagne l'ignorance. Aux blessures physiques viendront alors s'ajouter les douleurs morales. L'ignorance et la médisance faisant également bon ménage, les enfants prétendument "maltraités" hériteront de la mauvaise réputation de leurs parents (ne s'est-on pas toujours méfié des bossus et des nains, par exemple?), et personne ne devrait s'étonner si l'imagination des ignorants attribue, à ces enfants à leur tour, des intentions sournoises et morbides (qu'on dira conscientes ou inconscientes!) menant à toutes sortes de méfaits imaginaires.

On me rétorquera vraisemblablement que l'exemple choisi est presque caricatural, parce qu'il est celui d'une maladie exceptionnellement rare, et que les modes de pensée et les comportements évoqués à cette occasion, basés sur l'ignorance et parfois sur des superstitions, confinent à l'obscurantisme, qu'ils ne peuvent être, eux aussi, que très exceptionnels de nos jours.
Détrompez vous! Ils sont, au contraire, bien plus fréquents que vous ne le croyez, ils peuvent même être le fait de nombreuses personnes longuement, "bien" éduquées et réputées instruites, ayant en principe reçu une formation dite scientifique et qui croient pouvoir se revendiquer de la science. On croit généralement que la chasse aux sorcières était un sport qui, dans le temps, se serait limité au moyen-âge. Officiellement, c'est peut-être vrai, mais la tournure d'esprit qui donne naissance à cette aberration est toujours bien présente chez de nombreux et très respectables représentants de l'actuelle élite sociale.

Les maladies mentales chroniques graves (les "psychoses") sont bien moins rares que la "maladie des os de verre". Certains épidémiologistes estiment en effet que ces affections se rencontrent chez plus de 3-5% des individus dans toutes les populations de notre planète (ce n'est ici pas la place pour discuter du bien-fondé ou non de ces évaluations pourtant discutables. Admettons-les donc provisoirement.)
Ni les causes, ni les mécanismes des affections mentales ne sont connus aujourd'hui, quoi que de prétendus experts (dont certains se disent médecins!) s'efforcent de faire croire au grand public profane (et aux malades!). Cette ignorance, à quoi s'ajoute le besoin inné de l'espèce humaine des "explications" à tout phénomène qu'elle observe, conduit à imaginer et à inventer des causes et des mécanismes hypothétiques de ces maladies, et elle entraîne aussi, à nouveau, la chasse aux sorcières: si l'on constate un phénomène inhabituel, un comportement inadéquat, c'est qu'il doit y avoir faute quelque part, débusquons donc les fautifs.
Face à une maladie dont on ignore presque tout et d'abord l'essentiel, pourquoi certains éprouvent-ils toujours et d'emblée l'indéracinable besoin d'en croire que, nécessairement, "quelqu'un y soit pour quelque chose"?

Pourtant, d'une affection comme le diabète, par exemple, qui ne se guérit pas bien qu'il se soigne, personne ne pense que "quelqu'un y serait pour quelque chose". C'est une maladie dont la "biologie" est bien connue, et malgré cette "nature biologique" (je dirais même sans doute à cause d'elle!), les diabétiques ne s'en imaginent pas responsables, ils ne "culpabilisent" pas et ne s'attribuent pas la cause de l'affection. Ils n'en attribuent pas non plus la "faute" supposée à quelqu'un d'autre.
Il en va de même pour les victimes de la sclérose en plaques, affection qui détruit la gaîne isolante des trajets nerveux dans l'ensemble du système nerveux (et on ne la guérit pas encore non plus). Bien que les causes de cette maladie ne soient encore que mal établies et qu'on ne dispose pas encore de traitements réellement satisfaisants, on en connaît la "nature biologique", mais on n'en rend pas les victimes elles-mêmes responsables pour autant!
Nous pourrions, sans fin, multiplier des exemples montrant que "biologie" n'est aucunement synonyme ni de responsabilité, ni de culpabilité, que celles-ci soient personnelles ou attribuées à autrui. Mais à quoi bon? Certains y tiennent envers et contre tout. ...perseverare diabolicum...

Certains, dont des médecins, parlant des maladies dites mentales, affirment que "la théorie biologique, si elle a permis d'enlever de la souffrance aux parents, l'a reportée sur d'autres qui souffrent aussi, à savoir les schizophrènes".
Jusqu'à plus ample informé, tout médecin devrait avoir appris que nous n'existons et ne fonctionnons que dans le cadre biologique obligé de toute vie, comme c'est le cas pour tous les organismes vivants. Pourrait-on, enfin, une bonne fois pour toutes, expliquer clairement comment une maladie (concept humain!) pourrait faire l'impasse de la biologie, tout en altérant cependant notre fonctionnement nécessairement biologique? En d'autres termes, en quoi consiste une maladie non biologique, sinon en un oxymoron?
Ceux-là vous disent en substance: "la 'théorie biologique' prétend que les parents ne sont pas la cause de la schizophrénie de leurs enfants; donc, s'il ne faut plus pointer vers eux le doigt accusateur du psychiatre, cela revient à orienter ce doigt vers les enfants eux-mêmes". Certains, pour apprendre à raisonner sainement et à ne pas pointer inconsidérément l'index vers n'importe qui ou quoi, mériteraient sans doute de se le voir, sinon amputer, au moins plongé et coincé dans un endroit aussi peu agréable que possible... jusqu'à ce qu'un peu de jugeote s'ensuive (on peut toujours espérer). D'où tiennent-ils donc cette obsession constante de vouloir à toute force désigner des responsables et des coupables des maladies mentales, alors qu'ils n'oseraient même pas y songer pour ce qu'ils appellent les "autres" maladies? La maladie mentale, faudrait-il donc toujours qu'elle soit, comme dans la chanson, "la faute à Voltaire, la faute à Rousseau"? (et pourquoi pas la faute au grand barbu, invisible mais omnipotent et omniscient du dernier étage de l'immeuble-tour où nous vivons? A moins que ce ne soit le concierge dans sa loge?)

Les mêmes nous disent qu'il serait clair et admis par tous que, par exemple, "la schizophrénie est la rencontre d'une part de biologie et d'une part d'environnement". Manifestement, les choses ne sont pas très claires pour ceux-là mêmes qui énoncent pareil non-sens et qui essayent de le faire passer pour un consensus général qui prévaudrait chez une certaine intelligentsia.
Ils montrent simplement qu'ils ne savent pas ce qu'est "la biologie", et ils ne semblent pas non plus savoir ce qu'on entend par "environnement". Confondant biologie dans son ensemble avec génétique qui n'en est qu'une partie qu'ils ne comprennent manifestement pas, ils l'opposent à l'environnement qui non seulement peut être biologique, lui aussi, mais ne peut, bien sûr, jamais jouer de rôle qu'au travers de la biologie.

Ils ne comprennent pas la génétique, car ils prétendent que "l'ADN prédestine le malade à ce qu'il vit et, d'une certaine façon, le rend responsable de sa maladie". Tout le monde - et d'abord les médecins - , devrait savoir que génétique (et ADN) ne signifie pas prédestination mais probabilités et statistique, et les médecins devraient l'expliquer autour d'eux et à leurs patients (encore faudrait-il qu'ils l'aient eux-mêmes appris, compris, et s'en souviennent!) Et encore, depuis quand l'ADN des gènes a-t-il rendu son porteur responsable: par exemple de sa taille, ou de la couleur de ses yeux, ou encore de la forme de son nez, voire de ses idées et de ses opinions elles aussi prédestinées, sans doute? Ne serait-ce pas plutôt des idéologues criminels et des dictateurs de sinistre mémoire qui, au siècle dernier, ont véhiculé des théories analogues, fumeuses et morbides, pour justifier, entre autres, les génocides, exterminations à l'échelle industrielle et autres goulags?

Tout ce qui précède montre bien que, loin de désigner un coupable en remplacement d'un autre, la biologie (et non la "théorie biologique"), en reprenant la place avérée qui lui revient dans la genèse des maladies mentales, a au contraire permis de soulager tant les uns que les autres en les exonérant d'une culpabilité imaginaire et totalement injustifiée que certains, pourtant, s'entêtent à entretenir en dépit de tout. Ceux qui, avec une certaine inconscience teintée de suffisance, recommandent aux parents de malades de se remettre en question (!), devraient veiller à d'abord balayer devant leur porte: n'oublient-ils pas un peu vite ce dont ont été responsables les malencontreuses théories de Leo Kanner et de B. Bettelheim sur l'autisme, mais aussi ce qu'elles sont devenues aujourd'hui?

Ailleurs sur ce site, j'ai déjà dénoncé à diverses reprises les confusions systématiques entre corrélations et relations de cause à effet. Ces erreurs ont été magistralement passées en revue et déboulonnées par le regretté Dr Petr Skrabanek dans son livre "Idées folles, idées fausses en médecine" (cité dans d'autres articles). C'est une de ces erreurs, un de ces sophismes qui est le plus fréquemment rencontré quand on parcourt une certaine littérature "psy".
Je suis persuadé qu'une bonne partie du malheur des malades mentaux et de leur entourage vient de l'obstination à répandre et à "promouvoir" un certain sophisme dans le monde de la "santé mentale". Il ne m'appartient pas de rechercher les causes mêmes de cet entêtement. Si je m'y risquais, je m'exposerais moi-même précisément au reproche que j'adresse à de nombreux "psys": celui d'attribuer à leurs patients - et à ceux qui les entourent - des motifs et des intentions sortis tout droit et sans preuves de leur propre imagination pour le moins tortueuse.
Ce sera donc à chacun, "en son âme et conscience", de se faire sa propre opinion sur leurs "raisons" supposées.

Les divergences d'opinions, différends, aspirations contradictoires, voire conflits et affrontements survenant au sein des familles entre générations successives ont, me semble-t-il, été connus de toute éternité. Ils ont, depuis toujours, constitué une source inépuisable pour la littérature romanesque ou théatrale, et des récits épiques en faisant état nous sont parvenus, qui remontent à l'antiquité.
La vie quotidienne actuelle, elle aussi, comporte, très répandues, ses petites disputes familiales sans lendemain, plus rarement ses fâcheries plus graves. Dans leur quasi-totalité, elles s'arrangent - plus ou moins vite, plus ou moins bien - sans faire d'histoires ni la une des journaux, et encore moins des maladies. S'il en était autrement, il y a gros à parier que, depuis longtemps, la structure appelée cellule familiale devrait avoir disparu de partout. Personne ne semble se rendre compte que les oppositions entre générations sont le résultat inévitable d'un état de fait non modifiable: les parents et leurs enfants n'ont jamais simultanément le même âge, qu'il soit physique, mental ou affectif, ni en même temps la même expérience de la vie! Les uns comme les autres doivent s'en accommoder. Depuis la nuit des temps, ils semblent en général assez bien y parvenir.

En effet, dans l'immense majorité des familles, même quand, parfois, une certaine "violence" apparente se manifeste, il ne se développe pas de maladie mentale "psychotique" chronique. Mais même quand une maladie mentale apparaît, les autres membres de la fratrie, qui pourtant vivent dans le même environnement familal, ne sont que fort rarement atteints par l'affection.
Inversement, il se trouve des familles où, en permanence, tout semble "baigner" dans l'harmonie et la sérénité et où, pourtant, la schizophrénie, par exemple, éclate chez un des enfants vers la fin de son adolescence, alors qu'elle épargne les autres.

Cependant, quand malgré tout la maladie mentale se déclare, le malade lui-même ne s'en rend pas nécessairement compte. Les diverses manifestations individuelles de la maladie n'étant jamais spécifiques, l'entourage ne peut pas les identifier immédiatement pour ce qu'elles sont: les signes d'une affection mentale. L'incompréhension et les malentendus s'installent. La vision et les interprétations que le malade et ses parents s'en font et s'en donnent, chacun de son côté, ne peuvent être que déformées et contradictoires, elles ne peuvent qu'envenimer le climat des relations familiales. Comme les uns et les autres ne peuvent plus réellement communiquer entre eux, du fait de la maladie méconnue, les petites divergences qui, habituellement, seraient facilement résolues, deviennent disproportionnées et ne peuvent que s'amplifier encore, démesurément. Malade et entourage vont mutuellement se soupçonner et s'accuser d'intentions et de motifs expliquant les attitudes, actions et réactions des uns et des autres qui, sans en être conscients au début, ne se comprennent plus. Tous les griefs, réels ou imaginaires, justifiés ou non, vont s'accumuler de part et d'autre.

Le climat finit alors par devenir totalement insupportable; le comportement du malade peut susciter des inquiétudes concernant sa santé physique même. Le sommeil fuit les uns comme les autres. La vie familiale est désorganisée. La vie professionnelle en pâtit. Devant l'accumulation de questions sans réponses à quoi on doit faire face, on finit par faire appel au psychiatre.

Dans notre pays (la Belgique), ce spécialiste n'est pas d'accès facile. Il n'accepte qu'exceptionnellement de se déplacer, il faut se rendre à son cabinet, à sa consultation (ce qui, selon la plupart de nos psys, attesterait de la volonté du patient de se soigner, sans laquelle aucun traitement psy ne pourraît être efficace).
Fréquemment, convaincre le malade de consulter n'est pas une sinécure, il y faut souvent des semaines d'efforts et de discussions fort peu paisibles. Convaincre le psy d'entendre également, séparément, les parents est tout aussi difficile, l'habitude n'en est pas encore prise chez nous.

Quand, enfin, le "psy" rencontre l'un et, parfois, les autres, des semaines, voire des mois d'incompréhension, d'inquiétudes et d'angoisses ont passé. Le malade s'est enfermé dans sa maladie et remâche ses fantasmes, ses délires, et accuse le monde entier de tous les maux qui l'assaillent; sa famille est "nerveusement" et physiquement épuisée et, à la moindre et futile contrariété, tous semblent exploser.
Devant cette situation qui n'est jamais qu'un aboutissement dont il n'a pas vécu le développement, le psy décrète (grâce à son flair, son "sens clinique" et sa psychologie, son "feeling") que les parents sont de "grands névrosés" et parle, après moins d'une heure d'observation et de conversation , de "comportements parentaux générateurs de souffrance".
Et voilà, l'affaire est entendue: les fautifs nécessaires imaginés et recherchés par le psy sont découverts, le reste, c'est-à-dire les motifs, les fautes, les "preuves", tout cela coulera de source ou, plus exactement, de l'imagination et des a priori du "psy". Plus rien n'y fera.

N'avons-nous pas là un magnifique exemple de confusion entre, d'une part, association de deux phénomènes dans le temps et, d'autre part, relation de cause à effet entre ces deux phénomènes?

En effet, tout individu sensé et un peu logique, à l'esprit critique modérément développé, ne devrait-il pas, ne fût-ce qu'un instant, envisager l'idée que c'est précisément la maladie mentale d'un des leurs qui, par ses manifestations incompréhensibles, risque de plonger les autres membres de la famille dans une parodie de "névrose"? De toute évidence, ce n'est pas cette névrose supposée de l'entourage qui fait éclore la psychose du malade! (et il n'est pas besoin non plus d'en remettre une couche en avançant l'hypothèse farfelue selon laquelle cette prétendue "névrose" serait un moyen, pour les parents, de se "protéger de leur terrain psychotique").

En démocratie, un des principes fondamentaux de la justice est la présomption d'innocence. A l'opposé et comme dans les régimes totalitaires, celui des "psys" et des "psychothérapies" serait-il
la présomption systématique de culpabilité?

Les explications simples, évidentes et logiques semblent étrangères ou répugner à de nombreux "psys". Ils préfèrent la confusion des causes et de leurs effets, le mélange des conséquences et des causes dans une sorte de tourbillon absurde que certains d'entre eux ont même appelé la "causalité circulaire". N'est-ce pas une extraordinaire

négation ou perversion de la raison, torture mentale plus que soins, attitude de suspicion systématique, une sorte de paranoïa psychiatrique?


Première publication: 3 Janvier 2003 (J.D.) Dernière modification: 3 Janvier 2003

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