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PROJETS MINISTERIELS (Politique 2)

de la ministre fédérale de "la protection de la consommation, de la santé publique et de l'Environnement"

Il s'agit du projet (ou de "l'avant-projet") de Mme la ministre Magda Aelvoet, relatif aux "Droits du patient".

Attendue depuis longtemps par de nombreux proches de malades mentaux, dans l'espoir qu'elle inspirerait ou imposerait enfin, à tous les psychiatres en général, des changements fondamentaux dans les attitudes et les comportements qu'ils adoptent habituellement envers les malades et leurs proches, cette future loi ne pourra pourtant apporter, dans la pratique, que très peu ou même pas du tout d'améliorations notables aux conditions actuelles d'hospitalisation et de traitement des malades mentaux chroniques. Leurs proches doivent donc se préparer à essuyer, une fois de plus, une amère désillusion.

En effet, si le projet de loi évoque bien, mais de manière très succincte - on pourrait même dire furtive -, le cas de personnes incapables, il ne prévoit aucunement la situation particulière des malades mentaux majeurs hospitalisés sous contrainte, eux qui n'ont aucun moyen de désigner, à l'avance et quand ils en sont encore capables, c'est-à-dire en toute connaissance de cause, une "personne de confiance" pour les représenter.

LES MALADES MENTAUX PSYCHOTIQUES CHRONIQUES SONT, À NOUVEAU, LES OUBLIÉS DE NOS MINISTRES, DES RESPONSABLES POLITIQUES ET DES "EXPERTS" QUI PRÉTENDENT LES CONSEILLER.

L'avant-projet de loi comporte une énumération des droits du patient. Parmi ceux-ci, le premier est "le droit à la prestation de services de qualité" qui a pour but de garantir à chaque patient
1) "des soins de santé efficaces, vigilants et de bonne qualité".

En psychiatrie, les appréciations portant sur l'efficacité, la vigilance et la qualité des soins sont empreintes d'une très grande subjectivité et ne peuvent que rarement faire l'objet, entre professionnels, d'un consensus qui serait obtenu sur des bases scientifiquement étayées et universellement reconnues.

Bien souvent, dans notre pays, force est de constater que seuls les proches de malades mentaux s'avèrent à même d'évaluer à peu près correctement "l'efficacité des soins de santé" (ou l'absence d'efficacité) que les "prestataires de soins" sont censés apporter à leur malade.
a) En effet, à quelle aune mesurer "l'efficacité" sinon à l'ampleur (et à la qualité?) de l'amélioration obtenue dans la manifestation des signes et symptômes du malade? Par définition, l'efficacité s'évalue d'après l'écart constaté entre les buts recherchés et les résultats effectivement obtenus. Et quelles sont les personnes les mieux placées pour apprécier au plus juste l'importance effective de cet écart?
> Est-ce que ce sont les membres de l'entourage proche qui, depuis toujours, ont connu et cotoyé en permanence et de près le malade et ont participé à sa vie (l'ont partagée) et, souvent, le font encore?
> Ou bien est-ce que ce sont les "experts" et "professionnels" qui, chaque jour, en plus de multiples autres activités, rencontrent plusieurs patients comme lui (pour les professionnels, ils ne sont en somme que de vagues "connaissances de rencontre") et doivent consulter leurs notes pour se souvenir de la teneur et des particularités du dernier "entretien" plus ou moins long, plus ou moins ancien, qu'ils ont eu avec tel ou tel patient en particulier?
La tentation est grande de dire que, poser la question, c'est déjà, en grande partie, y répondre.
La future loi, comme elle ne prend aucunement en considération les malades mentaux, ne fait pas non plus obligation aux prestataires de soins de consigner dans le dossier médical du patient les observations des membres de sa famille, de ses proches, ni de son possible représentant désigné (choisi?)

b) Ensuite, qu'est-ce, en psychiatrie, que des soins de bonne qualité? Telle quelle, cette notion est toute subjective et, figurant dans une loi, ne peut conduire qu'à des interprétations contradictoires et, éventuellement, à des polémiques et disputes insolubles, voire des litiges entre "experts". La seule façon d'objectiver quelque peu la notion de "bonne qualité", c'est de la subordonner à la notion d'efficacité déjà évoquée précédemment.
En médecine en général, les soins de bonne qualité, - et lorsqu'ils sont prodigués à bon escient - ce sont ceux dont la spécificité et l'efficacité ont été scientifiquement démontrées et sont raisonnablement garanties et raisonnablement prévisibles dans une très grande majorité des cas.
Pareille garantie a-t-elle jamais existé dans le domaine de la psychiatrie? ...
Pour les malades mentaux psychotiques chroniques, on peut donc prévoir que cette loi sera inopérante. Du moins, la "qualité" des soins sera toujours considérée comme bonne par ceux qui les dispensent, [parfois ou] souvent mauvaise par ceux qui les reçoivent, toujours détestable par ceux qui les subissent. Les contestations fréquentes qu'à coup sûr ces soins ne manqueront pas de faire naître ne seront pas tranchées objectivement, en équité, mais en fonction d'opinions, de convictions subjectives, et sans doute plus souvent en faveur des professionnels, seuls et toujours réputés "experts", plutôt qu'en faveur des proches du malade, toujours réputés ignorants et incompétents.

c) Où commence et où s'arrête la "vigilance des soins" pour les patients mentaux psychotiques chroniques? Les proches de ces malades savent, eux, qu'il s'agit d'affections fluctuant au cours du temps, dont les manifestations sont imprévisibles, même d'un jour à l'autre, et que la "vigilance" des professionnels, quoique réputés experts, est bien trop souvent prise en défaut, pourtant sans que cela remette jamais leur qualité d'expert en question. Les "soins vigilants" tels que prévus par la future loi sont donc un terme dépourvu de signification réelle pour ce qui est des malades mentaux chroniques.

L'affirmation du "droit à la prestation de services de qualité" n'est donc, en ce qui concerne les malades mentaux psychotiques chroniques, pas mieux définie, ni plus contraignante, ni finalement plus crédible que ne le serait une déclaration ministérielle qui annoncerait, par exemple, que "le temps venu, seront prises toutes les mesures adéquates que la situation imposera". En fait, cela n'engage pas à grand-chose.

2)  D'après cette loi, le patient aurait aussi le "droit au libre choix du prestataire de soins".

Ici encore, les malades mentaux hospitalisés sous contrainte sont, en fait, (mais non de leur fait!) "hors la loi". En effet, les établissements psychiatriques qui, dans chaque Région du pays, disposent de sections dites "fermées" où ces malades peuvent être pris en charge, sont en nombre très limité et leurs capacités d'accueil sont, la plupart du temps, saturées. Même quand les malades acceptent d'être "soignés médicalement", ils n'ont pratiquement aucune possibilité de libre choix du "prestataire de soins", qu'il s'agisse de l'établissement ou du psychiatre qui y travaille.
Dans la pratique, le "prestataire de soins" a toujours été imposé au malade mental hospitalisé sous contrainte, il lui était ensuite quasiment impossible d'en changer; et la présente loi ne devrait rien modifier à la situation actuelle.

3) Le "droit à l'information sur son état de santé" n'a que peu de sens s'il n'est la prérogative que du seul malade mental. En effet, le malade étant hospitalisé sous contrainte, cela signifie qu'on admet qu'il ne peut comprendre ni reconnaître la nécessité de son hospitalisation, c'est-à-dire qu'ON SAIT qu'il ne se considère pas malade, même si le "prestataire de soins" essaye de l'en convaincre.
La loi ne fait pas non plus obligation au malade de désigner une personne de confiance dont il peut fort bien, dans l'état mental où il se trouve, ne pas comprendre l'intérêt ni l'importance pour lui. Si une telle "personne de confiance" n'est pas formellement et officiellement désignée dès avant la rencontre avec le médecin, il y a peu de chances que le psychiatre "traitant" accepte d'informer un volontaire, parent ou proche du malade, aussi motivée, bienveillante et désintéressée cette personne soit-elle. En effet, l'expérience montre que, en l'absence d'injonction légale officielle qui les y forcerait, la grande majorité des psychiatres croiraient enfreindre les règles du secret médical concernant leur patient "majeur" s'ils informaient "un tiers" de l'état de santé du patient; il en a toujours été ainsi, et il y a fort peu de chances que les psychiatres changent d'attitude en ce domaine.

4) Le "droit au consentement", ainsi que le dénomme improprement (de manière inepte) le texte ministériel, pose, lui aussi, des problèmes difficiles à résoudre, auxquels cette loi se heurtera nécessairement dès qu'il s'agira de malades mentaux psychotiques chroniques. Indépendamment de ces difficultés, il aurait été plus simple et plus clair de parler de l'obligation faite au "prestataire de soins" d'obtenir du patient (ou de son représentant), après l'avoir clairement informé du traitement projeté (sa nature, ses effets bénéfiques espérés, mais aussi ses effets indésirables et les risques possibles qu'il comporte), l'autorisation pour entreprendre ce traitement (obtenir son "consentement éclairé"). Ce "droit au consentement" est donc, en langage cette fois correct et compréhensible par tous, la liberté de choix, laissée au patient, d'accepter ou de refuser, en connaissance de cause, le traitement qui lui est proposé. Cette liberté de choix n'existe, en fait, pas pour les malades mentaux psychotiques et on se retrouve là dans une situation conflictuelle où, en permanence et depuis toujours, les défenseurs théoriques des "Droits de l'Homme et de l'individu, ici et maintenant" s'affrontent aux défenseurs des Droits à la préservation de la santé personnelle et à son recouvrement à l'avenir (voyez l'article droits conflictuels).

5) Le patient (ou son représentant) aurait le "droit de consulter son dossier [médical] personnel" pour autant qu'il s'agisse des "données objectives" de ce dossier. Selon les documents ministériels, les notes personnelles des médecins ainsi que les données relatives à des tiers resteront confidentielles et ne seront accessibles "qu'aux professionnels".
La critique pertinente de ce point a déjà été émise et bien justifiée par d'autres(*) pour ce qui est des patients en général, montrant qu'il existe un risque important de tentation de créer deux "dossiers médicaux distincts ou à deux vitesses", l'un accessible mais éventuellement vide, l'autre peut-être plus fourni mais inaccessible, et que cette disposition de la loi risque de vider le secret médical de sa signification.
En ce qui concerne le dossier médical des malades mentaux psychotiques chroniques, il devrait être évident pour tous que, par nature, il ne peut jamais contenir que des appréciations personnelles tout à fait subjectives de médecin(s) psychiatre(s) à propos du patient et à propos de tiers. Seuls des "professionnels" pourraient donc y avoir accès (ce que le ministère appelle le "droit de regard indirect"). Si le "secret médical" y trouve peut-être son compte, la future loi ne modifie en rien les dispositions déjà existantes dans le cas des malades mentaux. Les parents et les proches de malades mentaux savent combien il est toujours fort difficile, voire impossible, de vaincre l'inertie et la résistance passive des "professionnels" extérieurs consultés, pour les pousser à exercer ce soi-disant "droit de regard indirect" (pourtant déjà acquis dans les lois dites "de protection"!) à l'encontre de la répugnance des "prestataires de soins" à y consentir.

6) La note ministérielle au sujet du projet de loi mentionne également le
"Droit à la protection de la vie privée qui comporterait, entre autres, le droit à l'intimité en termes d'espace" (sic), mais ne précise pas ce qu'on entend par là.

7) Le "droit à la médiation des plaintes" pourrait être, pour les malades mentaux, la seule innovation réelle apportée par cette loi. Cependant, son contenu et ses modalités d'application sont, pour le moment, indéfinis et ne devraient être fixés que par un Arrêté Royal pris ultérieurement. Force est donc de réserver son jugement à ce propos. Wait and see...

CONCLUSION: POUR LES MALADES MENTAUX, RIEN DE NOUVEAU !

(*): v. p.ex. l'opinion du Président du Conseil Provincial de l'Ordre des Médecins d'Anvers à ce sujet, dans le n° 1389 du "Journal du médecin", p.6 (27 novembre 2001)


Première publication: 20 Décembre 2001 (J.D.) Dernière modification: 20 Décembre 2001

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