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Enfoncer les portes d'un décor en trompe-l'œil qui ne s'ouvrent que sur des visions d'imagination, à quoi bon si ce n'est que pour passer le temps en exercices tout aussi illusoires que vains et stériles, voire futiles bien que peut-être distrayants ?
... à moins que ?

Les mots de notre langage parlé ou écrit ne sont pas une copie à l'identique d'une réalité (vraie). Bien qu'ils s'efforcent de désigner les choses, ils ne peuvent s'y substituer ni en tenir lieu. Ils ne peuvent pas plus en modifier l'essence.

Une tentative d'épistémologie des classifications des affections psychiatriques - telles qu'actuellement ces classifications sont encore toujours construites - ne serait-elle aujourd'hui autre chose qu'une sorte d'exercice académique d'imagination pratiqué sur des collections de « caractéristiques » assez hétéroclites (de signes et de symptômes) considérées comme si toutes ces caractéristiques étaient, chacune d'elles séparément, une entité matérielle véritable (physique) de texture (= structure & contenu biologique) unique, de composition homogène et constante d'un individu à l'autre?

Dans leur grande majorité, les critères pris en considération dans les principales classifications actuellement existantes et en usage des affections psychiatriques, ces phénomènes - dits « psychologiques », « psychiques » ou « comportementaux » ne sont, en fait et pour les psychiatres qui se servent de ces classifications, que des apparences qu'il leur faut interpréter. Les professionnels psy donnent, à chacun des phénomènes observés qui semblent y figurer, un nom et une fonction, et croient ainsi pouvoir s'autoriser à lui reconnaître (conférer) et attribuer une réelle existence, une identité et une fonction spécifiques, comme si il s'agissait, non pas de concepts virtuels qu'évidemment ils n'ont pourtant pas cessé d'être, mais ils en font plutôt - mais seulement dans leur « esprit »! - des objets réels («physiques», c.à-d. matériels). Sur ces «objets» - quoiqu' imaginaires et toujours imaginés - , pourtant ils s'efforcent généralement de s'accorder entre eux, ce qui leur permet d'ensuite s'y réfèrer commodément pour, croient-ils sans doute, être capables d'effectivement les « manipuler » (c.à-d. leur prêter, dans un but qui, en dernière analyse, devrait être « thérapeutique », des propriétés « convenables » c.à-d. modifiables à volonté et variables en fonction et surtout en faveur des besoins de leurs hypothèses, de leurs « théories », voire de leur fantaisie comme de la mode éventuelle du moment).

En réalité, par facilité et par un conditionnement très précoce (débutant vraisemblablement déjà très tôt, dès la naissance?) et ininterrompu (c.à-d. l'apprentissage continu grâce aux échanges sociaux vécus), tous ceux qui, comme vous et moi et avec l'immense majorité de la population, ne sont pourtant pas des théoriciens psys de profession, tous nous procédons aussi un peu de cette façon-là (« instinctivement », c'est-à dire automatiquement) pour former nos appréciations et jugements à propos des paroles, des actions, des états d'humeur et des comportements que nous interprétons, grâce à notre « théorie de l'esprit », chez les personnes que nous côtoyons ou rencontrons et avec qui nous entrons en relation(s).

Cependant, les professionnels psy, quant à eux, (du moins ceux qui sont bien conscients de la nature ou qualité toute arbitraire de cette démarche purement intellectuelle et d'imagination), certainement ils ne peuvent ignorer que le substrat biologique des causes réelles et des mécanismes effectifs de production et d'action de ces « pseudo-objets » psychologiques ou mentaux, bien qu'ils soient désormais apparemment réifiés sont en réalité complexes en dépit de leur trompeuse simplicité (verbale), virtuelle, artificielle et superficielle. Ce substrat physique et biologique obligé n'est au mieux que très incomplètement connu, mal compris et donc mal défini, voire trop souvent, aujourd'hui encore, sous forme seulement d'hypothèses restant soit à valider soit à infirmer ?

Les réflexions et considérations qui précèdent ne sont, tout au plus, qu'une de mes réactions - sans doute naïve - à une vidéo récemment mise en ligne sur un site français (http://www.cercle-d-excellence-psy.org/). Je trouvais ce site en particulièr intéressant et instructif, tout spécialement parce qu'on peut le comparer fort favorablement à bien d'autres sites figurant sur la toile (mais souvent moins pertinemment argumentés sur les mêmes sujets de psychiatrie), quand on navigue sur l'océan plutôt labyrinthique d'internet à la recherche d'informations sérieuses sur les progrès actuels de la psychiatrie dans nos pays européens.
Mais l'usage du DSM. IV ou .V, ou encore du CM. 10 étant depuis longtemps devenu assez général et entré dans les habitudes (c.-à d. «admis») parce que sans doute trouvé commode, la proposition de soumettre sérieusement (et à nouveau!) ces classifications au crible de l'épistémologie et d'en tirer des conséquences pratiques (peut-être restées moins familières jusqu'à présent!) rencontrera-t-elle un succès significatif auprès des praticiens psychiatres francophones et autres européens ?

Rappelons une fois de plus si nécessaire qu'à leurs débuts (± 1949 - 1952), les principales classifications des affections psychiatriques chroniques n'ont pu être élaborées que sur l'unique base disponible des signes et symptômes apparents et accessibles à la seule observation suivie de leur interprétation (l'«herméneutique ) par les psychiatres qui avaient les patients en charge. A l'époque, les médecins ne disposaient que de peu, voire d'aucun moyen éprouvé d'identifier les mécanismes biologiques (biochimiques) qui sont nécessairement à l'origine physique de ces apparences, de ces signes et symptômes (ces éléments biologiques concrets initiaux qui leur sont sous-jacents et donc invisibles, tout comme le sont les mécanismes qui en découlent). De plus, à l'époque, tous les phénomènes «psychologiques» ou «psychiques» étaient encore habituellement et par tradition - religieuse voire psychanalytique - interprétés de préférence comme étant de nature «immatérielle» (ou dite «spirituelle», d'origine surnaturelle, ou parfois encore sous-entendue «divine»). En 2017, de nombreux professionnels de la « Santé Mentale », sauf peut-être quelques-uns parmi eux, sont encore loin de s'être complètement débarrassés de ces habitudes dépassées.

Bâtie en majeure partie sur des croyances, des intuitions et des interprétations d'apparences superficielles, la construction des classifications des troubles psychiatriques ne peut donc pas prétendre à une véritable «scientificité», c.-à d. que ces classifications et la nature supposée de leurs contenus n'ont, avec la réalité physique avérée du monde dans lequel nous sommes tous plongés, qu'une relation lointaine souvent métaphorique, incertaine, fort criticable et objet de polémiques incessantes, hypothétique de surcroît, essentiellement établie non empiriquement (c.-à d. sans validation recevable).
La distance entre ces classifications et la réalité physique pourraît sans peine nous évoquer et se comparer à celle qui séparait la représentation géocentrique de l'univers ptolémaique de celle, héliocentrique, selon Copernic, Képler et Tycho Brahé, puis enfin Galilée (par prudence et dans le doute, j'omets d'une comparaison avec les pratiques actuelles les horoscopes et la voyance, quoique...).

Dans les classifications psychiatriques principalement en usage de nos jours un même critère (signe ou symptôme) peut figurer à la fois dans deux ou même plusieurs définitions distinctes d'affections mentales (c.-à d. ayant reçu des noms différents), ce qui, pour les profanes, peut suggérer et laisser croire à leur identité constante ou aux mêmes mécanismes de leur production d'une « maladie » psychiatrique chronique à l'autre, comme aussi chez deux patients distincts auxquels un même diagnostic de psychose chronique aurait été attribué. Or, qu'en savons-nous vraiment? Serait-ce vraiment toujours le cas?
Et par exemple en effet, une étude récente (A.C. Stanfield et al.: Schizophrenia Bulletin 43(6), pp. 1220-1228, 2017 doi:10.1093/schbul/sbx083), menée chez des personnes affligées soit d'un trouble du spectre autistique, soit de schizotypie, a conclu à une différence des mécanismes cérébraux produisant des « déficits cognitifs sociaux » pourtant similaires dans ces deux « classes » distinctes de troubles psychiatriques chroniques.
(Incidemment, on pourrait voir dans cette différence de mécanismes produisant des symptômes pourtant comparables, une explication plausible de l'affirmation - fausse mais fort fréquemment émise - d'une croyance très répandue pouvant s'exprimer comme suit: "puisque tel médicament antipsychotique (XYZ) a fait merveille pour monsieur Untel ou pour madame Unetelle, il devrait bien convenir pour moi aussi"; Alors que pareille croyance est universellement distribuée, elle est presque aussi souvent réfutée par l'expérience pratique, ce qui paraît difficilement compréhensible au grand public non averti).

Aujourd'hui (fin 2017), la génétique et la génomique prennent enfin le pas sur les superstitions et les croyances dépourvues de toutes preuves, l'imagination incontrôlée et les hypothèses fantaisistes voire farfelues de toutes façons invérifiables qui, auparavant, prévalaient trop souvent sur le savoir avéré et la rigueur scientifique indispensable. Ces disciplines apportent, avec leurs progrès techniques extraordinaires, accompagnés par le développement non moins spectaculaire des méthodes de bio-informatique, la possibilité d'enfin remplacer par des notions empiriquement validées les noms (appellations) ainsi que les « étiquettes » arbitrairement attribuées précédemment à des concepts brumeux voire vides ou impossibles figurant dans les définitions et classifications des affections psychiatriques chroniques.

Cette évolution, me semble-t-il souhaitable, doit se poursuivre. Il faut donc l'encourager aussi vigoureusement que possible. Elle annonce la probable prochaine découverte de nombreux nouveaux endophénotypes qui, dans les définitions des psychoses chroniques et leurs classifications actuelles, devraient s'avérer plus proches d'une conformité à la réalité des diverses altérations biologiques réellement responsables des dysfonctionnements des circuits neuronaux. Cette meilleure adéquation de nos connaissances à la réalité « tangible » de notre système nerveux central devrait, au moins dans un premier temps, permettre de cibler, plus spécifiquement qu'il n'est possible de le faire aujourd'hui, quelques chaînons neuronaux cruciaux dans les circuits dont la fonction est altérée.
Enfin, dans un deuxième temps, on peut avoir de bonnes raisons d'espérer, toujours grâce à la génétique, la découverte des divers gènes encore inconnus à l'origine (les « causes premières ») de l'affection, et on sait que l'on dispose déjà aujourd'hui des techniques de chirurgie génomique permettant de neutraliser ou de remplacer ces gènes défectueux par de meilleurs substituts fonctionnant correctement.

Voilà pourquoi, si la proposition de réfléchir à une épistémologie des classifications des affections psychiatrique pourraît, à première vue, être prise pour la promotion d'une sorte de divertissement certes intéressant mais plutôt stérile, elle a pourtant le mérite de promouvoir la réflexion des professionnels sur la validité actuelle de ces classifications et sur l'intérêt qu'il y aurait à profiter des progrès de la génétique afin de susciter de nouveaux efforts pour actualiser les contenus des classes psychiatriques et mieux assurer leur validité.


Première publication: 27 Novembre 2017 (J.D.) Dernière modification: 27 Novembre 2017

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