LES PROGRES SCIENTIFIQUES ne BOUSCULENT encore que trop DIFFICILEMENT
les TRADITIONS de PENSÉE, les CROYANCES et HABITUDES, mais ils s'amoncellent pourtant
petit à petit malgré les obstacles des superstitions!


"We do not know how the brain produces the mind." (p. 11)
("Nous ne savons pas comment le cerveau fabrique l'esprit.")
"Thoughts and moods occur through actions of neurons and synapses and in no other way." (p. 12)
("Les pensées et les états d'humeur résultent de l'action de neurones et de synapses et de rien d'autre.")
"However, psychiatry remains a medical discipline long on disorders and short on explanations." (p. 7)
("Toutefois, la psychiatrie demeure une discipline médicale riche en troubles et pauvre en explications.")

Paul R. McHugh, M.D. and Phillip R. Slavney, M.D.
The Perspectives of Psychiatry (2nd ed)
(The Johns Hopkins University Press, Baltimore 1998 ISBN 0-8018-6045-8)

Lorsque j'entamais la rédaction du présent article (en février 2016), on venait d'annoncer, en janvier de cette même année 2016, la publication d'une étude scientifique d'une importance majeure (Sekar A. & al., "Schizophrenia risk from complex variation of complement component 4". Nature DOI 10.1038/nature 16549) dont la presse a aussitôt proclamé qu'elle constituait une grande première parce que, du moins pour certains journalistes, elle fournirait, aux sceptiques encore obstinément englués dans une idéologie obsolète et qui aujourd'hui doutent encore toujours de l'évidence, elle leur apporterait pour la toute première fois paraît-il, la preuve enfin tangible et peu contestable d'une origine bien biologique et génétique de la schizophrénie (une preuve qu'ils croyaient encore toujours purement imaginaire!).

En réalité, ceux qui, parmi les neurologues et psychiatres, sont bien au courant de l'état d'avancement des sciences se rapportant à leurs spécialités professionnelles, eux savent depuis longtemps qu'en effet, la schizophrénie est bien la manifestation d'un dysfonctionnement du cerveau, et que pareil dysfonctionnement ne peut être que la conséquence obligée et fort logiquement inéluctable d'une « très précoce erreur de programmation génomique », physique ("matérielle" = "organique"), c'est-à dire (génétique et) biologique se répercutant sur la formation et sur l'organisation des circuits corticaux du cerveau. Les suites néfastes, structurelles et fonctionnelles de cette "erreur" se mettent en place et s'installent pendant certaines phases du développement du système nerveux central, prédominant de préférence à certains moments de la vie in utero, dont entre autres la période périnatale, puis ensuite durant l'enfance et surtout à l'adolescence (et peut-être aussi un peu plus tard encore, comme le montrent Petanjek, A. & al.: "Extraordinary neoteny of synaptic spines in the human prefrontal cortex" PNAS 2011, 108, (32) 13281-13286 ). Ils savent aussi que les manifestations observables de cette affection psychiatrique des plus redoutables sont le résultat tout à la fois, primo de l'action de multiples facteurs génétiques complexes et secundo des réactions et réponses de la personne atteinte, inadéquates à l'environnement (naturel et social) et entraînées comme conséquences des altérations cérébrales d'origine génétique. Tout cela n'est aujourd'hui plus à démontrer, car des preuves solides, convaincantes et multiples en ont été apportées et confirmées à de nombreuses reprises (par de très nombreux chercheurs scientifiques indépendants les uns des autres).

Il faut cependant comprendre, et surtout ne pas l'oublier, que le grand intérêt de cette étude ne réside pas dans la preuve ou la confirmation qu'elle apporterait de l'origine biologique de certaines affections schizophréniques (ce qui, bien que peut-être intéressant, ne serait pourtant que du réchauffé!), mais (grâce à un véritable tour de force d'un énorme travail technique et d'intuition scientifique) qu'elle se signale par l'identification d'un gène et de ses variants, un gène très variable dans ses diverses copies et dans ses niveaux d'expression (c.-à d. d'activité) d'un individu à l'autre. Ce gène joue un rôle critique dans le contrôle de la production d'une des protéines (le "C4A"/"C4B") faisant partie d'une "cascade" (c.à d. une "chaîne" fonctionnelle) de plus d'une trentaine de diverses petites protéines et peptides s'influençant mutuellement. Cette cascade protéinique constitue un ensemble ou "système" qu'on appelle "le complément". Le complément est un des éléments de base de l'immunité innée. Synthétisé principalement par le foie qui le sécrète dans le sang, on le retrouve donc dans le sérum sanguin, mais son composant C4 se retrouve aussi dans le cerveau, dans les neurones et leurs synapses.

Dans l'ensemble de l'organisme, le complément se fixe sur les complexes produits des réactions résultant de la rencontre des antigènes et de leurs anticorps correspondants (à la surface des "intrus" et agresseurs extérieurs, microbes ou particules de substances et corps étrangers, fragments de cellules mortes ou dénaturées, etc., p.ex.). Le complément, en se fixant ainsi sur ses cibles, forme des agrégats signalant à "l'attention" et "poussant" à l'action des cellules phagocytaires (macrophages) sur les structures qu'elles devraient détruire et qu'elles pourront ensuite éliminer en même temps que les éléments cellulaires supportant ces agrégats qui s'y seront accrochés. (Suivant les cibles variées visées par le complément [virus, bactéries, cellules de l'hôte lui-même], ce seront des séquences différentes formées de différents composants du complément qui s'activeront. Les lecteurs intéressés par ces mécanismes - trop complexes pour être expliqués ici, pourront, s'ils le veulent, en trouver les détails schématisés dans la publication de Mayilyan et al., : "The Complement System in Schizophrenia", Drugs News Perspect. 2008 may; 21(4): 200-210. DOI: 101358/dop.2008.21.4.1213349).

Depuis déjà quelques années et à la suite de diverses études assez nombreuses, on suspectait que des réactions immunitaires pouvaient être impliquées dans les mécanismes responsables des troubles schizophréniques, mais les observations de ces études apparaissaient souvent peu cohérentes voire contradictoires d'une étude à l'autre. Ces observations ont été récemment rassemblées et passées en revue et une hypothèse explicative plausible et intéressante a été proposée, susceptible d'enfin les concilier et de les unifier (Dennis K. Kinney & al., : "A unifying hypothesis of Schizophrenia: Abnormal immune system development...". Medical hypotheses, DOI: 101016/j.mehy.2009.09.040.)

Au cours de la croissance et du développement embryonnaire cérébral, les cellules nerveuses se multiplient et migrent vers les emplacements auxquels elles se destinent normalement et qu'elles occuperont dans le cerveau adulte. Pour ce faire, pendant leurs trajets migratoires au sein de l'ébauche cérébrale, elles envoient autour d'elles des prolongements (des "pseudopodes"), sortes d' "éclaireurs" et "explorateurs" (des neurites dont certains deviendront leur[s] futur[s] axone[s]). Les extrémités de ces prolongements en quelque sorte tâtonnent tout en progressant en direction de leurs objectifs futurs pour s'approcher des cibles neuronales (c.-à d. d'autres neurones ainsi que de leurs arborescences dendritiques) avec lesquelles, après les avoir atteintes, elles formeront des contacts synaptiques. Ainsi s'établiront, dans un premier temps, et en apparence un peu comme si c'était au hasard, un très [trop] grand nombre de contacts synaptiques, parmi lesquels cependant une fraction de ces contacts se seront "fortuitement - ou accidentellement?" soit "trompés" de cibles ou encore seront redondants, ou bien encore se seront égarés en chemin au cours de leur migration. Conséquences de ces diverses erreurs, ces contacts "superflus" ne pourraient (pourront) pas devenir correctement fonctionnels à l'avenir.

Ces synapses "aberrantes" ou surnuméraires et excédentaires seraient vouées à rester "inutiles" ou seraient même intempestives, car si elles devaient se maintenir, leurs éventuelles activités risqueraient de désorganiser le futur bon fonctionnement cérébral adulte normal. Normalement, elles seront donc éliminées dans un deuxième temps. Cette élimination sera obtenue par un processus d'élagage (pruning en anglais) rappelant - bien sûr à l'échelle microscopique du développement de l'organe cerveau! - l'opération bien connue de la taille qu'on pratique en jardinage, en arboriculture et en viticulture (p.ex. sur les fleurs fanées et les fruits et rameaux mal placés ou mal formés) . C'est en quelque sorte une indispensable tâche de toilettage cette fois attribuée et réservée, plutôt qu'au sécateur du jardinier, à ces macrophages particuliers propres au S.N.C. que sont les cellules microgliales. Cet élagage est donc nécessaire au développement normal du cerveau; (Rosa C. Paolicelli & al. : "Synaptic pruning by Microglia is necessary for Normal Brain development", Science 333, 1456 (2011) DOI: 10.1126/science 1202529).

C'est pendant l'adolescence que cet élagage est le plus intense, et l'adolescence est aussi la période où les manifestations d'une éventuelle schizophrénie habituellement (c.-à d. le plus souvent) commencent par apparaître. On sait que les symptômes de l'affection coïncident avec une diminution excessive (par rapport à la normale) du volume de certaines zônes corticales cérébrales. Ce volume moindre correspond à un nombre moindre de contacts synaptiques (dû à un élagage exagéré et sans doute peu ou non sélectif) et à un développement moins étendu des arborisations dendritiques, qui occupent par conséquent un volume moindre elles aussi. On comprend mieux désormais pourquoi les symptômes, bien que dépendant à l'origine d'une anomalie génétique (donc extrêmement précoce), ne se développeront que bien plus tardivement par rapport à celle-ci; (jusqu'à il y a peu, de très nombreux praticiens "de terrain" professionnels s'obstinaient et préféraient encore toujours expliquer l'apparition "retardée" des signes d'une schizophrénie par divers "événements, circonstances et raisons psychologiques" supposés défavorables et qui seraient soi-disant survenus pendant l'enfance.)

L'étude de Sekar & al. a porté sur près de 37000 cas de schizophrénies. L'anomalie génétique aboutissant à un excès d'activité du composant C4, correspondant à l'élagage consécutif exagéré de synapses n'a cependant été détectée que dans 25% de ces cas. Pour les 75% de cas d'élagage trop étendu où le C4 ne semblait pourtant pas impliqué, il faudra donc encore continuer de chercher quels sont les autres gènes susceptibles d'entraîner, eux aussi, une élimination pathologique comparable de contacts synaptiques. On peut espérer que le travail de Sekar et de ses collaborateurs aura indiqué la voie de pistes nouvelles.

La recherche du ou des autres gènes, responsables eux aussi, d'un élagage comparable et excessif de synapses (dans les 75% de cas restants de schizophrénies) risque cependant de prendre un temps encore indéterminé (peut-être long), car différentes "chaînes fonctionnelles métaboliques" encore mal connues pourraient très vraisemblablement être impliquées, qui interviennent d'une manière ou d'une autre dans la synaptogénèse. Non seulement la recherche de ces autres gènes pourrait se prolonger, mais aussi, une fois qu'on les aura identifiés, comment en détecter en temps utile la présence, comment en prévenir à temps - assez tôt au cours de la gestation maternelle - le développement de leurs conséquences?

Je voudrais croire, (mais cela n'est de ma part bien sûr qu'un vœu personnel sans doute encore utopique à ce jour), qu'on sera bientôt capable de récolter dans une prise de sang, des groupes de cellules du syncytium trophoblastique placentaire dont on sait qu'elles sont présentes aussi dans la circulation sanguine maternelle. Il deviendrait alors possible d'en analyser l'ADN pour pouvoir décider suffisamment tôt - problème éthique et théologique! - du sort qu'on estimera par conséquent devoir réserver à l'embryon: le laisser ou non se développer selon que son ADN serait "le bon" ou non. Mais pour cela, il faudra encore attendre, car si on n'est probablement pas loin de maîtriser la technique nécessaire, nous n'y sommes pas encore vraiment, et je ne suis pas sûr qu'on ait déjà sérieusement réfléchi à cette éventualité...


Première publication: 30 Mai 2016 (J.D.) Dernière modification: 30 Mai 2016

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