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"La médecine s'est toujours mieux réformée lorsqu'elle était contrainte de le faire par ceux qu'elle ambitionne de servir."
Alain Bottéro: "Un autre regard sur la schizophrénie", p.204
Odile Jacob. Paris 2008. ISBN 978-2-7381-1997-1

Idées fausses, problèmes mal posés, fausses solutions

Les préjugés, les idées fausses et toutes sortes de légendes anciennes mais toujours bien vivaces circulent dans le grand public à propos des malades mentaux chroniques, de leurs "maladies" mentales, des mesures qu'il y a lieu de prendre pour soulager ces malades et pour atténuer les multiples conséquences de leurs affections.

Ce constat d'une représentation lacunaire et, bien souvent, fantaisiste des maladies mentales dans le public est la raison officielle invoquée par diverses organisations belges qui, en 2001, justifiait une campagne de "sensibilisation" du grand public aux "problèmes de santé mentale". Cette campagne s'efforçait surtout, paraît-il, de réduire la "stigmatisation" et la "discrimination" dont les malades mentaux seraient victimes de la part de la population en général. Nous avons déjà dit, dans les autres articles de ce site, quelles sont nos convictions à ce sujet, et nous n'y reviendrons plus ici: il n'y a, jusqu'à présent, aucune raison qu'elles changent.

Cependant, les idées fausses et les préjugés ne se limitent pas aux représentations qu'on se fait des maladies mentales et de leurs victimes. Elles ont également trait à la psychiatrie, c'est-à-dire non seulement au traitement des malades mentaux, mais aussi aux moyens dont on dispose pour définir, détecter et identifier "les maladies mentales" (en poser le diagnostic), pour en prédire l'évolution (en faire le pronostic) et elles concernent tout autant les diverses thérapeutiques qu'on imagine devoir mettre en oeuvre pour les "soigner" (les traiter).

Les idées fausses et les préjugés ne sont pas non plus le monopole du grand public profane. Malheureusement, on les rencontre aussi, et beaucoup moins rarement qu'on ne le voudrait, parmi ceux qui, dans l'exercice de leur profession, ont à s'occuper de malades mentaux chroniques. Ces professionnels, ce sont le corps médical - psychiatres ou non - et les juristes (juges et avocats).
Ces derniers ne sont pas médecins. Au départ, ils partagent donc, sur les maladies mentales, les idées reçues de Mr. et Mme Tout-le-monde. S'ils veulent se forger une opinion plus "professionnelle", ils ne peuvent que se référer à ce que les "experts" médicaux officiellement reconnus en la matière leur disent.

Mais, si on se base sur les récits des familles et des proches de malades mentaux chroniques (et quelles raisons valables aurait-on de ne pas les écouter?), il semblerait que les médecins eux-mêmes, qu'ils soient psychiatres, généralistes ou exerçant d'autres spécialités, soient nombreux à se faire une représentation fausse des maladies mentales chroniques et de la psychiatrie. En réalité, ils en savent ce que d'autres psychiatres leur en enseignent sur les bancs des facultés de médecine et dans les services de psychiatrie hospitaliers: dans ces lieux-là (comme nous l'avons déjà dit ailleurs), les choses dites et parfois montrées, entendues et parfois vues, ont peu en commun avec la réalité quotidienne vécue par vous et moi. Sans doute pourrait-on dire que de nombreux médecins croient y avoir "reçu la science", mais rares sont ceux qui ont vraiment l'occasion de la confronter journellement et continûment à l'expérience vécue. Ils n'acquièrent donc qu'exceptionnellement une véritable expérience personnelle des multiples aspects des maladies mentales.
Or, dans le domaine du "mental", l'intuition basée sur l'expérience personnellement vécue et ressentie, même si elle est loin de suffire à tout résoudre, revêt une importance capitale et prépondérante, elle est le préalable indispensable à la prise de toute décision par le médecin. On semble aussi très généralement oublier que, par nature même, pareille expérience reste personnelle, elle n'est pas transmissible, c'est-à-dire qu'elle ne peut être enseignée ex cathedra ni par des descriptions (elle ne l'a donc jamais été!)

Dans son Bulletin trimestriel (pp. 3-5, n° 94 de décembre 2001), notre Conseil National de l'Ordre des Médecins publie un "avis" (référence a094002). Cet avis, par l'exemple concret caractéristique qu'il nous donne, illustre fort bien certains des aspects évoqués ci-dessus. L'avis a trait au "Rapport médical circonstancié" qui doit accompagner toute requête auprès du juge de paix en vue d'hospitalisation sous contrainte, pour obtenir la "mise en observation" (pour maladie mentale).
La première partie du document cité consiste en "l'énoncé du problème", la deuxième partie est l'avis du Conseil pour la "solution" du problème.

Avant de relever quelques uns des points intéressants de cet avis, il n'est pas inutile de rappeler, peut-être avec quelque insistance, la donnée ou condition initiale principale du problème soumis par le psychiatre à l'avis du Conseil National de l'Ordre des médecins. En effet, comme on peut précisément le voir ici, cette condition initiale risque d'être perdue de vue au cours de l'étude même du problème, les solutions proposées perdant alors toute signification utile puisqu'elles s'adresseront à un problème désormais différent de celui d'origine, et l'on pourrait aussi en retirer l'impression, justifiée ou non, que les réponses fournies éluderaient en fait les questions posées.

Il est question ici du "Rapport médical circonstancié", dont l'obligation de le rédiger et de l'adresser au juge de paix résulte du caractère forcé de l'admission du patient dans un établissement psychiatrique. On ne semble pas s'être demandé pourquoi il fallait recourir à l'admission forcée. Les psychiatres faisant partie du Conseil National de l'Ordre des médecins (ou ceux dont les conseillers auraient pu recueillir les avis) auraient certainement été en mesure d'expliquer à leurs confrères que l'admission forcée est, très généralement, la conséquence fort logique de la non reconnaissance, par le malade, de son affection mentale. Cette non reconnaissance entraîne son refus et la non observance du traitement, que celui-ci soit administré en ambulatoire ou en institution. La non observance du traitement constitue pour l'état du malade un risque dont le médecin traitant ne peut assumer la responsabilité. Il ne peut donc accepter pareil refus, car ce serait s'y associer, au détriment des véritables intérêts de son patient.

Reprenons tout d'abord - bien que nous n'en disposions que "de seconde main" - les raisons qu'aurait invoquées le juge de paix mentionné plus haut pour refuser la validité du "rapport médical circonstancié". Nous pouvons imaginer que, confronté à une demande d'hospitalisation forcée, un juge de paix, garant des droits et libertés individuelles, ait un premier mouvement, une tendance naturelle à mettre en doute le bien-fondé d'un document qui, avant toute autre chose, justifiera de priver, au moins temporairement, quelqu'un de sa liberté. Il devra donc tenter de préserver cette liberté s'il a le moindre doute à propos des motivations et du désintéressement du rédacteur du rapport.

D'après le juge de paix, le médecin traitant rédacteur du rapport pourrait avoir entendu parler du patient, par exemple par des collègues ou autres professionnels, ou il aurait pu en entendre parler par des membres de sa famille, ou encore, de par sa relation étroite et prolongée de médecin traitant avec son patient, il aurait tissé avec ce dernier des liens comparables à des liens de parenté.
Pour ce juge de paix, ce que le médecin pourrait avoir entendu des propos tenus par des tiers sur son patient, mais aussi ce que lui-même aurait appris et observé de son patient au cours de leurs rencontres aurait privé le médecin de son "indépendance professionnelle et intellectuelle". Son "Rapport médical circonstancié" en deviendrait donc "une attestation de convenance".

Plusieurs erreurs entachent ce raisonnement.

A la différence de tous les autres médecins, le psychiatre ne dispose pas de signes physiques mesurables ni d'examens techniques ou d'analyses de laboratoire pour poser un diagnostic et se faire une opinion sur l'état de son malade. Pour atteindre ces objectifs, il procède un peu à la manière d'un juge d'instruction menant son enquête et recueillant des témoignages. Du fait même de sa maladie, le patient est lui-même un témoin peu fiable, ce qu'on a trop tendance à oublier. Les manifestations de son affection (son discours, ses attitudes, son comportement, son/ses humeur/s) peuvent très fortement et rapidement varier au cours du temps. Ses affirmations doivent donc être comparées (recoupées) avec les témoignages d'autres personnes: par exemple, la parentèle, les proches, parfois aussi les collègues de travail: tous ceux qui, vivant avec le malade, le connaissaient déjà avant qu'il ne soit manifestement atteint et ont été témoins des changements qu'il a subis depuis, ou ont eux-mêmes assisté aux événements qu'il rapporte.
Pour le médecin, la conviction qu'il se trouve face à un malade mental est donc, le plus souvent et bien plus que le seul constat dans l'instant présent, l'aboutissement d'une histoire dont il a soigneusement reconstruit le parcours. Cela, seul le médecin traitant (psychiatre ou non), peut y arriver de manière crédible.
Quant au psychiatre extérieur, implicitement supposé indépendant, objectif et, surtout, à la fois omniscient et infaillible, lui qu'on appelle pour "concertation", on lui fait en l'occurrence jouer un rôle dont il est difficile de comprendre comment il peut accepter de s'y prêter: celui de prête-nom pour signer le "rapport médical circonstancié", voire le rôle d'homme de paille pour assumer la responsabilité de l'hospitalisation forcée, alors qu'il ne peut personnellement s'appuyer que sur trop peu de ces "constatations irréfutables" que pourtant on attend de lui qu'il les débusque. Alors, mais cette fois de manière bien plus plausible que dans les cas évoqués par le juge de paix en cause, on pourrait, en effet, être tenté de parler d'attestation de "complaisance" et non de "convenance", non plus du médecin traitant, mais bien du consultant, de ce dernier envers le premier!

Toutes ces erreurs pourraient se résumer ainsi: contrairement à ce que certaines justices (juges) de paix sembleraient croire, il ne s'agit pas, en l'occurrence, d'un problème de partialité ou d'impartialité du rédacteur du "rapport médical circonstancié". Il s'agit de savoir, du médecin traitant averti ou d'un consultant extérieur, réputé expert mais choisi délibérément pour son ignorance initiale de la plupart des éléments d'après lesquels apprécier l'état du malade et la nature de sa maladie, qui est le mieux à même de prendre la décision qui assurera la meilleure protection du patient.
On pourrait encore nous rétorquer que l'expert jouit d'une compétence dont peut-être le médecin traitant ne pourrait se prévaloir. C'est le moment de se souvenir d'un vieux proverbe oublié: expérience passe science. Dans le cas qui nous occupe, si l'expert est réputé avoir la "science", c'est pourtant le médecin traitant qui a l'expérience.

On devrait peut-être encore rajouter ceci: quand une personne est accusée d'avoir commis un délit ou un crime, on lui accorde habituellement la présomption d'innocence tant que sa culpabilité n'a pas été démontrée et qu'une sentence n'a pas été prononcée. Rejeter le "rapport médical circonstancié" sous prétexte qu'il a été rédigé par le médecin traitant équivaut à condamner ce dernier sur simples présomptions de "non dévouement à son patient", "négligence de ses vrais intérêts", ou même "intention de lui nuire."
Le médecin traitant se rendrait-il suspect de tous ces méfaits du fait qu'il doit se résoudre à forcer son patient incapable de jugement, dans son meilleur intérêt, à une hospitalisation qu'il refuse? Est-il donc coupable d'office? Est-ce cette culpabilité d'office qui servira au mieux les intérêts véritables du patient?

Nous renvoyons à l'avis du Conseil National de l'Ordre des médecins publié en réponse à la question du psychiatre vers laquelle nous avions pointé plus haut. Cet avis, à son tour, appelle quelques remarques.

Certaines affirmations de l'avis peuvent laisser perplexe à cause des contradictions qu'elles semblent recéler. Il est dit très clairement et très justement, nous semble-t-il, que l'intérêt du patient doit être le souci primordial de tout médecin. On reconnaît ensuite que le médecin traitant est "le mieux placé" pour rédiger le rapport médical circonstancié mais, aussitôt, on tempère cette affirmation en disant que le médecin traitant "peut avoir de bonnes raisons d'y renoncer". Ces "bonnes" raisons (personnelles?) du médecin traitant entreraient-elles donc en conflit avec les intérêts véritables de son patient?

Un peu plus loin, toujours à propos du médecin traitant, il est dit que "En effet, pour des raisons personnelles, il ne peut négliger ni l'intérêt de son patient, ni les intérêts éventuels de la collectivité". On peut penser que le rédacteur ait voulu dire que "des raisons personnelles ne peuvent, en aucune manière, inciter le médecin traitant à négliger l'intérêt de son patient ou les intérêts éventuels de la collectivité."
Or, si le médecin traitant envisage l'opportunité du rapport médical circonstancié, n'est-ce pas justement parce qu'il estime que l'hospitalisation forcée de son patient s'impose dans l'intérêt même de celui-ci? Et ses éventuelles raisons personnelles (même "bonnes?") ne doivent-elles pas alors s'effacer derrière le souci primordial du médecin traitant, c'est-à-dire l'intérêt véritable de son patient?

Il est dit aussi: "Bien que celui-ci [le médecin traitant] soit le mieux placé pour le rédiger [le rapport médical circonstancié], il peut avoir de bonnes raisons d'y renoncer. Ceci ne le dispense toutefois pas du devoir de veiller à ce que le rapport médical requis soit délivré lorsqu'il juge que des mesures de protection sont nécessaires afin d'éviter un plus grand désastre."
En d'autres termes, le médecin traitant devrait "prendre ses responsabilités" mais il pourrait prétendre, en déléguant la rédaction du rapport à un autre, ne pas avoir à les assumer ouvertement lui-même. N'est-ce pas là une sorte de restriction mentale?

On peut craindre que "les bonnes raisons" de ne pas rédiger le rapport médical circonstancié ne soient, le plus souvent, qu'une illusion. En effet, et bien que l'avis émis par le Conseil ne les explicite pas, les "bonnes raisons" le plus souvent invoquées sont le souci, de la part du psychiatre traitant, de préserver, entre son patient et lui, la relation privilégiée de confiance qu'il croit avoir nouée et qu'il estime nécessaire au bon déroulement d'un traitement adéquat. En d'autres termes, nombreux sont les psychiatres traitants qui répugnent à imposer eux-mêmes à leur patient le traitement que celui-ci refuse, ils ne veulent pas "se disputer" avec leur patient à propos de ce traitement refusé, même s'ils sont convaincus de sa nécessité.
Nombreux sont les médecins psychiatres qui pensent que "seul un traitement librement consenti peut être efficace", faisant ainsi preuve, soit d'une grande ignorance des caractéristiques des psychoses, soit de bien peu de véritable volonté de soigner efficacement les malades psychotiques. Nous ne trancherons pas...

Le "rapport médical circonstancié" est, rappelons-le encore, la principale prémisse du présent problème. Cette prémisse précisément implique [et se justifie par] l'impossibilité où est le médecin traitant [de faire accepter] d'appliquer, soit à domicile, soit en "ambulatoire", le traitement indispensable qui évite à son patient de se mettre lui-même - ou autrui - en danger. A son tour, cette impossibilité est, principalement, la conséquence de l'incapacité du malade à prendre conscience de son état, incapacité qui entraîne sa non observance du traitement - par refus autant que par négligence et inconscience morbides.
Est-il besoin de dire que, dans pareilles conditions, la fameuse relation de confiance invoquée par nombre de psychiatres traitants n'est plus rien d'autre qu'une fiction?

L'avis du Conseil affirme aussi que "Le rejet d'une requête introduite avec le concours du médecin traitant n'est pas favorable à la relation de confiance ultérieure entre le médecin et le patient". Assurément! Mais est-ce bien le rejet de cette requête qui est mal ressenti par le patient, et ne serait-ce pas plutôt et bien plus vraisemblablement l'introduction elle-même de cette requête par son médecin que le malade n'apprécierait pas, car, l'aurions-nous oublié, il s'agit bien d'hospitalisation forcée?
En cas de rejet de la requête, le psychiatre traitant risque de se retrouver à nouveau et immédiatement face à un patient peu compréhensif et, cette fois, sans doute rancunier, tandis qu'il y a moins de chances qu'ils se revoient de sitôt si l'hospitalisation forcée est acceptée!

Constatons enfin que, au cas où la jurisprudence de la justice de paix concernée risquerait de n'être pas favorable à la requête d'hospitalisation forcée, l'avis du Conseil est que "le médecin traitant doit rechercher une solution pragmatique", par exemple de "parvenir à une admission de plein gré ou de demander une deuxième opinion à un médecin avec lequel il n'a pas de liens, encore que le patient doive se déclarer d'accord avec ces propositions".

Autrement dit et en substance, comme dans ce cas la solution au problème posé n'existe pas, supprimons tout simplement le problème [du rapport médical circonstancié]. Il suffit d'inventer un nouveau concept révolutionnaire: celui du malade mental toujours raisonnable et d'avance accommodant (les démonstrations [par l'] absurde[s], vous connaissez?) Dès ce moment en effet, c'est l'admission de plein gré qui s'impose à l'esprit de tous, et elle ne requiert aucune autorisation!
Comment n'y avait-on pas pensé plus tôt? Etait-il donc besoin de se casser la tête avec ce rapport médical circonstancié?

Non mentionné dans l'avis du Conseil, un avantage pourtant non négligeable de cette admission de plein gré finalement arrachée grâce aux ressources inépuisables de psychologie et de diplomatie du psychiatre traitant doit encore être évoqué.
Dans le cas d'une admission de plein gré, le malade conserve en effet une liberté entière. Et cette liberté comporte, bien sûr, celle de changer d'avis aussitôt admis à l'hôpital, de refuser à nouveau tout traitement et d'exiger sa sortie immédiate (et nombreux sont les malades mentaux psychotiques qui, en apparence raisonnables un instant, se révèlent déraisonnables l'instant suivant et ne se privent pas de pareils revirements! - cela étonne?)
Le psychiatre "attaché" à l'institution n'a aucun droit de s'opposer à l'apparente volonté du patient, même si l'état de ce patient lui en fait un devoir moral et professionnel.
"Il ne serait pas raisonnable d'attendre sciemment une escalade de la situation", mais n'en favorise-t-on pas la survenue en prétendant "sciemment" en ignorer la probabilité?

Il ne reste plus aux médecins et psychiatres traitants qu'à mettre en pratique, sur le terrain, l'avis tout en nuances émis par le Conseil National de l'Ordre des médecins de Belgique. Espérons que, pour le plus grand bien des malades mentaux, ils y parviennent avec succès...


*** Dans le Bulletin du Conseil National de l'Ordre des Médecins de Belgique n° 98 (décembre 2002, référence a098002), p.3, un avis du Conseil a été émis à propos de "l'avis des services spécialisés dans la guidance ou le traitement de délinquants sexuels". Cet avis illustre à nouveau le dilemme devant lequel se trouvent placés ceux qui doivent décider de la remise (ou de la non-remise) en circulation d'une personne internée et "traitée" à la suite de délits sexuels. Ce dilemme est de même nature que celui devant lequel se trouve placé l'expert psychiatre devant étayer, par la rédaction d'un rapport médical circonstancié, la décision d'hospitaliser sous contrainte un malade mental: il ne peut être simultanément médecin traitant du patient et médecin expert commis à l'évaluation de l'état de ce patient.
Le Code de déontologie médicale (article 121) est très clair sur le sujet: Un médecin ne peut accepter une mission d'expert judiciaire concernant une personne qu'il aurait déjà examinée en une autre qualité. Ceci explicite bien l'incompatibilité existant entre les fonctions de médecin traitant et celles de médecin expert quand un même patient est concerné, incompatibilité bien compréhensible d'ailleurs.

Ce qu'on ne nous dit cependant pas, et qui est pourtant évident, c'est que, précisément dans le cas de l'expertise psychiatrique, cette incompatibilité prive l'expert des éléments indispensables sur lesquels baser un jugement, si bien que ce dernier ne peut alors plus être autre chose qu'une intuition, une sorte de pari plus ou moins raisonné. Le silence qu'on observe sur cette difficulté ne peut qu'entretenir une interprétation faussement optimiste des savoirs scientifiques et des capacités réelles de la psychiatrie actuelle, ainsi que des compétences effectives de ses praticiens. Ce silence est certainement préjudiciable aux psychiatres eux-mêmes. En effet, il est loin d'être exclu que les prévisions qu'ils font dans pareilles expertises soient ultérieurement démenties par les faits. Des erreurs de ce genre reçoivent alors, dans les médias, une publicité tapageuse et on a beau jeu de les faire passer pour des fautes ôtant toute crédibilité à l'ensemble des experts, alors que ces derniers font ce qu'ils peuvent avec les seuls éléments "objectifs" qu'on leur autorise. Peut-être serait-il temps de se pencher sérieusement sur ce dilemme pour tenter, sinon de le résoudre entièrement, au moins d'en préciser tous les aspects et de les faire connaître au public.
***


Antérieurement, dans son Bulletin n° 97 en date du 20.04.2002, notre Conseil National de l'Ordre des médecins (de Belgique) avait dit, à propos de l'application de l'article 488bis-B, §3, du Code civil ("Sous peine d'irrecevabilité, est joint à la requête, sauf en cas d'urgence, un certificat médical circonstancié, ne datant pas de plus de quinze jours, décrivant l'état de santé de la personne à protéger."): "Le Conseil national estime qu'il est déontologiquement incorrect d'examiner une personne dont on n'est pas le médecin traitant, à la demande d'un tiers intéressé (membre de la famille ou avocat), en vue de la délivrance d'un certificat médical circonstancié dans le cadre de l'article 488bis du Code civil. (référence a097003)
Doit-on, cette fois, "oublier" l'article 121 du Code de déontologie médicale que tout médecin est censé respecter?
La cohérence, au fil du temps, des avis émis par notre Conseil national de l'Ordre des médecins, peut parfois paraître difficile à percevoir à ceux qui doivent les suivre...


En sa séance du 19 juillet 2008, le Conseil National de l'Ordre des médecins de Belgique s'est penché sur une question qui lui était posée à propos du "traitement forcé préventif" de patients psychotiques en prison (voir Ordre des Médecins). Dans la réponse, on trouve, entre autres considérations, ce qui suit:
"Il faut vérifier si les effets secondaires éventuels d'un traitement à long terme ne sont pas préférables à l'avantage d'éviter de nouvelles poussées psychotiques." (sic).
Malheureusement, la traduction de cet oracle sibyllin en une langue compréhensible aux profanes n'a pas été fournie. Quelle était donc l'idée mystérieuse et cryptée que recélait cet avis?


Première publication: 1 Février 2002 (J.D.) Dernière modification: 15 Juin 2009

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