QUAND AVONS-NOUS DÉCIDÉ DE NE PLUS APPRENDRE À PENSER? (suite et fin)
Autre exemple de pensée pour le moins bancale:
Il n'y a de cela que quelques mois à peine, dans une gazette hebdomadaire réservée au corps médical belge ("le Généraliste" n° 902, 18/12/2008, pp. 19-21), il était fait état d'un "Débat multidisciplinaire sur la dépression" qui avait eu lieu à Bruxelles (4 octobre 2008) avec le soutien d'une firme pharmaceutique, et avait réuni "un panel d'experts de premier plan" (sic) comprenant, face au public convié à participer au "débat", un distingué sociologue venu de France (CNRS), des psychiatres, des psychologues, une pharmacienne, des médecins généralistes, des journalistes, tous "experts" dont certains étaient des enseignants universitaires.
 Comment l'hebdomadaire médical présentait-il ce mémorable 
    événement? Il le plaçait "Dans l'optique des 
     perspectives non seulement 
    médicales, mais aussi sociales, ouvertes 
    par la dépression..., [etc., etc.]" (sic; 
    j'ai rajouté le soulignement).
    On peut relever, avec me semble-t-il quelqu'étonnement, parmi les affimations 
    des participants ayant trait à la "dépression" et 
    retenues par "le Généraliste" pour nous en faire part, 
    les suivantes :
"[...]une vie réussie implique aujourd'hui la 
    santé mentale. Cette notion, aujourd'hui consensuelle, est récente: 
    la santé mentale n'était pas un critère de vie réussie 
    dans le passé.[...]";
    "[...]Il existe une pression de la société pour psychiatriser 
    les difficultés sociales." ;
    "[...]On a davantage le temps qu'il y a 20 ans pour se consacrer 
    à l'écoute, note le Dr V." ; 
    "Toutes les recommandations diagnostiques sont basées sur 
    des données formelles, des chiffres clairs et définis." 
    ;
    etc., etc. 
Je manifeste donc mon étonnement et ma désapprobation devant 
    l'expression d'affirmations que je trouve peu ou plutôt mal 
    PENSEÉS: 
    -> Si on veut croire que "la dépression ouvre des 
    perspectives", peut-être a-t-on PENSÉ 
    "inconsciemment" plus aux perspectives d'emplois pour les professionnels 
    de la psychiatrie que pour celles pleines d'avenir "s'ouvrant" aux 
    dépressifs?
-> Faut-il donc être sociologue pour PENSER et oser affirmer que la maladie mentale ait jamais pu être considérée, sauf peut-être pendant un âge d'or mythique entrevu sans doute par certains sociologues pour le moins très imaginatifs sinon illuminés, comme étant compatible avec une vie heureuse et "réussie"? (est-ce là un avis "d'expert"!?)
 -> J'affirme pour ma part que la pression pour psychiatriser les difficultés 
    sociales ne vient pas de la "société". Elle n'est 
    que la fausse réponse suggérée, répandue et entretenue 
    par les responsables politiques aux problèmes économiques 
    et sociaux dont ils n'acceptent pas de payer le prix demandé pour les 
    résoudre, parce qu'ils le trouvent trop élevé.
    Elle est aussi l'échappatoire dont s'emparent les praticiens de la 
    psychiatrie parce qu'ils la PENSENT 
    commode (et rémunératrice et parfois lucrative), préférant 
    se donner le rôle de "soigner psychologiquement" le mal-être 
    existentiel ambiant et rampant, plutôt que de soigner effectivement 
    les malades mentaux véritables qu'ils sont impuissants à guérir 
    et qu'ils sont par conséquent peu motivés à soigner aussi 
    efficacement qu'ils le pourraient peut-être: ce qui serait sans aucun 
    doute une tentative souhaitable mais assurément plus astreignante et 
    moins confortable (ce sont là les attitudes des "experts" 
    qui, avec opportunisme et par facilité, pour la plupart confondent 
    délibérément psychologie et psychiatrie!) ;
-> Peut-on honnêtement PENSER et prétendre qu'aujourd'hui plus qu'il y a 20 ans, nos médecins généralistes disposent de plus de (d'assez de) temps à consacrer à une écoute attentive, suffisamment soutenue et durable pour être compréhensive (empreinte d'indispensable empathie) envers les multiples états d'humeur et soucis divers de leurs patients? Ce n'est certes pas là ce qu'on retient habituellement des doléances des représentants eux-mêmes de la profession au sujet de leurs disponibilités actuelles en temps "d'écoute"! (Mais évidemment, si un "expert" dit le contraire..., c'est qu'il croit [pouvoir] le PENSER).
-> Les données diagnostiques formelles, les chiffres clairs et définis qu'on évoque, qui donc a pu PENSER que ces "recommandations" (sic; qui ne sont seulement que des recommandations chimériques de rêveurs, et bien sûr non contraignantes!) aient jamais été des caractéristiques réelles propres aux pratiques usuelles de nos psychiatres? (voilà encore ce qui n'est qu'un voeu pieux exprimé par un "expert" à propos de la rigueur imaginaire des données, sur la précision supposée de chiffres arbitraires, mais pas sur celle des nombres réels dont nos psychiatres ne disposent pas, s'en passer ne semble pas leur avoir jamais donné des insomnies! Ne confondons quand même pas "psys" et experts comptables!)
Et surtout, comment a-t-on pu PENSER 
    que toutes ces affirmations pouvaient encore être prises, de nos jours, 
    pour argent comptant par un public éclairé? (à moins 
    que ces "experts" ne nous fassent l'honneur de nous attribuer un 
    QI encore quelque peu inférieur et une crédulité supérieure 
    aux leurs propres?)
    
    ------------ D'autres exemples récents de PENSÉE 
    incohérente propagée par des "experts" ne 
    manquent pas: 
Il y a peu, le procès d'une [bonne] mère [de famille] ayant égorgé ses cinq enfants - avant d'elle-même manquer de peu son suicide - , monopolisait l'attention des médias de toute la Belgique. Plus récemment encore, un jeune homme de vingt ans, armé d'un couteau, s'introduisait dans une crêche, y poignardait à mort deux enfants et un membre du personnel, et blessait plus d'une dizaine d'autres personnes. La presse nous a appris par la suite que ce jeune homme était aussi soupçonné d'avoir tué, peu de temps auparavant, une dame agée dans la région d'Anvers.
 Dans les deux cas, l'atrocité des crimes commis et le nombre des 
    victimes agressées et tuées contrastent singulièrement 
    avec une totale absence de mobile apparent plausible (compréhensible). 
    En pareilles circonstances, toute personne de bon sens ne manque pas de se 
    dire, très raisonnablement: "une mère qui, le même 
    jour, tue tous ses propres enfants! Ses cinq enfants sans 
    mobile apparent! D'autre part, un jeune homme que pourtant on nous décrit 
    d'abord (un peu vite) "sans histoires", qui brusquement se met à 
    massacrer, sans raison aucune, des bébés sans défense 
    et leurs soignants! Ils ne pouvaient qu'être "fous" tous les 
    deux au moment où chacun a commis ces crimes abominables!".
    Ces personnes de bon sens ne feraient ainsi qu'exprimer une conviction et 
    des sentiments très généralement répandus, que 
    personnellement je trouve bien compréhensibles et habituellement justifiés 
    face à une aussi exceptionnelle mais flagrante évidence s'imposant 
    de manière pour ainsi dire irrésistible aux yeux et à 
    l'imagination de tout un pays!
Pourtant, alors que pour tous, 
    y compris les proches des victimes, la "folie" 
    des acteurs de ces faits odieux semble être la cause immédiate 
    et évidente de leur crime et que cette "folie" 
    semble à tous ne pas pouvoir faire de doute, d'emblée 
    et aussi bien dans le premier cas que dans le second, tous néanmoins 
    réclament bruyamment que les criminels "présumés" 
    soient jugés par un tribunal d'assises pour, nous dit-on, qu'y soient 
    mises en lumière l'explication, les "raisons"(!), les motivations 
    de leur(s) crime(s) dont on nous assure que le public veut les comprendre, 
    et pour que, face à l'opinion publique indignée, "justice 
    soit rendue" aux victimes et à leurs proches et que les deux coupables 
    soient punis.
    Ceux-là, bien qu'ils le disent et croient le PENSER, 
    en réalité ne réclament pas seulement que justice soit 
    rendue. Surtout ils espèrent par un procès obtenir un apaisement 
    de leur douleur et de leur juste colère en désignant et, en 
    quelque sorte en créant à leur tour des victimes cette fois 
     expiatoires. Ce faisant, 
    ils n'utilisent pas, pour ce qu'ils croient être PENSER, 
    la partie adéquate de leur cerveau, c'est-à dire leur cortex 
    cérébral préfrontal; un physiologiste neuroendocrinologue 
    dirait qu'ils soulagent leurs noyaux amygdaliens et leur hypothalamus et, 
    d'une certaine manière, en déchargeant leurs glandes surrénales 
    d'un trop-plein d'émotion.
Comment peut-on PENSER qu' "il y a lieu" de "rendre justice" quand un crime a été commis par cette abstraction absurde qu'est un "responsable irresponsable"? Car rendre justice, c'est faire comparaître une personne accusée, par exemple de crime, devant un tribunal, et qui devra y répondre de son crime et de ses actes. Et dire qu'on répond de ses actes, cela suppose en effet qu'on [en] est "responsable", c'est-à dire capable d'assumer, en toute connaissance de cause, la responsabilité de tous ses actes. Mais si l'accusé est reconnu mentalement irresponsable, il n'appartient plus à la justice de lui infliger une punition pour un crime qu'il n'a pas sciemment voulu, car cette punition n'aurait alors plus aucun sens; il n'y a dès lors plus "lieu" (il y a "non lieu") de faire comparaître l'accusé devant un tribunal (contrairement à ce que certaine autorité politique [en France] a récemment cru bon de dire assez malencontreusement, du haut d'une tribune officielle à l'occasion d'une autre affaire française retentissante, ici "non lieu" ne signifie pas - et ne le suggère pas plus - que le crime n'a pas eu lieu, mais bien qu'il n'y a pas lieu de juger ni de condamner [ou d'acquitter], c'est-à dire qu'il n'y a pas lieu de poursuivre en justice un malade mental irresponsable).
Pour les mêmes raisons, ce n'est pas non plus à la justice qu'il devrait revenir de se faire expliquer, par une personne reconnue malade mentale psychotique comparaissant devant un tribunal, les hypothétiques et tout oniriques motifs de ses actes qui ne peuvent être qu'absurdes, ce qui signifie qu'ils sont (par définition) inaccessibles à une saine logique, c'est-à dire injustifiables et dépourvus de tout sens compréhensible aux personnes dites "saines d'esprit" intervenant ou assistant aux audiences (et, malgré les illusions que certains veulent entretenir, je suis personnellement convaincu que, nécessairement, cette incompréhension est aussi le fait des psychiatres).
Ce n'est pas non plus à la justice d'établir ni de décider si une personne est mentalement responsable ou non de ses actes. Cela fait en principe (et par tradition) partie des compétences attribuées aux médecins psychiatres. Et dès que le diagnostic de psychose est posé par des médecins "experts" agréés, (je dirais de plus: et même si leur diagnostic n'est estimé que "très vraisemblable"), dès cet instant l'accusé ne devrait plus appartenir à la justice.
Mais comment peut-on PENSER qu'un "diagnostic" indiscutable de psychose puisse nécessairement être posé (ou exclu!) en deux ou trois séances d' "expertise", c'est-à dire en quelques heures de simple conversation? Il suffit aux familles de se souvenir du temps qui très généralement s'écoule entre le moment où, paniquées, elles supplient le psychiatre d'hospitaliser leur malade psychotique (pas encore suicidé ni criminel!) et le moment où, sans doute lassé, ce praticien accède enfin à leur prière: d'expérience, elles savent qu'elles attendent pendant des semaines, voire des mois ou même parfois des années avant qu'une conclusion stable leur soit communiquée! Il suffit de comparer ces durées-là avec celles que l'on consacre aux expertises psychiatriques demandées par la justice! Mais sans doute le praticien et "l'expert judiciaire" (parfois la même personne) ne PENSENT-t-ils pas à comparer leurs propres souvenirs respectifs en la matière?
Périodiquement et depuis des décennies, à l'un ou l'autre procès d'assises plus ou moins retentissant, les experts psychiatres, répartis en experts de la défense et en experts de l'accusation ou des parties civiles nous offrent le spectacle pour le moins ahurissant (mais particulièrement révélateur!) de longues polémiques à propos de leurs appréciations respectives contradictoires, souvent même totalement incompatibles entre elles, concernant la "santé/maladie mentale" d'un justiciable. Comment est-il possible que les spectateurs et auditeurs de ces disputes "d'experts" n'aient pas encore PENSÉ et ne soient pas encore arrivés, enfin! à la conclusion - à laquelle il devrait pourtant être difficile d'échapper - qu'il ne peut s'agir à chaque fois que de disputes opposant soit des interprétations subjectives de témoignages, soit et surtout des croyances et opinions, et non des faits probants, c'est-à dire des polémiques comparables aux disputes de théologiens adeptes de confessions et écoles religieuses différentes? Combien de temps faudra-t-il attendre encore pour apprendre à PENSER (?) et pour qu'ainsi tous parviennent enfin à comprendre que la vérité d'un événement ou d'un fait ne se base pas et ne s'établit pas non plus sur de simples croyances, sur des affirmations gratuites et contradictoires entre lesquelles on pourrait choisir selon des préférences personnelles spontanément acquises ou soigneusement inculquées, mais sur des preuves qu'on doit pouvoir produire, vérifier ou réfuter?
Certains experts psychiatres ("auprès des tribunaux") affirment aussi (par exemple à la télévision) que, contrairement à ce que croirait le vulgum pecus, les magistrats ne leur demandent pas de répondre à la question de savoir si un accusé est responsable ou non, mais bien de dire si l'acte délictueux (ou criminel) qu'il a commis n'a pu être exécuté que sous l'influence directe et irrépressible de ses idées délirantes - ou de son délire - au moment où il commettait l'acte incriminé.
On voudrait nous faire admettre sans broncher ce sophisme flagrant consistant à faire passer pour un constat raisonné et PENSÉ un témoignage [d' "expert"] qui, de toute évidence, ne peut tout au plus être que l'affirmation péremptoire d'une croyance toute personnelle et subjective, ne reposant que sur une conviction doctrinaire? Car d'évidence tout aussi indiscutable, l'expert psychiatre, à moins d'être magicien extralucide de music-hall ou de foire, non seulement il ne peut pas vraiment lire maintenant dans [les lignes de la main ni] le cerveau de son patient, mais il peut encore moins, avec une quelconque assurance, décrypter cette lecture inventée et en déduire les "mécanismes psychopathologiques" purement hypothétiques qui seraient à l'origine d'événements passés dont il n'a même pas été le témoin direct.
On vient de longuement rappeler que les médias et la presse montent volontiers en épingle des faits divers horribles et sanglants dont seuls quelques fort rares malades mentaux sont épisodiquement les auteurs [inconscients!], et on a vu comment cette publicité morbide contribue à la "stigmatisation" injustifiée de l'ensemble des malades mentaux, sans pour autant jamais informer correctement sur ce qu'ils sont réellement - des êtres humains comme vous et moi - ni sur leur véritable et triste situation dans nos sociétés. Mais cette publicité entraîne aussi et en même temps, dans l'opinion publique, une appréciation péjorative croissante de notre psychiatrie et de ses praticiens, même si elle est généralement plus modérée, moins virulente que celle qui est dirigée à l'encontre des malades mentaux chroniques eux-mêmes.
Ainsi, il se trouve de plus en plus de gens pour reprocher à nos psychiatres de ne pas diagnostiquer les psychoses à temps et de ne pas imposer aux malades, en temps utile, les traitements et les soins dont ils auraient impérativement besoin non seulement pour ne pas se dégrader irrémédiablement, "mentalement" et "physiquement" eux-mêmes, mais aussi pour ne pas représenter une menace pour autrui à cause de leurs comportements irresponsables dont ils ne perçoivent pas eux-mêmes les dangers potentiels.
 Il se trouve également de plus en plus de gens qui reprochent à 
    nos psychiatres de laisser sortir leurs patients prématurément 
    de l'institut psychiatrique où ils étaient soignés, sans 
    toutefois beaucoup se préoccuper de savoir si cette sortie ne sera 
    pas l'occasion d'une "rechute" (dont il est toujours facile, 
    pour ces personnes-là qui ne PENSENT 
    pas, de dire a posteriori qu'elle était prévisible, donc que 
    le "psy aurait dû la prévoir"), rechute au cours 
    de laquelle un malade déjà précédemment violent 
    pourrait éventuellement provoquer un accident ou commettre un crime.
    Il suffit de la coïncidence de plusieurs faits divers sanglants survenant 
    à courts intervalles et abondamment médiatisés pour que 
    ces reproches s'amplifient et s'étendent. Ce qui, paradoxalement en 
    apparence, permet à certains psychiatres d'à leur tour se présenter 
    à la télévision en victimes de la stigmatisation par 
    le public au travers des médias (et particulièrement sur 
    internet, selon certains d'entre eux).
Si on ne se base que sur les apparences, ces reproches adressés aux psychiatres peuvent paraître entièrement justifiés à première vue. Les constats et les revendications que les associations de familles de malades publient régulièrement depuis près de trente ans dans de nombreux pays en attestent très clairement (voyez La Com). De nombreux parents ont aussi, individuellement, publié dans des livres leurs témoignages autobiographiques allant tout aussi clairement dans le même sens. J'ai déjà répété à satiété sur ce site les difficultés rencontrées par les proches pour faire soigner correctement leurs malades, il est inutile d'y revenir ici une fois de plus.
Mais l'expression de ces griefs traduit d'abord la frustration des familles face à ce qu'elles prennent pour de l'incompétence de la part des psychiatres, incompétence supposée dont attestent, aux yeux des profanes, la trop faible efficacité et les bien trop fréquents échecs thérapeutiques de la psychiatrie. Les familles supportent mal ce qu'elles prennent pour de l'indifférence de la part des psychiatres à l'égard de la qualité déplorable de la vie quotidienne de leurs patients. Elles ne comprennent pas le peu d'attention et le manque d'importance qu'une proportion élevée de "psys" semblent accorder, le désintérêt qu'ils semblent manifester pour les observations et les plaintes qu'elles-mêmes leur rapportent au sujet des propos et comportements de leurs malades et pour les craintes que l'état de ceux-ci leur inspire.
Dans un effort d'impartialité ou d'objectivité, on devrait sans doute dire que, venant des familles, la plupart de ces reproches sont explicables, compréhensibles et sans doute plus souvent justifiés qu'on ne veut généralement l'admettre; tandis que s'ils sont examinés du point de vue des psychiatres, bien qu'ils ne soient pas entièrement ni toujours mérités, ils ne sont pas pour autant complètement injustifiés ni systématiquement excusables.
On ne dit pas aux familles, et on n'éprouve semble-t-il pas non plus 
    un besoin pressant de leur dire que pour évaluer avec un minimum de 
    sûreté et de vraisemblance ce qu'on pourrait appeler "l'état 
    de santé mentale" d'une personne, tout d'abord il faut vraiment 
    bien la connaître. Cela devrait paraître une évidence 
    à qui prend le temps d'y PENSER. 
    Mais les manifestations de la maladie mentale d'un des leurs souvent rendent 
    les proches bien trop inquiets pour qu'ils puissent encore penser sereinement 
    et en toute logique. Désorientés et poussés par leur 
    inquiétude qui leur fait prendre leurs désirs pour une réalité, 
    ils sont donc tout prêts à croire que les psychiatres disposent 
    d'extraordinaires et mystérieux moyens "spéciaux" 
    de connaissance que tout un chacun reconnaîtrait comme littéralement 
    "surnaturels" si l'on se trouvait en d'autres circonstances moins 
    chargées de ces craintes inexprimées: celles de "la 
    folie".
    De leur côté, nombre de praticiens psychiatres semblent croire 
    que s'ils dénonçaient trop volontiers le mythe de leur omniscience, 
    ils se décrédibiliseraient auprès de leur patientèle 
    et du grand public et que, peut-être, leur efficacité psychothérapeutique 
    risquerait de s'en ressentir défavorablement  (comme peut-être 
    aussi les dimensions et la "qualité" de leur patientèle?) 
  
Et sans doute à force d'endosser l'habit et d'interpréter sans cesse le rôle du magicien sauveur dont on peut tout espérer, certains "psys" finissent-ils par croire eux-mêmes à la réalité de leur magie, de leur clairvoyance, à la validité de leurs préjugés personnels, à l'étendue surévaluée de leurs pouvoirs thérapeutiques. Ces illusions les persuadent qu'ils détectent et identifient les troubles d'un patient mieux que sa famille et les proches eux-mêmes n'en sont capables. C'est sans doute pourquoi, bien souvent ils dédaignent d'écouter ce que les familles ont à dire de leur malade, et ils estiment que leur expliquer clairement les raisons des conclusions de leurs réflexions constituerait une inutile perte de temps. Ils n'ont pas le temps ni le goût de la pédagogie. Ils préfèrent habituellement ne pas y PENSER.
Ce faisant, ils oublient que la famille, en vivant depuis toujours avec le malade et à ses côtés, connaît celui-ci bien mieux que ne pourra jamais le connaître le psychiatre lui-même, qui ne pourra "voir" son patient que par brefs épisodes, de loin en loin et hors de son "contexte" habituel de vie. L'avis des membres de la famille sur l'état de son malade me semble par conséquent non seulement être indispensable pour que le professionnel pondère correctement sa propre opinion, mais l'évaluation par la famille proche me paraît aussi devoir habituellement primer sur celle d'un "expert psychiatrique" occasionnel. Ignorer, ou négliger, ou encore ne tenir aucun compte des renseignements que seule cette évaluation par les proches est susceptible d'apporter au thérapeute professionnel me paraît constituer une évidente faute professionnelle grossière.
Il semble bien que ni les familles ni de nombreux psychiatres n'ont encore assez longuement PENSÉ aux multiples facultés mentales normales dont l'espèce humaine est effectivement dotée, mais que par contre les uns et les autres ont néanmoins voulu prêter à certains privilégiés (dont les "psys") une faculté supplémentaire et imaginaire qui ne pourrait être que surnaturelle. Précisément parce que les hommes auraient tellement désiré l'avoir eux-mêmes, ils en ont fait un mythe dont ils se sont empressés d'oublier ensuite la nature mythique: ce mythe est celui du fascinant don de prescience. Certains y croient toujours, comme ce psychiatre bien connu de Sainte Anne (Paris), qui, il y a quelques années, sur une chaîne française de télévision (France 2), déclarait d'un air entendu: "On peut toujours prévoir la rechute, le passage à l'acte..." [sous-entendu: "quand on est un bon psychiatre", cela va de soi...].
 On ne rappelle pas aux familles que la prescience 
    ne peut exister, bien qu'on y fasse croire dans certaines officines de tireuses 
    de cartes et autres voyantes (renseignées par les petites annonces 
    dans les dernières pages des journaux qui en tirent une partie de leurs 
    ressources).
    Comme la prescience ne s'acquiert pas non plus par un enseignement universitaire, 
    les psychiatres n'en disposent pas plus que le commun des autres mortels. 
    Si par contre souvent les familles "sentent venir la crise de leur malade", 
    comme beaucoup d'entre elles nous le disent, c'est parce qu'à tout 
    instant, elles vivent avec lui et l'accompagnent presque en permanence. Comme 
    quand, par exemple, tenant le bras d'un aveugle, elles sentiraient quand celui-ci 
    irait trébucher sur un obstacle proche, ou rater une marche, ou encore 
    quand il irait, sans la voir, se jeter sous l'auto qui arrive; alors, en tirant 
    sur le bras qu'on tenait déjà, on peut éviter, on peut 
    "prévenir" l'accident qu'on voyait venir. 
    Ce geste qui sauve, c'est de la précaution immédiate, de la 
    "prévention" à très court terme possible parce 
    qu'elle s'apparente à un réflexe provoqué par un stimulus 
    circonstanciel. Mais cela n'a rien de commun avec la prescience à plus 
    long terme dont le psychiatre pourrait se croire doté et parfois peut-être 
    le laisser croire aux autres. Quant au réflexe qui sauve dans l'instant, 
    par extraordinaire les psychiatres sont-ils toujours présents au bon 
    moment, au moment et à l'endroit qu'il faudrait pour en faire la démonstration?
Le reproche le plus essentiel et le plus général qu'on devrait donc adresser, me semble-t-il à nos praticiens psychiatres (et sans aucun doute aussi à leurs enseignants), est qu'ils ne PENSENT peut-être pas à l'importance considérable de la pédagogie dans l'exercice de leur métier. Par conséquent, le plus souvent ils la négligent totalement, et ils ne semblent pas se rendre compte qu'une bonne partie des critiques qui leur sont adressées s'évanouirait s'ils "vulgarisaient", ne fût-ce qu'un peu et mieux (simplement et clairement) leur discipline auprès des profanes. Mais sans doute estiment-ils qu'ils ne disposent pas du temps qu'ils devraient alors consacrer à cette vulgarisation en plus de celui qu'ils réservent à leurs habituelles tâches "d'écoute" des malaises de leurs clients, qui déjà remplissent fort bien leur journée.
Dans le grand public dont les familles des malades sont issues comme tout le monde, et parce que pour son malade on l'espère de toutes ses forces, parce qu'on veut y croire à tout prix, on imagine souvent que les psychiatres ont la "science infuse" de l' "esprit" et des "maladies mentales". On veut être persuadé qu'ils sont capables, "d'un coup d'oeil" jeté sur un patient, ou après ne l'avoir écouté que pendant quelques dizaines de minutes, de décider si il est atteint d'une "maladie mentale"; on veut croire qu'ils peuvent aussitôt diagnostiquer celle-ci, c'est-à dire lui donner un nom déjà connu. Pour les profanes, leur dire ce nom, c'est leur annoncer aussi le pronostic, c'est aussi leur faire connaître et appliquer le traitement adéquat, c'est entrevoir une guérison prochaine, et cette promesse à peine suggérée est en elle-même déjà et à leurs yeux une partie de la guérison espérée.
Face à de tels espoirs qu'humainement ils ne peuvent que s'efforcer de partager, face à de telles sollicitations auxquelles ils ne peuvent que tenter de répondre "en positivant" de manière souvent abusive, comment nos praticiens psychiatres eux-mêmes ne se laisseraient-ils pas entraîner, comment ne se forceraient-ils pas à se convaincre de la vérité de leurs croyances en les qualifiant de véritable savoir scientifique, comment pourraient-ils faire autrement que de refuser de reconnaître ce qu'elles sont vraiment: une accumulation aujourd'hui plus que centenaire d'hypothèses toujours non étayées, stériles mais sans cesse récitées et ressassées à la manière d'idéologies ou de théologies dont on ne veut pas voir qu'elles sont caduques depuis longtemps?
Comment pourraient-ils, au contraire, en détrompant leur patientèle mais en se détrompant alors aussi eux-mêmes, continuer à croire en leur propre rhétorique destinée d'abord à rassurer facilement? Si seulement ils acceptaient de voir et expliquaient sans détours les énormes lacunes du savoir humain qui persistent encore sur le fonctionnement de notre cerveau, s'ils acceptaient honnêtement de regarder en face et de reconnaître notre peu de pouvoir actuel réel face aux "maladies" mentales chroniques, inévitablement du même coup ils seraient amenés à remettre en cause leur propre utilité aussi bien sociale que thérapeutique. Mais cela, ne serait-ce pas pour eux une sorte de "suicide moral", ou encore une "apostasie" résultant en un vide insupportable, aussi bien pour eux que pour leurs patients dépossédés de leurs illusions qui étaient leur seul espoir?
Cela ne le serait pas s'ils avaient sérieusement PENSÉ 
    aux moyens de combler ce vide menaçant. On a souvent dit que 
    les professionnels de la "santé mentale" devaient susciter 
    et encourager une collaboration étroite entre toutes les personnes 
    concernées et impliquées par la lutte contre les maladies mentales 
    chroniques ("et remettre les malades au centre des préoccupations"[sic]). 
    Mais une collaboration digne de ce nom doit être PENSÉE: 
    qu'ils soient l'entourage soignant c'est-à dire les familles et les 
    proches, ou les thérapeutes, les psychiatres, les infirmiers, les travailleurs 
    sociaux, tous les intervenants doivent être alliés 
    pour un même objectif: aider les malades à vivre 
    une vie qu'ils trouvent supportable et dont ils puissent espérer qu'elle 
    s'améliore encore.
    Ceci suppose une mise en commun, par tous les "intervenants", des 
    connaissances et savoirs actuels sur les moyens thérapeutiques et sociaux 
    existants pour aider pratiquement les malades, 
    et cela suppose aussi une prise de conscience claire des lacunes qu'il serait 
    souhaitable et déjà possible de combler dans les domaines de 
    l'accès aux soins, du suivi efficace des malades, de leur hébergement 
    (donc de la formation des hébergeurs!), etc., sans oublier 
    la "conscientisation" des pouvoirs publics et des politiques.
    On a aussi souvent entendu dire que la "prise en charge" 
    des malades devait être "multidisciplinaire". 
    On n'a pas PENSÉ 
    que ce ne seraient là que des mots si les intervenants de chaque discipline 
    n'avaient pas au moins une connaissance correcte, ne serait-ce que simplifiée 
    des autres disciplines concernées.
    Prise en charge multidisciplinaire des malades et mise en commun 
    des compétences impliquent donc, de la part de tous les 
    participants à pareil programme, de sérieux efforts de pédagogie 
    pratique de chacun envers tous les autres, et de 
    formation personnelle grâce à tous les autres.
Si on y PENSE vraiment, ne serait-ce pas combler un vide qui n'était rempli que d'illusions, en le remplaçant enfin par un espoir et une volonté de concret?
