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MALADIES MENTALES, GÉNÉTIQUE, RACISME.

"Nous n'héritons pas de caractères, de maladies ou d'une morphologie; nous héritons d'une succession de bases: quatre en tout, et de leur arrangement naît notre diversité physique et mentale".
Pierre Roubertoux: "Existe-t-il des gènes du comportement?", Odile Jacob, Paris 2004, p. 14. ISBN 2-7381-1545-4.

"Mit derDummheit Kämpfen Götter selbst vergebens."
"Même les dieux combattent en vain la bêtise."
(Friedrich Schiller: Die Jungfrau von Orléans.)

"Manche lernen's nie... Und dann noch unvolkommen!"
"Certains ne l'apprennent jamais... et même alors de façon seulement incomplète!"
(berlinoise anonyme: ein berliner Witz, vers 1925)

L'importance de plus en plus généralement reconnue du rôle joué par les "facteurs génétiques" dans l'éclosion des maladies mentales suscite, tant chez certains "professionnels de la santé mentale" que dans une part de leur clientèle et aussi dans le grand public, un malaise parfois profond qui souvent va jusqu'à entraîner le rejet quasi-réflexe de "la théorie génétique" (la révolte de ceux qui se dénomment eux-mêmes des "ex-patients" en est un exemple caractéristique). Des prises de position tranchées et intolérantes sont proclamées, des disputes passionnées s'élèvent entre, d'une part ceux qui reconnaissent et défendent ce rôle du génome et, d'autre part, ceux qui s'insurgent contre ce qu'ils considèrent comme une théorie dont ils contestent la validité et qu'ils assimilent à du racisme (l'influence du génome, depuis longtemps, n'en est plus au stade d'hypothèse mais est une théorie solidement étayée par des faits vérifiés, observations vérifiables et reproductibles qui ne cessent de s'accumuler).

Ces sempiternelles disputes ont pour première et principale origine des croyances et des idéologies racistes préconçues, presque toujours présentées par la majorité de leurs partisans comme des "théories" fondées sur la science, quoique n'ayant en fait strictement rien de scientifique et ne se basant en réalité que sur la volonté de puissance et de domination de leurs promoteurs, sur le besoin de certains groupes d'affirmer, par les moyens qui leur paraissent les plus commodes et les plus rapides, leur prétendue supériorité (physique, intellectuelle, morale, etc.) sur les autres humains (la conviction d'appartenir à une élite naturellement privilégiée).

La deuxième source de ces querelles (que certains voudraient qualifier de "débats"), c'est la surdité volontaire sans égale dont Victor Hugo déjà disait qu'elle est une caractéristique des fanatismes. Cette surdité volontaire empêche les adversaires de la génétique en psychiatrie, mais aussi les racistes auxquels ils s'opposent, de s'instruire de ce qu'est vraiment la génétique, sur ce que sont les méthodes de cette discipline. Ils sont persuadés en savoir tout d'avance, sans avoir besoin de rien en connaître, sans jamais avoir rien voulu apprendre ni comprendre de sérieux à ce sujet, mais ils en ont commodément retenu le nom et ils s'en contentent. Cette deuxième origine de querelles stupides, il nous faut donc bien oser la nommer malgré qu'elle soit sans doute la pire de toutes: c'est, chez les querelleurs de tous bords, l'obstination dans l'ignorance (anciennement, cela s'appelait l'obscurantisme). Elle est le terrain rêvé pour tous les manipulateurs extérieurs dénués de scrupules, en quête d'influence et de pouvoir. Depuis le temps qu'on le sait, les manipulés devraient savoir, eux aussi, qu'ils finissent toujours, tôt ou tard, en dindons de la farce.

Tant chez ceux qui se revendiquent de ces doctrines racistes qu'ils se sont taillées sur mesure pour se faire plaisir (se valoriser à leurs propres yeux tout en amoindrissant ceux qui leur déplaisent), que chez ceux qui s'y opposent à juste titre mais croient erronément qu'elles se basent sur "la génétique", personne de tous ceux-là en réalité ne sait ce qu'est la génétique. Tous ces incorrigibles ignorants peuvent ainsi continuer à se jeter à la tête des uns et des autres ce mot de génétique qui, selon le camp où il est invoqué, paraît justifier tout et son contraire, et dont ils se servent sans jamais chercher à en comprendre la vraie signification. Ces disputes de sourds, à leur tour, entretiennent l'ignorance et la désinformation, elles cultivent l'intolérance, les souffrances et le malheur, elles favorisent la résurgence périodique de tous les racismes, de tous les ostracismes et des pires excès.

Contrairement à ce que semblent imaginer certains "ex-patients" psychiatriques protestataires contre la génétique, les théories racistes ont été élucubrées bien avant et en dehors de toute démarche scientifique de génétique, parfois par des anthropologues - pas des généticiens! - pleins des préjugés sociaux de leur époque, mais bien plus encore par des idéologues politisés (fanatiques ou opportunistes inféodés à des régimes totalitaires). Ce n'est qu'ensuite que, tentant vainement de se rendre respectables et crédibles, ces derniers ont laissé croire faussement qu'ils étaient des scientifiques. Ils ont prétendu qu'ils se basaient sur la génétique, alors qu'ils n'avaient de celle-ci aucune notion sérieuse. La "génétique" utilisée par les soi-disant "scientifiques" allemands du 3ème Reich (de pseudo-médecins ou anthropologues ratés, petits dignitaires à la solde du régime nazi, le plus souvent pris en exemple pour illustrer les "méfaits de la génétique") n'était qu'un ramassis de fantasmes, de superstitions et de légendes, inventions fumeuses plus ésotériques et fantaisistes encore que la phrénologie de Franz-Joseph Gall au 19ème siècle.

Ceux qui, de nos jours encore, continuent de croire que la "théorie génétique" de la genèse des affections mentales s'apparente aux théories racistes seraient vraisemblablement fort surpris d'apprendre qu'en fait, bien au contraire c'est la génétique et ses développements modernes actuels qui, de manière éclatante et sans la moindre équivoque, a démontré l'inexistence des races humaines en tant que telles et l'inanité des thèses et théories racistes. Mais veulent-ils seulement l'entendre?

Se posant en défenseurs de la cause des malades mentaux mais aussi en adversaires de "la théorie génétique", certains affirment péremptoirement que "Il est absolument impossible de démontrer par des statistiques que les psychoses, ou d'autres affections psychiques, aient une quelconque origine génétique.
Pour prouver une telle chose, les partisans de la thèse génétique devraient isoler le ou les gènes qui sont à l'origine des psychoses, puis découvrir en quoi ces gènes ont une influence sur le cerveau, pour démontrer quel est l'hypothétique facteur 'biochimique' qui rend les intéressés malades
".
Ceux qui affirment cela montrent bien qu'ils ne comprennent pas la démarche de la génétique ni ses méthodes parce que, de toute évidence, ils ne les connaissent pas. Leur raisonnement est totalement faux.

La démarche fondamentale de la génétique a été indiquée par son fondateur, le moine tchèque Gregor Mendel, qui publia les résultats de ses observations d'hybridation (la reproduction sexuée des petits pois) en 1866. Cette démarche n'utilisait que les croisements entre variétés distinctes d'après leurs caractéristiques visibles, la généalogie, le classement et le dénombrement des individus distincts résultant de ces croisements à chaque génération (sur des échantillons complètement dénombrés mais suffisamment grands). Ce précurseur a pu ainsi montrer qu'il était possible de prédire, avec sûreté et une grande précision, pour chaque génération d'hybrides résultant de ses croisements, les proportions d'hybrides des différentes catégories obtenues, les nombres observés dans chaque catégorie. Ceci a été établi sans que Gregor Mendel ait eu besoin d'un microscope, ni de connaître l'existence des chromosomes ni, bien entendu des gènes et d'un hypothétique "facteur biochimique" dont ils auraient été responsables.

Portant aujourd'hui sur des populations humaines entières, difficilement dénombrables pour d'évidentes raisons pratiques, la génétique utilise désormais plus souvent de rigoureuses méthodes statistiques plutôt que le simple dénombrement comme le faisait Mendel (la statistique, le calcul des probabilités et les ordinateurs nous permettent aujourd'hui des calculs d'une ampleur et d'une complexité qui auraient été hors de portée pratique, même pour le grand pionnier des statistiques en biologie que fut Galton en 1877).

Ce n'est pas ici la place pour infliger un cours de biologie élémentaire sur la division cellulaire, la reproduction sexuée, les chromosomes, etc., qui expliquent la transmission et l'expression des gènes de génération en génération. Il y a pour cela d'excellents traités et livres de vulgarisation accessibles à des publics de tous niveaux. Ne mentionnons ici qu'une des conséquences bien connue de ces faits biologiques établis de longue date: dès qu'une caractéristique - ou une affection - humaine ne se répartit pas de façon homogène et au hasard dans la population générale, et si l'on constate que sa fréquence est systématiquement d'autant plus grande que la parenté des individus concernés est plus proche, il y a lieu de suspecter que la caractéristique (l'affection) en question comporte une composante génétique.
Ceci est encore conforté par les études portant, dans le monde entier, sur les jumeaux, mono- et dizygotes (les premiers ayant 100% de leurs gènes en commun, les deuxièmes seulement 50%).

Le rôle de l'éducation et de l'exemple du comportement sur la fréquence d'apparition des affections mentales a été invoqué et opposé au "biologique" par les adversaires du "facteur génétique". Mais cette explication-là, qu'il a fallu subir, pendant un siècle et plus, de la part de multiples charlatans et autres psychodynamiciens, elle est, aujourd'hui, heureusement en passe d'abandon complet et, espérons-le, définitif. Voudrait-on en revenir aux fumeuses pratiques magiques sans valeur thérapeutique mais génératrices de souffrance que Freud et ses émules avaient mises à la mode?
L'explication "psychologique" de l'éducation et de l'environnement familial "pathogènes" a été balayée par l'observation des fréquences des affections mentales chez les jumeaux élevés soit ensemble, soit dans des familles d'adoption distinctes. L'éducation partagée et la vie en commun ne font pas s'élever les fréquences constatées de maladie mentale là où on les observe, l'éducation séparée et la vie dans des environnements distincts ne diminuent pas le risque pour un jumeau monozygote de développer la même affection mentale que l'autre.
Ce sont là des observations effectivement statistiques, mais dont la rigueur et la validité (l'absence de "manipulation") sont immédiatement et facilement contrôlables (en génétique, on ne peut manipuler les chiffres de la manière dont on suspecte que les "statistiques" ministérielles officielles de l'emploi ou de la délinquance puissent parfois l'être, par exemple!).

Concluons de ce qui précède qu'il n'est absolument pas nécessaire de connaître au préalable le ou les gènes responsables d'une affection, quelle qu'elle soit, pour pouvoir affirmer que ses causes comportent une composante génétique. Il "faut et il suffit" pour cela de connaître la répartition des fréquences de la maladie dans la population générale, en fonction du degré de proximité génétique (de la généalogie) des individus de cette population.
Et cela, si ce ne sont pas des statistiques...
Et c'est seulement à partir du moment où la composante génétique est ainsi constatée que la recherche des gènes proprement dits prend un sens et peut être entreprise. Dans le cas des maladies mentales chroniques graves, il s'agit d'associations de gènes plutôt que de simples gènes isolés comme ceux auxquels, par un heureux hasard et sans le savoir, Mendel s'était attaqué à l'origine. Leur recherche en est compliquée d'autant. Mais on sait qu'ils existent, tout comme existaient déjà les gènes des petits pois de Mendel, qui pourtant n'en savait rien et ne pouvait pas les trouver, parce qu'il n'en avait pas les moyens.
Jusqu'à il y a peu (et non par une recherche de plus d'un siècle, comme l'ont prétendu, parce qu'ils étaient mal informés, de naïfs adversaires du "génétique"), on ne disposait pas non plus des moyens pour chercher - et donc pour trouver - les gènes du génome humain, alors même qu'on savait qu'ils existaient.
De notoriété publique, ce n'est plus tout à fait le cas aujourd'hui. Et donc, l'espoir est permis. Il grandit. Il n'a rien à voir avec du racisme.
De même, dire, comme certains, que "Les maladies psychiques relèvent du psychisme", ce n'est une lapalissade qu'en apparence. En réalité, quand (si) on y réfléchit, on peut se rendre compte que cela ne veut rien dire du tout.
Défendre une bonne cause par des erreurs et de mauvais arguments, c'est la torpiller plus sûrement encore que ses adversaires déclarés ne pourraient le faire eux-mêmes.

(On peut trouver des croyances opposées à ce qui précède à l'adresse suivante: ex://www.alterpsy.org/pagenetic.php)


Première publication: 15 Août 2003 (J.D.) Dernière modification: 15 Août 2003

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