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les PAROLES CREUSES sont l'écho amplifié
par la caisse de résonance
de l'ABSENCE de PENSÉE.
(Apprenons à penser par nous-mêmes avant de les écouter: Cogita tute)

Si nous voulons vraiment améliorer le sort de nos malades mentaux chroniques, sans chaque jour remettre cette tâche au lendemain, nous devons lutter sans relâche contre l'ennemi de toujours, cet ennemi en apparence insaisissable puisqu'il ne se manifeste que par une absence: l'absence de pensée qui, souvent, n'est que refus de réflexion et paresse d'esprit.

Pour cela, en permanence et systématiquement, nous devons examiner si nous pouvons accepter toutes les conclusions (et actions?) de ceux qui prétendent penser (et agir?) pour nous et pour le bien de nos malades. Cela signifie qu'au lieu de confortablement laisser à d'autres le soin de penser à notre place - ou de le laisser croire! -, nous devons nous efforcer de penser aussi par nous-mêmes. Toute l'histoire de l'humanité jusqu'à aujourd'hui nous montre que cela n'a jamais été ni aisé, ni généralement bien vu d'aucune autorité, d'aucun pouvoir en place.

Depuis qu'ils existent, nombre de nos professionnels de la santé publique et de nos décideurs politiques à leur suite nous ont tenu des discours de perroquets sur ce qu'ils appellent "la Santé" et la "promotion de la Santé [Mentale]". Délibérément, à l'action en faveur des malades mentaux et contre les maladies mentales, ils substituent leur discours sur une "santé mentale" qu'ils ont inventée et qui n'est en réalité qu'une sorte "d'auberge espagnole", où ils apportent tout et n'importe quoi, un bric-à-brac indéfinissable et utopique.

Mais leurs phrases dithyrambiques et tarabiscotées ne sont jamais qu'un écran de fumée, une sorte de musique destinée à détourner l'attention des problèmes qu'on estime trop difficiles à résoudre et auxquels on n'ose pas vraiment s'attaquer. Ce sont des successions de mots, dépourvues de sens, qui encouragent et justifient l'inaction de ceux qui les énoncent. Au mieux , ces bavardages risquent de n'engendrer que l'incompréhension puis la lassitude de ceux à qui ils sont destinés; au pire, ils risquent de provoquer le découragement voire la démission et le renoncement chez ceux qui, concernés personnellement, les écouteraient et tenteraient d'y croire.

Mais l'essentiel est qu'on nous fait lanterner. Et comme nous ne pouvons renoncer, comme, pour nos malades, nous ne renoncerons jamais, le risque ne peut pas être celui du renoncement. Il doit être celui de la dénonciation constante et sans complaisance des supercheries et de tous les faux raisonnements dictés par la stupidité. C'est le risque de la colère, voire finalement de la révolte en désespoir de cause.

On voudrait nous maintenir dans l'illusion que tous les "beaux" discours et annonces d'intentions suffiraient à remplacer l'action, qu'ils seraient l'action elle-même. Pour nous en convaincre et la faire plus facilement accepter, on voudrait aussi nous faire trouver belle cette musique dont on croit nous bercer. Secouons-nous! Réveillons-nous! Cette musique n'est pas belle! Elle n'est pas même supportable! Ce chant de sirènes n'est pas de la musique, ce n'est que du bruit destiné à nous assourdir, nous étourdir, pour, en définitive, nous endormir. Il ne vise qu'à nous rendre définitivement sourds, aveugles, muets et paralysés: bernés, dociles, "cocus et contents", quoi!

Mais il y a plus grave encore que cette inaction dans le présent: les "beaux" discours masquant l'inaction sont aussi un outil de désinformation qui ne vise qu'à étendre l'audience - mais conforte l'inefficacité - de certaines organisations et institutions dites de "bien-être social (welfare) ", qu'elles soient privées ou publiques, nationales ou internationales. Et cette désinformation vise à prolonger l'inaction dans le futur.

Exemple particulièrement caractéristique de la désinformation, la lutte contre la "stigmatisation des maladies mentales" (ou des malades mentaux?) a déjà été évoquée à diverses reprises sur ce site (v., p.ex. stigmatisation - déstigmatisation ). Elle est une de ces multiples inepties, le cheval de bataille vaillamment enfourché par l'O.M.S./W.H.O., la Commission Européenne, nos psychiatres, nos politiques, et tutti quanti qui, en effet, s'obstinent à nous donner, depuis des années, une véritable parade équestre sans pour autant jamais trouver le chemin de l'écurie. Crédules, les médias leur emboîtent mécaniquement le pas.
La "stigmatisation" et la "déstigmatisation" sont un leitmotiv qu'on nous rabâche sans arrêt et sur lequel de toutes parts on ne cesse d'insister: c'est un véritable matraquage. C'est aussi de cette façon qu'on propage les mensonges.

Beaucoup ont fini par gober sans réserve cette propagande. Et, comble de l'ironie, parmi ceux qui se laissent ainsi entraîner dans l'erreur, se retrouvent aussi de grandes associations et organisations "indépendantes" revendiquant d'améliorer le sort des malades mentaux (elles ne semblent d'ailleurs jamais s'interroger sérieusement, tant sur la pertinence que sur l'efficacité de ce qu'elles appellent "leur action"; pourtant, au moins certaines d'entre elles devraient aujourd'hui disposer d'un recul de plusieurs décennies permettant d'en faire le bilan: craindraient-elles d'être confrontées à de mauvaises surprises?).
Voici des exemples; les deux premiers, choisis parmi bien d'autres du même tonneau, sont extraits des discours de WHO/OMS sur ce sujet:

"La stigmatisation est l'un des principaux obstacles qui empêchent de faire le nécessaire pour aider les personnes mentalement vulnérables, a déclaré Wolfgang Rutz, conseiller régional en santé mentale. Si vous vous sentez stigmatisé, vous ne vous adressez pas aux services qui pourraient vous aider, vous ne vous intégrez pas dans la société; les gens sont cachés à l'écart dans les hôpitaux, et il devient difficile de demander de l'aide avant qu'il ne soit trop tard et que le pronostic ne s'aggrave. C'est là un problème qu'il importe de traiter si nous voulons obtenir des résultats" (http://www.euro.who.int/InformationSources/MtgSums/2003/20031001_1)
et:
"Les facteurs qui sont à la base de la marginalisation des personnes mentalement vulnérables (sic) sont des conceptions psychosociales profondément ancrées dans la société, qui reposent sur l'incrédulité (sic) et les préjugés. La législation et les procédures administratives représentent souvent des obstacles importants au processus de réinsertion, de normalisation et d'humanisation." ( http://www.euro.who.int/document/rc53/fdoc07.pdf)

Un troisième exemple ne peut être reproduit ici en entier. Il y aurait trop à en dire! Allez plutôt y voir vous-même et forgez-vous votre opinion: http://francais.world-schizophrenia.org/stigma/aspects.html
et http://francais.world-schizophrenia.org/stigma/reinforcing_stigma.html. On y apprend, entre autres "clichés contre-clichés", que la "stigmatisation" des malades mentaux aurait de multiples "facettes", dont des "préjugés traditionnels" parmi lesquels on range "une méfiance qu'ont les êtres humains envers tout ce qui est imprévisible", l'ignorance qui serait à l'origine de "la discrimination pratiquée par les gouvernements et les sociétés en matière d'emploi...", le langage, avec "l'emploi de mots offensants, tels que schizo, psycho." etc., etc.
Et on nous dit aussi: "Il n'y a rien d'étonnant à ce que les gens atteints de maladie mentale tendent à refuser ou à faire abstraction de leur diagnostic puisqu'ils sont souvent exposés à des abus verbaux, qu'on se moque d'eux ou qu'on les maltraite."

Ceux qui nous disent cela, connaissent-ils personnellement des malades mentaux chroniques? Ont-ils jamais tenté de vivre à leurs côtés? N'auraient-ils pas eux-mêmes une propension marquée à imaginer des complots de toutes sortes, une certaine tendance spontanée à raisonner par amalgames? Mais ont-ils jamais appris à réfléchir? S'y sont-ils jamais efforcés?
Et pourtant, à la manière de l'histoire de la paille et la poutre, ils se permettent de recommander, pour ne pas encourager la stigmatisation, de "penser avant de parler"... Faites ce que je dis sans penser, pas ce que je fais sans le dire.

Tous les membres des familles et les proches de malades mentaux chroniques qui liraient ces laborieuses élucubrations sur la "stigmatisation" ( et la discrimination, l'exclusion ) , pourraient immédiatement se rendre compte que les rédacteurs de cette prose, soit ne devraient avoir aucune connaissance ni compréhension réelles des problèmes qu'ils traitent, soit ils ne voudraient eux-mêmes pas regarder la vérité en face, soit encore ils ne pourraient que délibérément travestir la réalité, ce à quoi nous préférerions ne pas croire.
Quoi qu'il en soit, quand certains parlent " d'ignorance " , de " conceptions psychosociales profondément ancrées " et de préjugés, traditionnels ou non, ils feraient mieux de s'instruire eux-mêmes à des sources sérieuses, et de balayer au préalable les idées fausses de devant leur propre porte. Et nous ne pouvons que rester en effet incrédules devant l'ampleur de la désinformation pourtant flagrante qu'ils répandent avec autant d'apparente candeur.

La légende de la lutte contre "la stigmatisation" fournit un prétexte commode à discours généreux en apparence. Elle est donc soigneusement entretenue. Son seul objectif est de ne faire porter les efforts et de n'engager les ressources publiques, dans la lutte pour les malades mentaux, que contre un ennemi imaginaire de pure invention, dans un combat par conséquent impossible, illusoire. Ceux qui, naïfs et crédules, se laissent convaincre de s'y engager ou d'y participer, et y placent vainement leurs espoirs, ils se laissent mystifier. Le combat contre la stigmatisation est fictif et définitivement trompeur, mais combien confortable et gratifiant pour les combattants attitrés et appointés qui s'y fabriquent et en tirent leur bonne conscience, et ne risquent d'y user que leur salive et leur encre! La "stigmatisation", elle réside d'abord dans l'esprit de ceux qui la dénoncent et qui, à force de la dénoncer, l'amplifient et lui donnent l'apparence d'exister.

Les efforts et ressources indûment gaspillés dans une lutte contre des fantômes devraient plutôt être consacrés, en priorité, à l'aide véritable aux malades, leur permettant, de manière très concrète, quotidienne et terre-à-terre, de vivre dans des conditions matérielles que eux pourraient trouver acceptables et décentes de leur point de vue. Là est la vraie urgence, et elle passe avant toutes les autres. Mais y répondre vraiment est sans aucun doute bien plus exigeant et onéreux que les discours "gratuits" toujours recommencés, célébrant et prônant la prétendue "lutte contre la stigmatisation".

C'est pourquoi on ne peut assez insister sur la nécessité de crever et dégonfler cette baudruche de la "lutte contre la stigmatisation des maladies mentales", une fable dont la seule utilité prouvée est qu'elle paraît justifier l'existence des conteurs de la fable, qu'elle leur permet de se faire valoir à peu de frais pour eux-mêmes. Par analogie, pourquoi ne pas baptiser ce combat la "recherche des armes de stigmatisation massive", par exemple ?

Ne l'auriez-vous jusqu'à présent pas remarqué? Sans exception notable, tous ceux qui, chez nous, affirment qu'il faut, en priorité, "lutter contre la stigmatisation des maladies mentales", ceux qui proclament qu'il faut "en finir avec la stigmatisation des maladies mentales", jamais pourtant ils ne prennent la peine (ni le risque!) de nous dire clairement ce qu'ils entendent par "stigmatisation", en quoi consiste cette chose dont ils ne cessent de nous rebattre les oreilles.

Comme si le sens de ce mot allait de soi. Comme si tout ce que ce mot peut recouvrir et suggérer de ramifications de causes et de conséquences implicites devait être clair pour tous, et donc pour nous. Le simple mot semble désormais se suffire à lui-même. Ceux qui parlent sans cesse de stigmatisation n'éprouvent habituellement plus aucun besoin de nous en expliquer la signification: selon eux, ce n'est pas nécessaire, puisqu'ils se présentent comme des gens qui savent de quoi ils parlent. Ils affectent de s'adresser à un public composé de personnes intelligentes, éclairées elles aussi, à qui ils ne vont pas faire l'affront de leur expliquer les évidences. En réalité ils les traitent en jobards, sans doute parce qu'ils les prennent pour tels.

C'est là une technique "politicienne" de flatterie déguisée, implicite, bien rodée, bien commode pour dispenser chacun - et d'abord soi-même - de réfléchir au sens des grands mots en lettres capitales dont certains usent et abusent, et par lesquels on cherche d'abord à impressionner ; on fait sentir à ses auditeurs qu'ils risqueraient de passer pour des ignares ou des béotiens, voire pire, s'ils s'avisaient, par exemple, de poser malencontreusement la question: qu'entendez-vous par stigmatisation de la maladie mentale? C'est une manière comme une autre de dissuader ses interlocuteurs de poser les questions gênantes, celles auxquelles on ne saurait comment répondre. On élude les questions avant même qu'elles ne soient posées.

Eh! Bien, n'ayons pas peur d'avouer notre incompréhension, notre scepticisme, voire notre ignorance! Puisqu'on n'estime pas utile de nous éclairer vraiment, tentons d'y voir plus clair par nous-mêmes. Posons-nous à nous-mêmes ces questions sur lesquelles on préfère glisser. Cela nous permettra de découvrir et de nous convaincre que la "lutte contre la stigmatisation des maladies mentales" n'est qu'un mirage, une méprise, un combat impossible dépourvu d'adversaire qu'on puisse nettement désigner, un combat ne pouvant jamais être ni gagné ni perdu, c'est-à-dire futile.

Ce sont les psychiatres et certains "psychologues" mêmes qui toujours ont alimenté la stigmatisation (de et) par la maladie mentale, quoiqu'aujourd'hui ils la dénoncent et affectent de la "stigmatiser" elle-même à son tour. Ne nous disent-ils pas, par exemple, que "être schizophrène ne veut pas dire être idiot...", stigmatisant implicitement, au passage, les "idiots"? ( v. Prix Nobel? )
Les termes d' "idiot" et d' "imbécile" n'ont-ils pas été pendant longtemps des dénominations psychiatriques réservées aux personnes atteintes d' "arriération mentale" à des degrés divers et ne sont-ils pas toujours, aujourd'hui encore, avec les termes de "débile mental, arriéré, demeuré, crétin ("des alpes", selon le capitaine Haddock de Hergé) , oligophrène, schizophrène, maniaque, obsédé, ..." ( et j'en passe beaucoup ) des insultes et des injures courantes, l'expression même d'une volonté manifeste de "stigmatisation" dans notre vocabulaire actuel et traditionnel, dans notre "culture"?
N'était-ce pas aussi un certain Sigmund Freud soi-même, encore révéré aujourd'hui par tant de dupes et de niais, qui donnait l'exemple et "stigmatisait" ses anciens disciples devenus rétifs face à son autorité et, selon lui, schismatiques et hérétiques, en leur attribuant, pour les discréditer à tout jamais, des "diagnostics psychiatriques" qu'il considérait de toute évidence comme infamants pour leur personne?

Mais, à propos, n'est-ce pas précisément les penseurs de la World Fellowship for Schizophrenia (vide supra) qui estiment que les mots "schizo, psycho " sont offensants? Serait-ce qu'ils se sentiraient offensés si on les apostrophait par ces mots?

Certains "professionnels" (?) québécois de la santé - http://www.med.univ-rennes1.fr/sisrai/dico/2067.html - prétendent, dans un petit glossaire intitulé "Dictionnaire de la Réadaptation ", donner leur définition de la stigmatisation. Elle est exemplaire et édifiante à plus d'un titre. La voici: "Stigmatisation: Parole ou action menant à transformer une déficience, une incapacité ou un handicap en une marque négative pour la personne."
Les auteurs de cette "définition" ne se sont guère souciés de précision ni de clarté dans la rédaction de cet article de leur glossaire; ils ne se sont pas fatigués à consulter au préalable aucun des nombreux dictionnaires de la langue française, (disponibles dans toutes les écoles), avant de pondre ce laborieux résultat de leurs cogitations. Ils ne se sont pas risqués à illustrer d'un exemple leur phrase maladroite ( sans doute craignaient-ils de dévoiler le caractère tendancieux et partial de leur définition ).

S'ils s'étaient montrés clairs et précis, ils auraient sans doute pu dire, par exemple: "Stigmatisation (d'une personne): c'est, en s'adressant à une personne affligée d'une déficience, d'une incapacité ou d'un handicap, agir avec elle ou lui parler en lui faisant reproche - ou moquerie - de cette déficience, cette incapacité, ou de ce handicap".
Car c'est bien cela qu'on voulait dire et nous suggérer. Mais c'est bien sûr faux et, comble de duplicité, ceux qui devraient le savoir n'osent même pas l'avouer. Car quelle est la personne se prétendant civilisée qui avouerait sans honte se comporter ainsi, par exemple avec un infirme ou avec une personne physiquement diminuée? Ou encore, avouerait-on explicitement se comporter de la sorte avec un malade mental? Je veux croire que non.

Mais pareil comportement ou discours correspondant à la "définition" citée ne serait pas simplement honteux! Il serait d'abord stupide, puis honteux! Comment, en effet, expliquer autrement que par la stupidité les reproches (la "stigmatisation") qu'on ferait à quelqu'un d'être ce qu'il est, d'être comme il est, alors qu'il n'y est lui-même pour rien et qu'il n'y peut rien changer? Stigmatise-t-on le lion parce qu'il tue l'antilope pour s'en nourrir? Non! On admet que c'est dans sa nature de lion, et on évite de se placer entre sa proie et lui.
Certains stigmatisent le renard qui chaparde les poules de leur poulailler. Ils ont tort. Le renard suit sa nature de renard, rien de plus légitime. Malheureusement, cela déplaît aux propriétaires des poules. Il seraient plus avisés de stigmatiser celui qui a mal conçu la clôture autour de la basse-cour.
Quand, par contre, l'animal nous rend service, nous ne songerions même pas à le stigmatiser pour des actions pourtant tout à fait comparables à celles qu'on vient d'évoquer: nous félicitons bien notre chat qui nous débarrasse des souris! Est-ce donc "mal" d'être un renard, est-ce "bien" d'être un chat? Ces jugements sont ineptes, car ce sont des jugements moraux, et la morale n'a que faire, ni ici ni en "Santé mentale".

Les malades mentaux peuvent tenir un discours et adopter un comportement et des attitudes qui nous paraissent étranges, incompréhensibles, inappropriés aux situations rencontrées. Et, souvent, ce que nous ne comprenons pas nous fait peur. Eux-mêmes, les malades peuvent ne pas nous comprendre et ils peuvent réagir à nos discours et nos actions de manière qui nous semble inappropriée. Et, souvent, eux aussi ils ont peur des bien-portants. Ce sont là des manifestations et les conséquences de leur maladie dont ils ne sont pas responsables et à quoi ils ne peuvent rien.

Tous, nous savons cela ou, plus exactement, nous devrions tous le savoir. Certains le savent de façon très concrète parce qu'ils ont, personnellement, une longue expérience vécue au contact des malades. D'autres pensent le savoir aussi, même s'ils ne font que l'imaginer de façon abstraite. D'autres encore, sans doute n'en veulent rien savoir et n'imaginent que ce qu'ils veulent.
Mais, une fois admis, ce savoir fait qu'il ne viendrait à l'esprit d'aucune personne raisonnable (et peut-être modérément intelligente), sachant qu'elle s'adresse à un malade mental, de le "stigmatiser", sous prétexte ou à cause de ou, en quelque sorte, "au nom" de son affection mentale (et il faut espérer qu'il en va de même au Canada) .

Quant aux malades, c'est leur maladie qui les empêche de s'adapter à un monde, de s'intégrer à une société où personne ne semble pressé de rien prévoir pour les accueillir décemment en tenant compte de leurs particularités. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'ils puissent se sentir exclus, rejetés, "stigmatisés" par la société, et qu'ils soient, finalement, peu désireux sans doute d'y participer, du moins si elle reste aussi peu acceptable à leurs yeux et aussi peu accueillante à leur égard qu'elle l'est à présent.
Mais cette exclusion de fait ne correspond nullement à une stigmatisation, même si les malades sont excusables de parfois se l'imaginer. Car nos "experts psys" et nos bons apôtres de mouvements associatifs et de la "lutte contre la stigmatisation" s'empressent de les conforter dans cette conviction fausse pour pouvoir ensuite se donner le beau rôle de la combattre. Mais ce n'est effectivement qu'un rôle d'acteur ou de récitant qui s'arrête à la sortie des artistes.

Stigmatiser quelqu'un ou stigmatiser ses actions ou son comportement, c'est désigner à tous ce quelqu'un et ses actions comme étant blâmables ou même infâmantes, condamnables pour des raisons d'éthique ou de morale. Mais ne nous méprenons pas! C'est celui qui est désigné qui est stigmatisé. Quand on taxe publiquement telle femme peu intelligente de "dinde", c'est elle qu'éventuellement on stigmatise (quoique le mot soit ici un peu fort), ce ne sont pas les dindes qui sont visées. Pourquoi reprocherait-on aux dindes d'être stupides?

Très tôt au cours de notre vie - dès la petite enfance -, notre éducation à tous consiste à favoriser, par l'approbation, les actes et les comportements considérés comme socialement souhaitables, et à dissuader de commettre les actions que la société réprouve, cette fois par le reproche, voire le blâme ou même la punition. Cela se pratique aussi bien en famille qu'à l'école. Et on blâme, on "stigmatise" les fautifs en leur disant en substance qu'eux qui savent et devraient être capables de se comporter "comme il convient" , ils se laissent cependant aller à faire comme ceux qui ne savent pas et ne peuvent pas en être capables, ceux qui ne peuvent donc pas être "fautifs". Est-ce une stigmatisation de ces derniers plutôt que des premiers ?

Quand, à quelqu'un perdu dans ses pensées, on doit répéter la même question plusieurs fois avant d'obtenir de lui une réponse, il arrive qu'impatienté on lui reproche: "mais tu es sourd, ou quoi?" Est-ce une stigmatisation des sourds?
Quand, cherchant un objet qu'on vient d'égarer puis, le retrouvant enfin, on le désigne du doigt à son propriétaire qui ne l'aperçoit pas immédiatement, il peut arriver qu'on lui dise, sur un ton de moquerie: "mais tu es aveugle, ou quoi?", est-ce une stigmatisation des aveugles? Et pourtant, surdité et cécité sont bien "des déficiences", des "handicaps". S'en moque-t-on?

La réprobation et le blâme se manifestent fréquemment aussi par ce qu'on pense être des termes forts (on a déjà le choix parmi les quelques termes cités plus haut), voire par des invectives prenant en exemple les handicaps graves que l'on attribue, sans y réfléchir vraiment, aux malades mentaux tels qu'une tradition populaire se les représente. Mais ici à nouveau, ce ne sont pas les malades mentaux qui sont visés, "stigmatisés".

On "stigmatise" ceux à qui on reproche qu'ils se soient comportés ou qu'ils aient tenu des discours inadéquats qu'on imagine - à tort ou à raison - comparables à des comportements et paroles de malades mentaux. Ce qu'on leur reproche, en fait, c'est de ne pas avoir fait usage, alors qu'il auraient dû car ils le pouvaient, de leurs capacités mentales bien présentes de bien-portants, c'est d'avoir, en quelque sorte, "joué au fou" alors qu'ils ne le sont pas.

Mais on sait - et l'on admet - que les malades, eux, ne disposent plus de toutes ces capacités, et on ne songe certainement pas à leur en faire grief, à les "stigmatiser" ( sauf peut-être, dans le propre "subconscient" de ceux qui dénoncent la "stigmatisation"?). Bien au contraire, ne serait-ce pas l'attitude diamétralement opposée qui serait la règle habituellement appliquée par des gens à la fois plus humains et plus logiques? Ainsi, par exemple, les juges et les tribunaux ne montrent-ils pas plus d'indulgence aux accusés de délits et aux criminels présumés (on leur accorde des circonstances atténuantes, on commue leurs peines) s'il est prouvé qu'ils sont affligés d'un trouble mental? Voudrait-on remettre cette règle en cause?

Mais prétendre que la "stigmatisation", de ceux-là qu'on traite de "fous" tout en sachant fort bien qu'ils ne sont pas des malades mentaux, rejaillirait sur les malades mentaux eux-mêmes, voilà bien une interprétation dont la logique est absente ou tordue! (Ne pourrions-nous pas y voir un effet pervers de plus de la théorie psychanalytique, une sorte de "transfert" ou de "contre-transfert" de la stigmatisation entre prétendus "déstigmatiseurs" et "stigmatisés"?)

Non! Ce ne sont pas non plus "l'incrédulité " (!?) et les préjugés qui sont "à la base de la marginalisation" des malades mentaux. Et ceux qui tablent sur notre crédulité à nous pour nous faire avaler cela, ils nous prennent pour quoi?
Les proches des malades savent bien, eux, ce que les "techno-bureaucrates de la santé mentale" semblent ignorer et semblent aussi incapables d'apprendre: la marginalisation des malades mentaux est la conséquence directe de la perte des compétences requises par notre société, et cette perte est une des manifestations de l'affection mentale elle-même.
La prétendue "discrimination en matière d'emploi" que pratiqueraient "les gouvernements" et "les sociétés" n'est qu'une variation dans la formulation de la contrevérité précédente.

Les "responsables politiques" et les "responsables techniques" de la "santé mentale" nous désignent des faux "coupables", afin de détourner notre attention des vrais.
Ils voudraient nous faire croire qu'on pourrait et qu'il faut forcer les malades mentaux à s'adapter à la société telle qu'elle est. C'est une stupidité dont l'évidence n'échappe qu'à ceux qui refusent de la voir. Les "responsables officiels ou autoproclamés " ne semblent pas se rendre compte qu'ils se comportent, soit en "irresponsables délibérés", soit en "responsables irréfléchis". Devons-nous choisir?

En attendant d'être capable de soigner efficacement les malades mentaux, il faut prévoir des espaces de société où celle-ci s'adapte aux malades tels qu'ils sont.


Première publication: 5 Avril 2004 (J.D.) Dernière modification: 5 Avril 2004

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