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Handicaps


 

Dossier l'annonce du handicap acquis
L’annonce du diagnostic de schizophrénie

Dr Béatrice Laffy-Beaufils, chef de service de psychiatrie, hôpital Corentin Celton, AP-HP
Colloque L’Annonce du handicap acquis, Espace éthique en partenariat avec la Mission handicaps de l’AP-HP, 7 février 2002

Sommaire

La schizophrénie : un problème de santé publique
L’information et la réticence des psychiatres
L’aptitude à comprendre du patient
La stigmatisation de " la folie " et la place des familles
L’information : une réponse face à l’efficacité paradoxale des traitements


Avant d’aborder les particularités de l’annonce du diagnostic en matière de schizophrénie, il ne me paraît pas inutile de rappeler en quelques mots les principales caractéristiques de cette maladie.
La schizophrénie débute chez l’adolescent ou l’adulte jeune et évolue ensuite tout au long de l’existence.

La schizophrénie : un problème de santé publique

On classe actuellement les symptômes de la maladie en 3 sous-syndromes auxquels s’associent les troubles cognitifs : le syndrome positif comprend les signes les plus caractéristiques de la maladie, idées délirantes et hallucinations. Le syndrome de désorganisation est caractérisé par la désorganisation de la pensée, du langage et du comportement. Le syndrome négatif ou syndrome déficitaire comporte d’importants troubles de la communication, à la fois verbale et non verbale, l’apragmatisme, le repli social, la perte de l’initiative. Enfin, les troubles cognitifs, présents dès avant le début clinique de la maladie, sont retrouvés chez 80 % des patients. Il s’agit d’un déficit très global, prédominant toutefois sur l’attention, la mémoire verbale et les fonctions exécutives.

Déficit schizophrénique et troubles cognitifs sont corrélés au pronostic et déterminent le handicap schizophrénique. La maladie schizophrénique comporte en effet une évolution qui se fait par poussées mais des symptômes résiduels persistent souvent entre les accès, et un handicap important, notamment social, s’installe progressivement.

Malgré la révolution qu’a constituée, en 1952, la découverte de l’efficacité des neuroleptiques, cette maladie reste malheureusement à la croisée des grands problèmes de santé publique. La prévalence de la maladie est de 1 %. Elle est caractérisée par une surmorbidité et une surmortalité non exclusivement liée au suicide dont le taux est cependant affligeant : 10 à 15 % des patients atteints de schizophrénie se suicident.

80 % des patients sont sans emploi et 10 à 15 % des sans-abri sont, en fait, des patients atteints de schizophrénie. Alcoolisme et toxicomanies associés concernent près de 1 patient sur 2. Il existe par ailleurs un risque accru d’actes médico-légaux même s’il ne s’agit aucunement des faits divers horribles, très médiatisés mais néanmoins tout à fait exceptionnels. Les coûts médico-sociaux de cette maladie sont donc extrêmement élevés, évalués à 3.05 milliards d’euros par an en France.
L’étiologie est actuellement considérée comme plurifactorielle ; on ne sait encore s’il s’agit d’une seule ou de plusieurs maladies comportant une présentation clinique similaire. Les facteurs génétiques sont avérés ; en témoignent les études familiales et les études de jumeaux. La chimie cérébrale est également impliquée ; on rappellera que les médicaments antipsychotiques bloquent les récepteurs dopaminergiques et/ou sérotoninergiques.

Plus récemment, l’hypothèse neurodéveloppementale a gagné beaucoup de crédit ; il s’agirait d’anomalies précoces du développement cérébral perturbant l’établissement des connexions neuronales. Enfin, il existe chez ces patients une vulnérabilité marquée au stress permettant d’expliquer leur fragilité et leur susceptibilité à rechuter lorsque les pressions sont trop importantes, quelle qu’en soit la nature.

L’information et la réticence des psychiatres

Comme la plupart des spécialités médicales, la psychiatrie est actuellement confrontée à la nécessité et au devoir d’informer de façon loyale les patients. L’information et l’annonce du diagnostic posent cependant, en matière de schizophrénie, des problèmes particuliers. Elles se heurtent à des réticences tenant à des facteurs plus ou moins pertinents. Quelques-uns tiennent plus particulièrement aux psychiatres qui, pour certains, éprouvent une forme de réticence vis-à-vis du diagnostic. Incertain en psychiatrie, dans la mesure où nous ne disposons pas de validateurs externes, celui-ci se trouve donc reposer, intégralement, sur la clinique. À cet argument, il convient d’opposer les efforts de consensus et le souci de rigueur des critères internationaux dont la fiabilité a été démontrée.

La réticence peut également concerner le refus du diagnostic en tant qu’émanation d’un modèle médical contesté, accusé de réduire l’individu à une entité pathologique. C’est alors l’éternel débat d’une psychiatrie médicale ou davantage tournée vers la philosophie et les sciences humaines. Le modèle psychanalytique, qui présuppose la notion de structure, adaptée de Freud, a longtemps prévalu en France : chaque individu peut être défini par une structure, la structure névrotique, celle de tout un chacun, et la structure dite psychotique qui serait propre au schizophrène. À quoi servirait-il d’informer une personne de ce qu’il est radicalement et structurellement différent de vous ?

Enfin, la tradition française a régulièrement privilégié le modèle de la schizophrénie le plus pessimiste qui soit, c’est-à-dire la démence précoce de Kraepelin, postulant une évolution inéluctable et inexorable vers la détérioration mentale.

L’aptitude à comprendre du patient

Contrairement à la plupart des pathologies, la maladie schizophrénique est susceptible de limiter ou de compromettre l’aptitude à comprendre, à intégrer, à mémoriser l’information transmise. Celle-ci n’a en effet de pertinence que si elle s’adresse à un patient capable d’intégrer en profondeur de quoi il retourne. On peut citer les troubles cognitifs (mémoire verbale, attention, fonctions exécutives), les idées délirantes. Le moment et la nature de l’information doivent tenir compte de ces paramètres.

La non-conscience des troubles, qu’on l’appelle " absence d’insight ", déni ou anosognosie est caractéristique de la pathologie, au moins par sa fréquence. Elle représente même, pour certains, un élément essentiel, quasi pathognomonique du diagnostic de schizophrénie, élément alors considéré comme quasi irréductible. La nature du mot choisi n’est pas innocente et se réfère au modèle étiologique privilégié. Les termes " déni " et " insight " sont plutôt issus du vocabulaire psychanalytique, même si l’insight a ensuite été repris par les cognitivistes. L’anosognosie renvoie à un déficit neurologique. Ceux qui considèrent le déni comme structurel pensent qu’il est inutile, voire néfaste, d’informer à propos de la maladie puisque le patient, emprisonné dans son propre système, ne peut que s’opposer activement et finalement rejeter cette information comme c’est le risque. Pour les partisans de l’information, au contraire, le déni de la maladie est justement l’ennemi à combattre, d’autant que nous verrons à quel point ses conséquences peuvent être terribles, justifiant donc la mise au point de stratégies particulières.
Déterminer l’aptitude à consentir aux soins est un élément tout à fait propre à la pathologie psychiatrique. Si le patient est considéré comme inapte, il est possible de déclencher une procédure d’hospitalisation sous contrainte. Ce manquement au respect des libertés individuelles étant justifié, bien sûr, par la nécessité d’assistance à une personne en danger et inconsciente de ses troubles.

La stigmatisation de " la folie " et la place des familles

Certaines réticences tiennent aux familles des patients atteints de schizophrénie. Elles ont été malmenées pendant des décennies et nous ne reviendrons ni sur " la mère schizophrénogène " du modèle psychanalytique, ni sur " le double lien " du modèle systémique. Fort heureusement, les tendances actuelles sont extrêmement différentes. Certains travaux ont mis l’accent, il y a une vingtaine d’années, sur le haut niveau d’émotions exprimées dans certaines familles comportant un taux de rechute particulièrement élevé pour le patient. C’est ainsi qu’ont vu le jour des programmes psychoéducatifs destinés aux familles des patients et comportant en général plusieurs volets : information concernant symptômes, maladie et traitements, résolution de problèmes sociaux, gestion de crises et entraînement aux habilités communicationnelles. De nombreux travaux ont maintenant montré que ces programmes psychoéducatifs permettent une prévention des rechutes de la maladie schizophrénique chez le patient, une meilleure adaptation sociale et une meilleure qualité de vie pour l’ensemble de la famille.

Enfin, la stigmatisation sociale majeure que constitue " la folie " joue un rôle important. La maladie schizophrénique se traduit par un handicap non reconnu, non visible. À l’heure de la désinstitutionnalisation, des programmes de réinsertion et d’intégration dans la cité des patients atteints de schizophrénie, il est évident que de nombreuses mesures spécifiques sont nécessaires. Elles ont déjà été prises dans de nombreux pays du monde et les associations de familles et d’usagers (UNAFAM et FNAP Psy) s’emploient à une meilleure reconnaissance du handicap psychique.

L’information : une réponse face à l’efficacité paradoxale des traitements

Les neuroleptiques et maintenant les antipsychotiques sont des médicaments tout à fait efficaces. Il existe cependant un paradoxe : malgré cette efficacité apparente, 85 % des patients rechutent après leur premier épisode. Progressivement, la résistance au traitement se développe : 10 à 15 % des patients lors du premier épisode puis 30 à 50 % ensuite. Trois fois sur quatre, les patients arrêtent leur traitement dans les 2 ans qui suivent le premier épisode (un tiers seulement des patients seraient véritablement compliants). Ces chiffres sont accablants et en grande partie à l’origine du mauvais pronostic de la maladie : rechutes, résistance, désocialisation, suicide. La non-observance du traitement est évidemment compréhensible car comment persuader un jeune homme ou une jeune fille de 20 ans, de prendre un traitement à vie sans lui en expliquer de manière très précise l’utilité ?

Il existe deux moyens de parer à cette mauvaise observance. Le premier est d’améliorer la tolérance des médicaments ce qui est pratiquement acquis grâce à de meilleures règles de prescription et à l’introduction récente de molécules nettement mieux tolérées. Le second est d’informer.

Plus qu’une contrainte juridique, l’information est donc devenue une obligation thérapeutique, une nouvelle forme de psychothérapie. Il s’agit alors d’un processus éducatif, actif et progressif, comportant différentes étapes et s’adaptant bien évidemment à la situation propre de chaque patient. Dans un premier temps, en phase aiguë et dès le premier épisode, on propose de prendre pour cible le symptôme principal (hallucinations, croyances non partagées par les autres, trouble de la concentration, apragmatisme), qui va alors justifier le traitement. Il s’agit sans équivoque d’un symptôme, c’est-à-dire d’une manifestation anormale, pathologique, clairement située dans le champ de la maladie et qui a pour le sujet des conséquences néfastes. Il faut aider le patient à l’identifier, à prendre conscience de son caractère pathologique, de son retentissement dans la vie de tous les jours et à prendre du recul vis-à-vis de ce symptôme, c’est-à-dire de la distance vis-à-vis de la maladie. Plus le déni est important, plus il faut persévérer, expliciter, répéter inlassablement les mêmes arguments, insister sur les changements bénéfiques induits par le traitement, sans agressivité, avec humour même si possible. La prise de conscience se fait en général progressivement, plus ou moins vite selon les patients, parfois très lentement sur des années. Il arrive qu’elle ne se fasse jamais complètement ; l’important est d’avoir maintenu la relation thérapeutique — à ce stade, celle d’un vieux couple de duellistes — et, tant bien que mal, la continuité du traitement.

La deuxième phase consiste à proposer au patient le modèle médical comme représentation de ses troubles : autant attribuer finalement les symptômes à une maladie qu’à des persécuteurs terrifiants. C’est toute la question de l’attribution.
Les programmes psychoéducatifs sont maintenant extrêmement diffusés à travers le monde. Ils sont recommandés en première intention dans tous les systèmes de guide-lines internationales car ils ont montré leur efficacité en matière de prévention des rechutes, d’amélioration de la conscience des troubles et donc d’observance thérapeutique.

L’information est devenue une obligation thérapeutique parce qu’elle augmente cette observance, facteur déterminant du pronostic, et peut s’inscrire dans une démarche psychothérapique, en permettant une distanciation du sujet vis-à-vis des manifestations pathologiques. En accédant au contrôle de sa maladie, le patient cesse d’être seulement un schizophrène pour devenir une personne souffrant d’une maladie que l’on nomme schizophrénie.