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Dossier
l'annonce du handicap acquis Sommaire
Avant
daborder les particularités de lannonce du diagnostic
en matière de schizophrénie, il ne me paraît pas inutile
de rappeler en quelques mots les principales caractéristiques de
cette maladie. La
schizophrénie : un problème de santé publique On
classe actuellement les symptômes de la maladie en 3 sous-syndromes
auxquels sassocient les troubles cognitifs : le syndrome positif
comprend les signes les plus caractéristiques de la maladie, idées
délirantes et hallucinations. Le syndrome de désorganisation
est caractérisé par la désorganisation de la pensée,
du langage et du comportement. Le syndrome négatif ou syndrome
déficitaire comporte dimportants troubles de la communication,
à la fois verbale et non verbale, lapragmatisme, le repli
social, la perte de linitiative. Enfin, les troubles cognitifs,
présents dès avant le début clinique de la maladie,
sont retrouvés chez 80 % des patients. Il sagit dun
déficit très global, prédominant toutefois sur lattention,
la mémoire verbale et les fonctions exécutives. Déficit
schizophrénique et troubles cognitifs sont corrélés
au pronostic et déterminent le handicap schizophrénique.
La maladie schizophrénique comporte en effet une évolution
qui se fait par poussées mais des symptômes résiduels
persistent souvent entre les accès, et un handicap important, notamment
social, sinstalle progressivement. Malgré
la révolution qua constituée, en 1952, la découverte
de lefficacité des neuroleptiques, cette maladie reste malheureusement
à la croisée des grands problèmes de santé
publique. La prévalence de la maladie est de 1 %. Elle est caractérisée
par une surmorbidité et une surmortalité non exclusivement
liée au suicide dont le taux est cependant affligeant : 10 à
15 % des patients atteints de schizophrénie se suicident. 80
% des patients sont sans emploi et 10 à 15 % des sans-abri sont,
en fait, des patients atteints de schizophrénie. Alcoolisme et
toxicomanies associés concernent près de 1 patient sur 2.
Il existe par ailleurs un risque accru dactes médico-légaux
même sil ne sagit aucunement des faits divers horribles,
très médiatisés mais néanmoins tout à
fait exceptionnels. Les coûts médico-sociaux de cette maladie
sont donc extrêmement élevés, évalués
à 3.05 milliards deuros par an en France. Plus
récemment, lhypothèse neurodéveloppementale
a gagné beaucoup de crédit ; il sagirait danomalies
précoces du développement cérébral perturbant
létablissement des connexions neuronales. Enfin, il existe
chez ces patients une vulnérabilité marquée au stress
permettant dexpliquer leur fragilité et leur susceptibilité
à rechuter lorsque les pressions sont trop importantes, quelle
quen soit la nature. Linformation
et la réticence des psychiatres Comme
la plupart des spécialités médicales, la psychiatrie
est actuellement confrontée à la nécessité
et au devoir dinformer de façon loyale les patients. Linformation
et lannonce du diagnostic posent cependant, en matière de
schizophrénie, des problèmes particuliers. Elles se heurtent
à des réticences tenant à des facteurs plus ou moins
pertinents. Quelques-uns tiennent plus particulièrement aux psychiatres
qui, pour certains, éprouvent une forme de réticence vis-à-vis
du diagnostic. Incertain en psychiatrie, dans la mesure où nous
ne disposons pas de validateurs externes, celui-ci se trouve donc reposer,
intégralement, sur la clinique. À cet argument, il convient
dopposer les efforts de consensus et le souci de rigueur des critères
internationaux dont la fiabilité a été démontrée. La
réticence peut également concerner le refus du diagnostic
en tant quémanation dun modèle médical
contesté, accusé de réduire lindividu à
une entité pathologique. Cest alors léternel
débat dune psychiatrie médicale ou davantage tournée
vers la philosophie et les sciences humaines. Le modèle psychanalytique,
qui présuppose la notion de structure, adaptée de Freud,
a longtemps prévalu en France : chaque individu peut être
défini par une structure, la structure névrotique, celle
de tout un chacun, et la structure dite psychotique qui serait propre
au schizophrène. À quoi servirait-il dinformer une
personne de ce quil est radicalement et structurellement différent
de vous ? Enfin,
la tradition française a régulièrement privilégié
le modèle de la schizophrénie le plus pessimiste qui soit,
cest-à-dire la démence précoce de Kraepelin,
postulant une évolution inéluctable et inexorable vers la
détérioration mentale. Laptitude
à comprendre du patient Contrairement
à la plupart des pathologies, la maladie schizophrénique
est susceptible de limiter ou de compromettre laptitude à
comprendre, à intégrer, à mémoriser linformation
transmise. Celle-ci na en effet de pertinence que si elle sadresse
à un patient capable dintégrer en profondeur de quoi
il retourne. On peut citer les troubles cognitifs (mémoire verbale,
attention, fonctions exécutives), les idées délirantes.
Le moment et la nature de linformation doivent tenir compte de ces
paramètres. La
non-conscience des troubles, quon lappelle " absence
dinsight ", déni ou anosognosie est caractéristique
de la pathologie, au moins par sa fréquence. Elle représente
même, pour certains, un élément essentiel, quasi pathognomonique
du diagnostic de schizophrénie, élément alors considéré
comme quasi irréductible. La nature du mot choisi nest pas
innocente et se réfère au modèle étiologique
privilégié. Les termes " déni " et "
insight " sont plutôt issus du vocabulaire psychanalytique,
même si linsight a ensuite été repris par les
cognitivistes. Lanosognosie renvoie à un déficit neurologique.
Ceux qui considèrent le déni comme structurel pensent quil
est inutile, voire néfaste, dinformer à propos de
la maladie puisque le patient, emprisonné dans son propre système,
ne peut que sopposer activement et finalement rejeter cette information
comme cest le risque. Pour les partisans de linformation,
au contraire, le déni de la maladie est justement lennemi
à combattre, dautant que nous verrons à quel point
ses conséquences peuvent être terribles, justifiant donc
la mise au point de stratégies particulières. La
stigmatisation de " la folie " et la place des familles Certaines
réticences tiennent aux familles des patients atteints de schizophrénie.
Elles ont été malmenées pendant des décennies
et nous ne reviendrons ni sur " la mère schizophrénogène
" du modèle psychanalytique, ni sur " le double lien
" du modèle systémique. Fort heureusement, les tendances
actuelles sont extrêmement différentes. Certains travaux
ont mis laccent, il y a une vingtaine dannées, sur
le haut niveau démotions exprimées dans certaines
familles comportant un taux de rechute particulièrement élevé
pour le patient. Cest ainsi quont vu le jour des programmes
psychoéducatifs destinés aux familles des patients et comportant
en général plusieurs volets : information concernant symptômes,
maladie et traitements, résolution de problèmes sociaux,
gestion de crises et entraînement aux habilités communicationnelles.
De nombreux travaux ont maintenant montré que ces programmes psychoéducatifs
permettent une prévention des rechutes de la maladie schizophrénique
chez le patient, une meilleure adaptation sociale et une meilleure qualité
de vie pour lensemble de la famille. Enfin,
la stigmatisation sociale majeure que constitue " la folie "
joue un rôle important. La maladie schizophrénique se traduit
par un handicap non reconnu, non visible. À lheure de la
désinstitutionnalisation, des programmes de réinsertion
et dintégration dans la cité des patients atteints
de schizophrénie, il est évident que de nombreuses mesures
spécifiques sont nécessaires. Elles ont déjà
été prises dans de nombreux pays du monde et les associations
de familles et dusagers (UNAFAM et FNAP Psy) semploient à
une meilleure reconnaissance du handicap psychique. Linformation
: une réponse face à lefficacité paradoxale
des traitements Les
neuroleptiques et maintenant les antipsychotiques sont des médicaments
tout à fait efficaces. Il existe cependant un paradoxe : malgré
cette efficacité apparente, 85 % des patients rechutent après
leur premier épisode. Progressivement, la résistance au
traitement se développe : 10 à 15 % des patients lors du
premier épisode puis 30 à 50 % ensuite. Trois fois sur quatre,
les patients arrêtent leur traitement dans les 2 ans qui suivent
le premier épisode (un tiers seulement des patients seraient véritablement
compliants). Ces chiffres sont accablants et en grande partie à
lorigine du mauvais pronostic de la maladie : rechutes, résistance,
désocialisation, suicide. La non-observance du traitement est évidemment
compréhensible car comment persuader un jeune homme ou une jeune
fille de 20 ans, de prendre un traitement à vie sans lui en expliquer
de manière très précise lutilité ? Il
existe deux moyens de parer à cette mauvaise observance. Le premier
est daméliorer la tolérance des médicaments
ce qui est pratiquement acquis grâce à de meilleures règles
de prescription et à lintroduction récente de molécules
nettement mieux tolérées. Le second est dinformer. Plus
quune contrainte juridique, linformation est donc devenue
une obligation thérapeutique, une nouvelle forme de psychothérapie.
Il sagit alors dun processus éducatif, actif et progressif,
comportant différentes étapes et sadaptant bien évidemment
à la situation propre de chaque patient. Dans un premier temps,
en phase aiguë et dès le premier épisode, on propose
de prendre pour cible le symptôme principal (hallucinations, croyances
non partagées par les autres, trouble de la concentration, apragmatisme),
qui va alors justifier le traitement. Il sagit sans équivoque
dun symptôme, cest-à-dire dune manifestation
anormale, pathologique, clairement située dans le champ de la maladie
et qui a pour le sujet des conséquences néfastes. Il faut
aider le patient à lidentifier, à prendre conscience
de son caractère pathologique, de son retentissement dans la vie
de tous les jours et à prendre du recul vis-à-vis de ce
symptôme, cest-à-dire de la distance vis-à-vis
de la maladie. Plus le déni est important, plus il faut persévérer,
expliciter, répéter inlassablement les mêmes arguments,
insister sur les changements bénéfiques induits par le traitement,
sans agressivité, avec humour même si possible. La prise
de conscience se fait en général progressivement, plus ou
moins vite selon les patients, parfois très lentement sur des années.
Il arrive quelle ne se fasse jamais complètement ; limportant
est davoir maintenu la relation thérapeutique à
ce stade, celle dun vieux couple de duellistes et, tant bien
que mal, la continuité du traitement. La
deuxième phase consiste à proposer au patient le modèle
médical comme représentation de ses troubles : autant attribuer
finalement les symptômes à une maladie quà des
persécuteurs terrifiants. Cest toute la question de lattribution.
Linformation est devenue une obligation thérapeutique parce quelle augmente cette observance, facteur déterminant du pronostic, et peut sinscrire dans une démarche psychothérapique, en permettant une distanciation du sujet vis-à-vis des manifestations pathologiques. En accédant au contrôle de sa maladie, le patient cesse dêtre seulement un schizophrène pour devenir une personne souffrant dune maladie que lon nomme schizophrénie.
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