LIMINAIRE

Les parents, proches et amis de malades mentaux, se regroupent en associations pour mieux se faire entendre des pouvoirs publics, pour s'entraider et améliorer les conditions de traitement , de soins et de vie de leurs malades, de ceux que les médecins psychiatres appellent les malades psychotiques chroniques: ceux qui sont atteints d'une psychose chronique grave et de fort longue durée.

Ces affections mentales ont pour particularité principale d'altérer, plus ou moins sévèrement, de nombreuses fonctions cérébrales, de telle sorte que ceux qui en sont atteints sont, à divers degrés, handicapés dans leurs capacités de pensée et de raisonnement, de perceptions, de mémoire, de volition, d'émotion et ce, fort souvent, sans qu'ils soient eux-mêmes capables de prendre conscience de leur maladie.

Pareils handicaps constituent, on l'imagine, des obstacles presque insurmontables à une vie relationnelle normale, à l'activité professionnelle, l'intégration sociale. Ils entraînent donc la dépendance et non seulement la perte de toute liberté, tant économique que sociale, mais impliquent souvent aussi la perte du libre arbitre permettant de faire ses propres choix, de décider seul de son propre sort.

Ainsi, les psychoses rendent extrêmement difficile ou même impossible toute vie normalement digne d'être vécue, non seulement à ceux-là mêmes qui en sont directement atteints, mais aussi à ceux qui leur sont proches et tentent de les entourer du mieux qu'ils peuvent.

Même si les traitements médicamenteux peuvent en atténuer certaines manifestations, et quoi que certains ignorants veuillent nous faire accroire, les psychoses sont actuellement encore incurables. Leurs causes restent obscures. Elles sont d'origine partiellement génétique, partiellement développementale. Des facteurs environnementaux encore inconnus y contribuent également. Toutefois, la nature de ces facteurs n'est certainement ni psychologique, ni culturelle ni économique, ni encore sociale. Mais les handicaps propres aux psychoses entraînent à leur tour, inexorablement, de graves conséquences psychologiques, économiques et sociales, qui aggravent et compliquent les effets directs, immédiats de la maladie en s'y surajoutant.

Ainsi s'installe un cycle infernal où la maladie proprement dite et ses multiples conséquences s'exacerbent et se renforcent mutuellement, cycle dont souvent le témoin, qu'il soit un profane mal informé ou même un "professionnel" occasionnel, ne parvient plus à reconnaître le point de départ, n'est plus à même de distinguer la cause de ses effets. Cette confusion entre causes et effets des psychoses est une source intarissable de malentendus et d'incompréhension à propos de la maladie mentale, non seulement dans le grand public, mais aussi chez les responsables politiques dont dépend ce qu'il est convenu d'appeler la "santé mentale". Ces malentendus sont fort dommageables aux malades eux-mêmes et à leurs proches. Ils entraînent aussi une répartition inadéquate et une utilisation dispendieuse des deniers publics dont l'efficacité réelle est pour le moins contestable.

Notre société, moderne et industrialisée, connaît des crises économiques qui, à leur tour, engendrent leur lot de difficultés sociales. Celles-ci sont à l'origine de phénomènes de marginalisation et d'exclusion d'individus et de familles entières. Ces mots apparemment abstraits de marginalisation et exclusion, recouvrent en fait d'innombrables exemples très individuels et bien concrets de drames humains quotidiens. Et les drames humains n'ont-ils pas, par essence, une composante psychologique de première importance? Cette composante-là, ce sont les dysfonctionnement psychologiques dont les origines sont dans la société. D'où on pourrait avoir la naïveté de croire que, les causes économiques et sociales de ces dysfonctionnements psychologiques étant évidentes, bien connues et reconnues, on sache comment y remédier par l'atténuation des causes véritables, et comment même les prévenir éventuellement par la suppression de ces mêmes causes, quand ceci s'avère possible.

On pourrait aussi croire que, puisqu'on connaît les causes économiques et sociales du "mal-être social", on s'efforce de les supprimer - ou, au moins, de les minimiser -. Mais la "santé mentale" ne s'attaque pas aux causes. Elle tente seulement de les occulter. Les actuelles mesures de "Santé mentale" ne sont jamais que la potion "calmante" que, pour se donner bonne conscience à bon compte, les politiques prescrivent en prétendant pouvoir un jour se payer le traitement causal vrai (économique et social) qu'ils estiment trop onéreux ou inaccessible aujourd'hui. En attendant, on préfère payer moins cher (?) des troupes d'illusionnistes plutôt que des équipes de soignants véritables: le spectacle offert ainsi amuse mieux une certaine galerie, mais ce n'est rien de plus qu'un triste et mauvais spectacle qui ne vaut pas le prix qu'on en demande.

Il y a malheureusement plus grave encore. Les maladies mentales, celles qu'on regroupe sous l'appellation de psychoses, n'ont pas les mêmes causes et sont d'une tout autre nature que ces fameux "troubles du mal-vivre reflétant le mal-être de la société", ces boucs émissaires commodes qui monopolisent toutes les sollicitudes faciles du discours démagogique. On sait pourtant fort bien que le fléau des maladies mentales n'a pas attendu ni eu besoin de l'avènement de notre société industrielle pour exister. Il est de tous les temps. Il requiert de tout autres mesures que les simples incantations propitiatoires psalmodiées par ce nouvel "opium du peuple", cette panacée que certains sembleraient voir dans la "santé mentale" et qui, paraît-il, résoudrait tous nos problèmes"de société".

Dans le public mais aussi chez nos responsables politiques, l'existence et la nature des psychoses sont complètement passées sous silence. A eux seuls (sans les familles ni les proches), les malades concernés représentent pourtant près de 3% de la population! Cela signifie que la plupart d'entre nous connaissent ou côtoient chaque jour quelqu'un dont la famille ou l'entourage compte pareil malade. La "santé mentale" chante des berceuses aux "malades sociaux" pour distraire leur vigilance, pour leur faire prendre leur mal en patience. Ce faisant, elle ignore délibérément les 3% de malades mentaux vrais en laissant croire qu'ils sont déjà pris en compte parmi et avec les autres. Cela revient à dire qu'ils existent d'autant moins que leur maladie même les empêche de protester personnellement et utilement contre toutes les discriminations de fait dont ils sont l'objet.

Les revendications et propositions qui suivent ont été rassemblées pour susciter les initiatives destinées à améliorer cette situation indigne d'un état moderne se voulant civilisé.

Dr Jean Desclin, Bruxelles, octobre 1998


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