ET TOUT D'ABORD, QUELQUES QUESTIONS...

En 1990, le Ministère de la Santé Publique et de l'Environnement (Administration des établissements de soins) publiait une épaisse brochure ("actualisée" en 1992) intitulée "1990: Une date historique pour le secteur psychiatrique". On peut y trouver l'énoncé des principes qui ont présidé à la conception et à la mise en pratique de "la politique pour la psychiatrie", principes qui devraient laisser perplexes et rêveurs tous ceux qui s'intéressent à la "santé mentale".

Le 10 mars 1998, la Chambre des Représentants a procédé à une sorte d'audit sur les résultats de cette politique après quelque huit années d'application "sur le terrain".

Outre le fait que les ministres concernés eux-mêmes, sans doute accaparés par d'autres occupations prioritaires, n'ont pas manifesté un intérêt particulièrement marqué pour ces auditions, les questions posées par les commissaires n'ont pas été les bonnes, peut-être leurs dossiers n'étaient-ils pas suffisamment maîtrisés. S'ils avaient lu la brochure mentionnée plus haut - lecture des plus édifiantes malgré son style -, ils auraient peut-être su quelles étaient les bonnes questions à poser. Quelques unes de ces questions sont proposées ci-après.


Les politiques et "responsables" de la santé mentale parlent de "soins psychiatriques", de "soins psychiatriques spécialisés les plus intensifs possibles", de "chronicité des maladies mentales à éviter".

On aimerait savoir: en dehors de la seule administration de médicaments neuroleptiques plus ou moins bien (mal) adaptés à chaque cas particulier, en quoi précisément consistent ces "soins psychiatriques" dispensés aux psychotiques?

On aimerait savoir: en dehors de la seule distribution régulière de médicaments neuroleptiques, en quoi les "soins psychiatriques spécialisés" destinés aux malades psychotiques diffèrent-ils des autres soins médicaux?

On aimerait savoir: en dehors de la seule administration de médicaments neuroleptiques multiples et arbitraires à doses trop élevées, qu'entend-on par "soins psychiatriques spécialisés les plus intensifs possibles"?

On aimerait savoir: que signifie pour ceux qui l'écrivent, apparemment sans rire, la phrase "éviter la chronicité" en parlant des malades psychotiques chroniques?


  Les concepteurs de la politique de la santé mentale parlent de "PREVENTION" des affections psychiatriques assurée par la création de "centres de santé mentale".

On aimerait savoir et comprendre: les responsables de la "santé mentale" peuvent-ils citer une seule étude scientifique digne de ce nom ayant démontré que la mise en oeuvre d'une politique précise de "santé mentale" est suivie d'une diminution significative du nombre de cas de maladies mentales psychotiques?

(La bonne réponse est: non)

En d'autres termes, a-t-on pu définir, sur base de preuves scientifiquement contrôlées, des mesures de prévention des psychoses dont l'efficacité aurait été démontrée?

(La bonne réponse est: non)

Plus simplement et plus généralement encore, on aimerait comprendre comment on pourrait prétendre prévenir quelque phénomène que ce soit (les psychoses, par exemple) dont les causes sont notoirement inconnues?

(La bonne réponse est: on ne peut pas)

Par conséquent, en quoi consiste "l'accent mis sur la prévention des affections psychiatriques" sinon en une phrase creuse?

Puisque la politique actuelle de santé mentale est poursuivie depuis au moins 8 ans, on devrait disposer des chiffres démontrant une diminution statistiquement significative du nombre de nouveaux cas de psychoses apparus pendant cette période; cela justifierait la poursuite de cette politique. Ces chiffres qui, s'ils existent, devraient constituer une grande première mondiale, où sont-ils?

(On peut soupçonner que la réponse est: on ne les a pas)


Dans cette brochure de référence pour la "politique de la psychiatrie", il est aussi question des "équipes de crise", des "équipes de postcure", de "réadaptation en habitation protégée".

On aimerait savoir: Que sont les "équipes de crise"?

Existent-elles? Si oui, où et comment fonctionnent-elles? (Quel est leur nombre? Dans quelle(s) région(s)? )

Ces questions concernent aussi bien les "équipes de postcure";

On aimerait savoir: que signifie "réadaptation en habitation protégée", quelles sont les qualifications requises du personnel affecté à ces tâches, quelle est la proportion optimum de ce personnel par rapport au nombre de "résidents" en "réadaptation"?

Des "programmes officiels" de réadaptation ont-ils été définis et mis en oeuvre selon des normes en vigueur dans d'autres pays, et qui y auraient fait leurs preuves?


La "politique de la psychiatrie" telle que décrite dans la brochure officielle déjà mentionnée soulèverait encore beaucoup d'autres questions. Les familles de malades mentaux savent que, dans le cadre actuel de la "santé mentale", déjà les quelques interrogations posées ci-dessus ne peuvent recevoir de réponses que négatives ou non satisfaisantes. Dès lors, à quoi bon poursuivre pareille litanie?

Plus récemment (le 25-06-1998), dans une lettre (référence A11/AP/NS/Psy98/39432) qu'elle adresse à Mr R. Langendries, président de la Chambre des Représentants, Mme Magda de Galan, Ministre des Affaires Sociales, écrit:

"...lors de la Conférence Interministérielle de la Santé publique du 28 janvier 1998, qui s'est penchée sur la problématique de la psychiatrie, les principes généraux d'une nouvelle réforme ont été établis.

Cette réforme est basée sur les besoins de la population et doit conduire au développement des circuits de soins. ..."

Voici donc annoncée une nouvelle réforme dont, à nouveau, "les principes généraux ont été établis" sans que les principaux intéressés, c'est à dire les malades et leurs familles n'aient été avertis ni, bien entendu, consultés.

Mme le Ministre affirme que la réforme est basée sur les besoins de la population. Est-ce à dire que la précédente "réforme historique", celle de 1990, ne l'était donc pas?

Dans ce cas, pourquoi la nouvelle réforme projetée aurait-elle cette fois-ci une meilleure base que la précédente? Cette question est d'autant plus pertinente qu'il est permis de se demander à quelles sources aujourd'hui mieux informées qu'en 1990 le cabinet du Ministre a puisé ses renseignements pour définir ces "besoins de la population"? Les associations de familles sont persuadées qu'elles en auraient au moins entendu parler...

Les familles de malades ne mettent en doute ni la bonne foi de Mme le Ministre, ni ses bonnes intentions. Elles ont cependant d'excellentes raisons d'être inquiètes: par le passé, certaines lois de " santé mentale" (sur les créations de Maisons de Soins Psychiatriques, par exemple), votées par les instances fédérales de ce pays, se sont avérées inapplicables par l'exécutif régional sans que cela semble émouvoir le moins du monde cette instance pendant près d'une décennie. Faudra-t-il, là comme dans d'autres domaines, attendre l'accident, voire la "bavure", pour que de vraies solutions interviennent enfin?


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