Chap. V-1
Note 4

 1  La médication doit être individuellement adaptée. (2/2)
Connaissance de la pharmacologie et du mode d'action

La méconnaissance, chez nombre de nos praticiens de la psychiatrie, de la pharmacologie des neuroleptiques, de leur mode d'action et de la meilleure manière de les prescrire, les porte à confondre le mode d'action de ces substances avec celui qu'ils avaient appris, au cours de leurs études, à propos d'autres médicaments employés cette fois en médecine dite "somatique".

Leur erreur résulte de ce qu'ils ignorent délibérément (ou décident d'oublier?) les différences fondamentales de structure, de fonctionnement et des manifestations de ce fonctionnement qui distinguent le cerveau de nos autres organes. Ces différences, je crains fort que, dans la plupart de nos Ecoles de Médecine, nos Facultés et nos Universités, on n'y accorde pas assez d'importance, on n'y insiste pas assez, on n'y consacre pas un temps suffisant avec les futurs psychiatres.

Si bien que, dans l'esprit d' un certain nombre de nos praticiens, le cerveau malade pourrait n'être jamais qu'un organe parmi et comme les autres, mais carencé en ceci ou en cela, ou au contraire présentant un excès de telle ou telle autre substance, et qu'il suffirait, par des apports médicamenteux, de corriger globalement ces excès ou ces carences pour que tout rentre dans l'ordre (à la manière de: "si une mécanique émet des grincements anormaux venus d'on ne sait où à l'intérieur d'elle, on pourrait croire qu' une aspersion de lubrifiant sur l'ensemble de ses rouages devrait faire l'affaire?"). Pareille représentation est bien évidemment, non pas simplement caricaturale, mais débilement simpliste et dangereusement fausse. C'est pourtant une représentation encore très répandue parmi nos professionnels.


La méconnaissance très répandue de la pharmacologie des neuroleptiques d'une part, et d'autre part "l'impasse" que beaucoup de "professionnels" de la "santé mentale" font sur la complexité structurale de notre cerveau leur font encore toujours croire - et dire! - que les neuroleptiques "augmentent" les signes négatifs de la schizophrénie, alors qu'en fait, des doses excessives administrées en progression croissante trop rapide - par impatience et/ou ignorance - entraînent des effets secondaires supplémentaires distincts des signes négatifs auxquels ils s'ajoutent sans les supprimer ni même les atténuer, mais avec lesquels ils ne doivent surtout pas être confondus. Les profanes font évidemment confiance à ces professionnels et répètent religieusement leurs explications erronées.

L'inertie apparente (la latence) des effets du traitement neuroleptique sur les manifestations des schizophrénies, de même que l'impossibilité où l'on est encore aujourd'hui de prédire, lors d'un premier traitement, si, pour un malade en particulier, on a choisi "la bonne" molécule, imposent des précautions particulièrement strictes lors de l'instauration du traitement. La médication ne devrait jamais être mise au point qu'en milieu hospitalier, (surtout pas en "ambulatoire" comme certains s'y risquent encore), en commençant par des doses faibles d'un neuroleptique dont le psychiatre traitant a déjà une expérience clinique assez longue. Les doses ne seront augmentées que lentement et graduellement, jusqu'au moment où un effet sera observé, qu'il soit favorable ou même défavorable. En cas d'effets défavorables, au lieu d'arrêter brutalement la médication pour en essayer immédiatement une autre, on diminuera progressivement la posologie jusqu'à arrêter totalement le médicament pendant quelque temps (deux semaines en moyenne, souvent même bien plus). Après ce sevrage (le "washout" ou "rinçage complet" du médicament, auquel beaucoup répugnent, parce qu'ils redoutent une recrudescence des signes aigus), on recommencera avec un autre neuroleptique, en observant les mêmes précautions que lors du premier essai.

Cette façon de procéder permet de choisir le neuroleptique le plus adéquat en limitant, autant que possible, le nombre des essais infructueux. Elle a aussi fortement réduit la fréquence des effets secondaires gênants qu'on déplorait dans les débuts de l'avènement des neuroleptiques. Le revers de la médaille de cette politique, malheureusement inévitable, est la durée relativement longue de l'hospitalisation pour diagnostic et mise au point du traitement. Mais n'est-ce pas préférable à des hospitalisations trop brèves, toujours répétées, chaotiques, consécutives à des traitements à chaque fois inadaptés et les réitérant, ne faisant ainsi que différer encore le retour à un certain mieux-être?


Souvent, l'impatience des proches inquiets de l'état de santé de leur malade les incite à faire écourter la durée de l'hospitalisation. On ne leur explique pas toujours les raisons de la longue durée de celle-ci. Ils exigent alors la sortie de l'hôpital qui, rétrospectivement, s'avère souvent prématurée. Il faut les comprendre: cette hâte, pour intempestive qu'elle peut parfois paraître, a de bonnes excuses. C'est à l'hôpital, en service psychiatrique, que les proches ont, pour la première fois, la possibilité de côtoyer simultanément un grand nombre d'autres malades atteints de troubles psychiatriques et, par le spectacle du rassemblement de misères individuelles que ceux-ci offrent aux visiteurs, ils prennent alors pleinement conscience du sort qui, peut-être, guette aussi leur propre enfant. Ils éprouvent dès lors le besoin irrépressible et très naturel de le sortir de cette vision d'enfer au plus vite.

De même, les impératifs économiques et de "rentabilité" voulus par une politique budgétaire de santé visant à limiter le plus possible les dépenses immédiates (mais ce qui accroît encore bien plus celles à long terme) se traduisent souvent par des directives forçant à écourter exagérément les séjours à l'hôpital, et à laisser sortir trop tôt des patients dont on ne sait pourtant pas si leur traitement continuera de leur convenir une fois qu'ils seront rentrés chez eux.


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