Chap. VII
Note 4

2Un traitement médicamenteux continu (1/2)
Même si le malade le refuse

Le traitement médicamenteux est indispensable et doit être continu, même si le malade le refuse. En effet, à elles seules, les soi-disant psychothérapies "par l'écoute et la parole", ce que certains appellent l'échange intersubjectif, sont un non-sens pour le traitement des schizophrénies. C'est le traitement médicamenteux qui, seul et jusqu'à présent, a fait preuve d'une certaine efficacité. Cette dernière peut sans doute être encore améliorée si les malades sont bien encadrés par des "soignants" qui leur évitent les "faux-pas" de comportements et de relations sociales, et les aident pratiquement. Certaines études ont cru montrer qu'à en juger par la fréquence diminuée des réhospitalisations, les psychothérapies amélioreraient les résultats des traitements médicamenteux. Mais je n'appellerais pas "psychothérapie" cette aide pratique: de présence, d'aide ménagère, d'accompagnement lors des tâches quotidiennes. Ici aussi, il s'agirait plutôt d'une sorte de béquilles, des béquilles très matérielles et terre-à-terre cette fois. Le meilleur encadrement qu'automatiquement elles exigent et fournissent explique à lui seul une meilleure surveillance de l'état des malades et, par conséquent, une meilleure gestion de la menace des "rechutes", ce qui se traduit ensuite et très logiquement par une fréquence moindre des hospitalisations.

Chez un malade donné, et pour autant que son efficacité ait été constatée, le traitement médicamenteux ne doit surtout pas être interrompu (sauf effets secondaires graves éventuels déjà signalés ailleurs). En effet, l'atténuation des "signes positifs" obtenue grâce au traitement n'équivaut absolument pas à une "rémission" de l'affection. En réalité, le neuroleptique impose aux circuits de neurones, altérés par la maladie, de gérer leurs activités de manière à pallier les anomalies fonctionnelles qu'entraîne l'affection.

Toutefois, ce nouveau mode artificiel de fonctionnement n'est acquis que de façon d'autant moins durable qu'il aura été mis en place plus tardivement. Le fonctionnement "naturel" (mais perturbé) réapparaîtra si le traitement n'est pas maintenu. Il faut savoir aussi qu'après chaque interruption puis reprise du traitement neuroleptique, du fait du temps qui s'est écoulé dans l'intervalle et de l'âge croissant du malade, le neuroleptique risque de perdre l'efficacité qu'il avait initialement et qui l'avait fait choisir de préférence à d'autres médicaments psychotropes.

Il faut donc insister lourdement sur ce point: si le neuroleptique efficace a été trouvé, surtout ne l'arrêtez pas sauf en cas d'obligation majeure. Surtout, n'en changez pas non plus, à moins que ce premier neuroleptique n'ait perdu de son efficacité: l'effet d'un autre neuroleptique n'est pas prévisible et vous risquez de vous engager dans une nouvelle et longue quête faite de tâtonnements. Tout ce qu'on peut éventuellement envisager de faire, c'est de modifier quelque peu la posologie du médicament (son dosage) pour l'adapter au mieux aux circonstances du moment. Mais pareille modification, même légère, ne devrait être entreprise que sous surveillance "rapprochée", c'est à dire en milieu hospitalier, pas en "ambulatoire" ni à domicile. Beaucoup de psychiatres et de familles ont une réaction de recul à la perspective des péripéties possibles et des formalités à remplir à nouveau lors d' une nouvelle hospitalisation dont, par ailleurs, ils ne perçoivent pas bien la nécessité.

Si le malade refuse le traitement médicamenteux pourtant indispensable pour lui permettre de "fonctionner" sans se "dégrader": on sera obligé de le lui imposer, en espérant qu'au fil du temps, constatant lui-même que les effets bénéfiques du médicament contrebalancent largement les inconvénients liés à la maladie, il finisse par accepter la médication. Imposer le médicament et être sûr que le patient le prend conformément aux doses et au calendrier prescrits ne peut se faire, en pratique et tant que l'acceptation du traitement n'est pas acquise, que si le patient est hospitalisé. Tous les parents de malades schizophrènes anosognosiques finissent, avec le temps et à leur "corps défendant", par savoir cela; il n'y a que les philosophes théoriciens, les psychosociologues en chambre et tous ceux qui, n'ayant jamais vécu avec les malades schizophrènes, quoique se prétendant professionnels de la santé mentale ou du droit, pour ignorer obstinément et refuser d'apprendre cette réalité vécue et concrète particulière à ces malades. Ces poètes platoniciens s'arrogent néanmoins sans aucune hésitation la compétence de défendre les malades mentaux chroniques au nom de libertés individuelles qu'ils ne pratiquent que comme principes théoriques et concepts très abstraits (comme aurait dit Montaigne, I., XXV: "Ils connaissent bien Galien, mais nullement le malade", ou encore: "...ils ont la souvenance assez pleine, mais le jugement entièrement creux..." [ibid].)

Que tous ceux qui n'acceptent pas l'hospitalisation sous contrainte des malades anosognosiques nous proposent donc, pour les soigner, une autre solution qui soit à la fois acceptable par tous et puisse être mise en oeuvre, et qu'ils nous en démontrent l'efficacité. Depuis des décennies, on attend en vain leurs explications et propositions pratiques à ce sujet.


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