I. INTRODUCTION

Une première version de cette brochure avait déjà été rédigée, en 1997, à l'intention des familles de malades psychotiques (principalement des schizophrènes) rassemblées au sein d'une association belge d'entraide. Son impression devait bénéficier du soutien d'une firme pharmaceutique, ce qui aurait facilité sa diffusion auprès d'un plus grand nombre d'intéressés, et aussi chez les psychiatres belges qui auraient pu la distribuer à l'entourage de leurs patients. L'existence de cette brochure aurait ainsi épargné aux psychiatres la tâche, fastidieuse pour eux puisque toujours à recommencer, de donner à leur patientèle les longues explications que, bien souvent, ils n'ont pas le temps de lui fournir oralement. L'auteur s'étant retiré de cette association de parents, l'impression du texte ne s'est pas faite. La présente version, revue, remaniée et fortement augmentée, s'inspire encore largement de différentes sources provenant d'associations familiales d'entraide:

Mais elle tient compte aussi d'autres sources qui seront indiquées sous forme de notes bibliographiques et commentaires. Ce texte se propose de donner aux familles de malades résidant en Belgique francophone, (mais aussi, pourquoi pas, au grand public belge francophone?), une information simple, concrète et correcte sur la schizophrénie. On ne se bat bien que contre un ennemi qu'on connaît et qu'on comprend. Une meilleure connaissance, dans le public, des caractéristiques propres à la schizophrénie devrait permettre de mieux comprendre les obstacles qui se dressent et s'opposent aux efforts entrepris pour dominer et maîtriser la maladie et ses conséquences. Parmi ces caractéristiques de la maladie, insistons particulièrement sur la difficulté de poser un diagnostic incertain, la labilité du comportement, l'incapacité du malade à affronter les exigences quotidiennes de la vie et, surtout, l'incapacité du malade à prendre conscience de son état, ce qui a pour conséquence très fréquente son refus du traitement.

A la différence de ce qui se passe pour la plupart des autres maladies, dans lesquelles la présence de signes physiques ou biologiques mesurables (examens cliniques, analyses de laboratoire, p.ex.) concourt au diagnostic, le diagnostic de la schizophrénie ne repose que sur l'observation, par le médecin, les parents, la famille, les proches, les familiers, du discours et du comportement du patient. Les débuts de la maladie peuvent s'installer et progresser de manière à ce point insidieuse qu'il faille longtemps avant que les changements subis par le malade ne soient remarqués par son entourage. Puis, en apparence soudainement, il s'effondre, ou au contraire il semble exploser et montre des signes alarmants.
Souvent, le malade lui-même n'est pas conscient des changements survenus en lui, il ne se considère pas malade et n'éprouve pas le besoin de se faire soigner. D'ailleurs, - même si cette comparaison "psychologique" est sans réelle valeur explicative - qui d'entre nous admettrait de s'imaginer comme mentalement malade? Si, après bien des efforts de son entourage, le malade finit par accepter de rencontrer un psychiatre, il pourra se faire, par hasard, qu'il parvienne à se maîtriser suffisamment pour que le médecin qui ne prêterait pas attention à la famille et ne croirait que ce qu'il voit lui-même, soit incapable de diagnostiquer la maladie et n'envisage pas l'opportunité d'un traitement. La labilité extrême des symptômes et du comportement, tant d'un patient à l'autre que chez le même malade au cours du temps, repousse souvent d'année en année le diagnostic et la mise en oeuvre des soins.

Les particularités de cette affection provoquent presque inexorablement des tensions et des malentendus entre patient, membres de sa famille, médecins, soignants et personnes côtoyées par le malade. Tantôt ce dernier entre en conflit avec ses proches, tantôt avec les soignants. Parfois ceux-ci se liguent avec le malade contre la famille, puis cette alliance se renverse, et puis on recommence... jusqu'au moment où on réalise enfin que, dans l'intérêt du patient, tout le monde doit coopérer pour l'aider.

La méconnaissance générale (et l'incompréhension) des difficultés inhérentes aux particularités propres à la maladie a amené certains journalistes, médias et défenseurs des droits de l'homme (et parfois même des psychiatres!) à considérer le malade, le plus souvent sans doute en toute bonne foi, comme la victime des médecins, des médicaments, des familles ou de la société, et ils accusent les familles, les employeurs, les médecins et les hôpitaux psychiatriques de tous les maux subis par les malades. Ces préjugés et ces accusations ne disparaîtront que si toutes les personnes concernées par la maladie prennent conscience qu'elles doivent être solidaires et que seule une collaboration sans préjugés moralisateurs et sans accusations réprobatrices pourra aider le malade. Le jour où la schizophrénie sera reconnue sans réserves comme la conséquence d'un trouble fonctionnel de cet organe bien biologique qu'est le cerveau, tous sauront que ce dysfonctionnement doit être soigné médicalement aussi (et pas seulement par des discours), quand on admettra qu'il n'existe aucune affection ni "somatique" ni "mentale" tabou dont on doive "avoir honte", on admettra, enfin! que le patient doit être entouré avec humanité, et de nombreuses difficultés actuelles finiront par disparaître en même temps que la discrimination des malades, de leurs proches et des institutions psychiatriques.


La rédaction du présent document en français - excluant, autant que possible, le jargon technique - a été entreprise pour tenter d'apporter un peu d'information de "vulgarisation" correcte, jusqu'à présent assez maigre dans notre langue. L'auteur a voulu donner à cette information une forme tout à la fois simple et pratique, aisée d'accès, si possible dans un langage accessible à un public normalement peu familiarisé avec celui que les professionnels de la psychologie et de la psychiatrie habituellement semblent affectionner dans nos pays francophones.

Le sujet traité touche chez nous, potentiellement (d'après l'O.M.S. ...) et directement quelque 40.000 personnes, mais indirectement bien plus encore, si l'on songe aux familles et aux proches des malades.

Trois avertissements s'imposent:

  1. tout d'abord, ce texte ne s'adresse pas directement, en principe, aux malades eux-mêmes, quoi que certains psychologues bien intentionnés aient parfois pu s'imaginer. En effet, il ne peut être question d'exposer un sujet aussi délicat dans les mêmes termes aux parents bien portants et aux malades. Si on estime néanmoins devoir (pouvoir) laisser cette brochure entre les mains de certains malades, ce ne peut être qu'en s'assurant qu'ils en tireront une interprétation correcte: on ne pourra parvenir à cette dernière que par la "lecture dirigée", le commentaire explicatif et prudent, la discussion patiente, sereine entre malade et thérapeute.

  2. Ensuite, rappelons fermement que généraliser ce qu'on sait - et ce qu'on ne sait pas - des manifestations de "la" schizophrénie n'est jamais qu'un leurre. En effet, on devrait plutôt dire que chaque cas individuel est unique et constitue un tableau en soi. Par conséquent, n'étant elles aussi que des résumés simplifiés, les descriptions qu'on trouvera dans cette brochure ne correspondront presque jamais trait pour trait à tel ou tel cas de l'un ou l'autre malade, peut-être proche du lecteur. Il faut s'en souvenir.

  3. Enfin, soulignons le fait que ces pages sont de la plume, certes d'un médecin, enseignant et chercheur universitaire, mais aussi et d'abord parent de malade, n'ayant avec la psychiatrie belge et ses institutions, ses traditions et ses pratiques, que des rapports "d'usager contraint et forcé" même s'ils peuvent paraître privilégiés et "éclairés", comparés à ceux des autres parents n'ayant aucune formation médicale. Cette position expliquera sans doute que quelques lecteurs puissent prendre certains passages pour une critique parfois trop acerbe, sur un ton inhabituel dans les textes visant des buts équivalents, mais rédigés cette fois par les "professionnels" de la psychiatrie. Ma distance à la psychiatrie et ma situation de "client" me permettent de m'abstenir de complaisance à son égard. Elles me dispensent de ménager le confort intellectuel satisfait mais illusoire de nombre de ses praticiens. Si cette satisfaction peut parfois paraître excusable chez certains, les faits en général ne me semblent pourtant jamais ni aucunement la justifier.

Prof. Dr. Jean Desclin
Mars 1997 - août 2000


SUITE: Chapitre II - Qu'est-ce que la schizophrénie?

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