VIII. La RECHERCHE sur la schizophrénie

La recherche pharmaceutique et pharmacologique

La recherche pharmaceutique (et pharmacologique) est souvent décriée par des ignorants qui imaginent (par une sorte de paranoïa qui leur est propre) que les grandes firmes pharmaceutiques ont intérêt à "forcer" (ou à "corrompre") le corps médical à prescrire, à tort et à travers pourrait-on dire, des médicaments psychotropes dont l'utilité réelle serait délibérément exagérée. Certains vont même jusqu'à prétendre que ces médicaments induiraient des dépendances chez ceux qui s'en serviraient, ce qui expliquerait l'accroissement (prétendument souhaité!) de leur demande et leur consommation accrue, si ce n'est même la recrudescence des maladies mentales qu'ils sont censés soigner!

Ce sont là des raisonnements infantiles de personnes naïves et crédules qui ont lu trop de mauvais romans policiers et qui assimilent les firmes pharmaceutiques à des organisations maffieuses de narcotraficants. Les grandes firmes pharmaceutiques sont aussi de légitimes entreprises commerciales qui, comme toutes les entreprises commerciales, vivent principalement de leurs bénéfices. Pour cela, elles cherchent d'abord à répondre à des besoins existants qu'il est de leur intérêt évident de satisfaire du mieux possible, et non pas de les créer au préalable ex nihilo (car ce serait un investissement à long terme absurde, économiquement impossible: bien trop gigantesque et en même temps beaucoup trop incertain et risqué) pour ensuite en profiter tout en continuant d'encourager et d'accroître les besoins ainsi créés (comme le feraient des revendeurs de drogue, p.ex.).

La recherche pharmaceutique s'efforce de mettre au point des molécules aussi efficaces que possible pour atténuer les signes et symptômes (c.-à-d. ceux dont les patients se plaignent et qui les handicapent), et ayant le moins d'effets secondaires (non désirés) possible. Ceci ne peut se faire qu'en liaison étroite avec la recherche fondamentale s'attachant à démonter les mécanismes conduisant à l'apparition des signes et symptômes des affections schizophréniques: en effet, pour parvenir à prévenir la manifestation des signes et "symptômes", ou pour seulement les atténuer, il faut d'abord comprendre comment ils se produisent (et ceux qui, peut-être, ne s'en doutaient pas, voient ainsi que la recherche pharmaceutique rejoint celle des causes: quand tous les mécanismes des "symptômes" seront compris, les chaînes de mécanismes reliant ceux-ci entre eux deviendront à leur tour compréhensibles et les "causes premières" apparaîtront nécessairement).

Actuellement, cette recherche procède encore quelque peu à tâtons, car les molécules qu'elle met au point ne sont encore spécifiques que des médiateurs synaptiques, qui se retrouvent dans de nombreuses "familles" de neurones et pas seulement sur des neurones spécifiques de tel ou tel circuit. L'amélioration de la spécificité de ces médicaments ne sera obtenue que quand les neurones "clefs" des mécanismes à corriger auront été identifiés ainsi que leurs particularités "biochimiques" et métaboliques, ce qui permettra alors de les cibler.

La recherche neuropsychologique

La recherche porte également sur de nouvelles méthodes neuropsychologiques permettant de diagnostiquer plus rapidement et avec plus de fiabilité les malades atteints de diverses formes de schizophrénie. J'ai rappelé précédemment les difficultés que les psychiatres rencontrent quand ils se trouvent confrontés à l'éventualité de diagnostic de schizophrénie, et combien de temps s'avère souvent nécessaire à l'observation des malades avant qu'on n'admette ce diagnostic - qui, en plus, fait souvent l'objet de discussions entre psychiatres différents, entraînant par conséquent des retards importants des traitements.

Les tests neuropsychologiques existants portent sur la "théorie de l'esprit". Ils permettent d'évaluer si un malade parvient à reconnaître les états d'humeur et à prévoir les intentions et les actes des personnes qu'il rencontre ou qu'il observe, et dans quelle mesure il est capable d'y adapter son propre comportement. Des tests existent aussi qui permettent d'évaluer le degré d'anosognosie dont les malades sont atteints.

Enfin, des tests neuropsychologiques récents mettant à profit les progrès de l'imagerie numérique (informatique) permettent, sous forme de "jeux" de "réalité virtuelle" à l'ordinateur, de poser rapidement et de manière fiable (à 85%) le diagnostic de schizophrénie (et peut-être d'en cerner les déficits cognitifs plus aisément qu'on ne le fait actuellement chez nous; A. Sorkin & al., Am. J. Psychiatry 163: 512-520, 2006).

Un peu partout dans le monde, dans les différentes universités, on s'efforce de mettre au point ces batteries de tests pour rendre le diagnostic plus aisé, donc plus rapide, plus fiable et mieux reproductible entre psychiatres différents. Une des conséquences de ce progrès devrait être un meilleur choix (une meilleure "personnalisation") des méthodes pédagogiques de remédiation des troubles cognitifs et affectifs qu'on pourrait tenter chez chaque malade.

Malheureusement, si j'en juge par la littérature scientifique publiée sur ce sujet, les psychologues et psychiatres de notre pays, qu'ils soient universitaires ou non, cliniciens ou non, semblent assez peu se soucier de ces méthodes (je ne les ai personnellement jamais vues utilisées chez nous). Ce désintérêt laisserait penser qu'ils en restent encore toujours aux seuls interviews par le psy ("l'échange intersubjectif" par la parole) et, parfois peut-être, aux soi-disant tests "projectifs de personnalité", ces vieux jeux de société pour cartomanciennes, dont tous savent aujourd'hui qu'ils ne projettent jamais rien d'autre que les a priori et les superstitions des examinateurs eux-mêmes. En pareilles circonstances et par les temps qui courent, certains diraient sans doute que, compte tenu des honoraires perçus par les psychiatres du secteur public, on ne peut en effet s'étonner de ne devoir attendre d'eux que des "évaluations de voyante extralucide", un peu à la manière d'autres qui parlaient d' "expertises de femme de ménage".

La recherche "psychosociale"

Le quatrième point mentionné plus haut correspond à ce que parfois on a appelé le volet "psychosocial" (prétendument de la recherche). Comme il suppose une étroite collaboration (la fameuse "prise en charge multidisciplinaire") entre disciplines les plus diverses dépendant de multiples administrations (éducation, enseignements, santé publique, etc., etc.), c'est cette recherche "psychosociale" qui, dans les dernières années, a souvent bénéficié du plus grand nombre de discours de nature surtout publicitaire et électorale de la part de nos politiques de tous bords.

C'est aussi ce à quoi on s'est efforcé de faire croire qu'on accordait chez nous un maximum de ressources: financières, humaines, etc., etc.

Toutefois, les ressources effectivement "dégagées" pour améliorer le sort des malades mentaux n'ont jamais été à la hauteur, ni des besoins réels des malades, ni de l'ampleur souhaitable et nécessaire des projets "psychosociaux" annoncés. Jamais non plus, elle n'ont été réellement "ciblées" sur les malades mentaux eux-mêmes, mais bien plutôt sur une administration censée les gérer.
Elles ont habituellement été limitées à la création d'organismes virtuels et administratifs principalement chargés de "penser" "l'organisation de la santé mentale" et à pondre, périodiquement et très régulièrement sur ce sujet des rapports de [faible] niveau scolaire tout juste bons à n'être lisibles ni lus par personne, à s'empoussiérer dans des archives et à justifier l'existence et les appointements de leurs rédacteurs.

On pourrait dire que, comme cette pensée "politique" n'est, chez nous, pas réellement alimentée par des apports nouveaux (par ce que les neurosciences et la psychologie scientifique nous ont apporté depuis au moins deux décennies), elle a plutôt tendance à s'enliser en s'appuyant sur des idées reçues, des croyances, des fables et des superstitions, datant de plus d'un siècle et habillées d'un jargon tardivement modernisé mais déjà dépassé (autrement dit: se fiant à de faux "experts" obsolètes pour les conseiller, nos "responsables" se reposent et s'endorment sur des lauriers dont ils n'ont pas perçu qu'ils sont depuis longtemps fanés et tombent en poussière).

On sait pourtant désormais fort bien à quoi pourraient se résumer, très simplement et sans qu'il soit nécessaire d'y consacrer des pages et des pages de rapports indigestes, les recommandations découlant de près d'un siècle d'observations des malades par des professionnels: un psychiatre des hôpitaux de la région parisienne déclarait - en octobre 2005 - à un grand quotidien français: "Soigner un schizophrène signifie vivre avec lui, comme c'est le cas dans certaines sociétés pourtant moins développées que les nôtres."

Seulement voilà, il ne suffit pas de le dire, encore faut-il se donner les moyens de le faire... Et cela, c'est une toute autre histoire!


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