Schizophrénie et cognition
John Libbey Eurotext, Paris 2004. ISBN:
2-7420-0495-5
par Charles-Siegfried Peretti (psychiatre), Patrick
Martin (neuropharmacologue), et Florian Ferreri
(psychiatre), travaillant dans les Services de psychiatrie de l'Hôpital
Saint-Antoine à Paris.
Récemment paru dans la même collection que "Génétique de la schizophrénie" (Florence Thibaut et al.), le présent opuscule de 131 pages est, paraît-il , destiné aux cliniciens (c'est-à-dire des professionnels), et a pour objectif de "fournir des informations sur 'l'état actuel de la schizophrénie' "(sic). Il paraît aussi, selon le texte figurant au dos du livre, que "cet ouvrage [...] propose de nouvelles pistes qui permettront l'application de procédures expérimentales novatrices en psychopharmacologie qui pourraient être étendues à d'autres pathologies psychotiques."
Ce livre a le grand mérite d'accorder, enfin! aux déficits des fonctions cognitives dont sont atteints, avec des sévérités diverses, les malades diagnostiqués schizophrènes, l'attention que ces déficits méritent: en les énumérant, en montrant l'importance que chacun d'eux peut prendre dans la genèse des tableaux cliniques présentés par les malades. Voilà pourquoi il figure ici.
Mais seulement bien peu de nos psychiatres et psychothérapeutes, belges
et plus généralement francophones, ont jusqu'à présent
accepté de consacrer des efforts suffisants à l'identification
fiable, à l'évaluation rigoureuse
et à la remédiation contrôlée
de ces déficits. Ces tâches devant en effet s'adapter à
chaque malade personnellement, on imagine aisément qu'elles requièrent
beaucoup de temps et des équipes d'un personnel spécialisé
bien formé, bien rodé et nombreux dont je soupçonne que,
dans notre pays du moins, - mais en France sans doute également - les
représentants n'existent pas à un grand nombre d'exemplaires.
Je ne crois pas non plus que les moyens de recrutement et d'enseignement pour
pareille formation existent dans notre pays, ni même qu'il ait été
envisagé de les trouver.
On nous dit aussi que "Les effets de la réhabilitation cognitive
dans les schizophrénies sont utiles et significatifs." Mais
on omet de nous dire que le suivi des malades n'étant pratiquement jamais
assuré, personne n'est en mesure de garantir, en toute connaissance de
cause, la persistance à long terme de ces effets!
Ces basses contingences pratiques dont dépend à l'évidence
et dans une large mesure le succès des "procédures
novatrices" dont parlent les auteurs (mais qu'ils laissent prudemment
indéfinies) ne sont aucunement évoquées par les trois
auteurs.
De plus, quoique je pense que l'accent mis sur les fonctions cognitives (et surtout de la mémoire) constitue un progrès dont on ne peut que se réjouir, le neuromorphologiste, anatomiste et cytologiste que j'ai été ne peut se défendre d'un certain malaise et de scepticisme quant à une approche psychologique et arbitrairement (théoriquement) conceptualisée des fonctions cognitives des schizophrènes. Pareille vision, tout en reconnaissant la multiplicité des tableaux cliniques, veut néanmoins leur trouver un socle commun, comme pour sauvegarder malgré tout la légitimité de l'appellation unique de "schizophrénie" à laquelle on ne s'accroche qu'en vertu d'une pétition de principe et par respect pour l'autorité des vieilles gloires fondatrices de la psychiatrie.
Le fossé qui sépare encore cette conceptualisation de sa validation par les données neuroanatomiques, neurocytologiques et neurophysiologiques disponibles (sur lesquelles les auteurs restent pour ainsi dire muets, c'est ce qu'ils appellent la "lathoménologie"!) est encore bien trop profond pour espérer tirer de leurs théories des thérapeutiques confirmées à adopter dans l'immédiat.
Espérons néanmoins que les professionnels à qui ce livre est destiné pourront disposer des moyens matériels et humains, et auront la motivation ainsi que les connaissances requises pour parvenir à mettre en oeuvre les recommandations (?) et techniques (?) préconisées par les trois auteurs.