"Les conseilleurs ne sont pas les payeurs"
(vieux proverbe, c.à.d. l'expression de la sagesse populaire)
Comment vivre avec une personne atteinte de schizophrénie (ou, peut-être, bipolaire), comment se comporter avec elle, comment l'amener à accepter de suivre le traitement médicamenteux qui lui a été prescrit mais qu'elle "refuse"?
A diverses reprises et en ordre dispersé dans d'autres articles ou encore dans le "dossier" sur la schizophrénie (au format .HTM ou .PDF), on s'est efforcé de répondre à ces deux questions qui, sans conteste, sont probablement les deux questions les plus difficiles de toutes, celles auxquelles les réponses données ne sont que rarement pleinement satisfaisantes, presque toujours trop vagues, nécessairement trop générales, toujours incomplètes. C'est pourquoi, au risque de lasser par excès de répétition, il a paru nécessaire d'y revenir, encore...
Répétons ici, une fois de plus, que les affections mentales dites "psychotiques" et "chroniques" sont des atteintes du cerveau. Les localisations "pathologiques" et leurs étendues au sein de cet organe sont, selon toute vraisemblance, extrêmement diverses d'un individu à l'autre, de telle sorte que le nombre et la sévérité des troubles qui en résultent sont, eux aussi, très variables d'un malade à l'autre.
Cette diversité dans la manifestation des troubles et dans leur sévérité
apparente rend presque impossible la recommandation de règles d'emblée
applicables sans plus à tous les cas. C'est pourtant ce à quoi
sont contraints tous ceux qui s'efforcent de rédiger des livres ou des
manuels consacrés aux traitements des malades psychotiques.
Ne pouvant pas personnellement connaître chaque malade, chaque cas possible
tout en tenant compte de la personnalité du malade, de son entourage,
mais aussi de sa condition sociale particulière, de son mode de vie,
ils ne peuvent pas non plus recommander une procédure générale
et les attitudes qui, à chaque fois, seraient les mieux adaptées
pour tous: une encyclopédie en plusieurs lourds volumes n'y suffirait
pas.
Ils sont donc obligés de s'en tenir à des règles et recommandations
fort générales qui, bien souvent, laissent les lecteurs profanes
(les membres des familles de malades) perplexes ou sur leur faim, parce qu'elles
ne cernent pas vraiment d'assez près les particularités propres
au cas qui les touche personnellement.
De leur côté, on ne peut attendre des lecteurs profanes de ces "modes d'emploi" (membres de la famille du malade) qu'ils aient, dès le départ, l'expérience requise qui leur permettrait de décider quand et comment moduler et adapter ces règles pour leur propre usage, voire comment, si nécessaire, y introduire des dérogations ou des exceptions justifiées par les circonstances particulières.
En principe, ce sont les soignants professionnels qui devraient posséder cette expérience. Mais, comparés aux membres des familles, ils ont deux autres handicaps fort lourds: 1) ils ne connaissent pas le malade comme seuls peuvent le connaître ses parents et sa fratrie; 2) ils doivent en général s'occuper simultanément de plusieurs malades et rencontrent alors, obligatoirement, des difficultés à dispenser à chacun d'eux des soins personnalisés et sur mesure: bien malgré eux, ils auront tendance, eux aussi, à généraliser (regrouper) leurs procédures et à faire du "prêt-à-porter" pour groupes de malades plutôt que le "sur mesure" individuel pourtant indispensable.
Certaines évidences fondamentales ayant trait à "la"
schizophrénie sont systématiquement oubliées de la plupart
des gens, y compris des soignants à qui est confiée la "prise
en charge" de ces malades (notamment chez nous, en Belgique). Rappelons
ici ce qu'en dit, on ne peut plus clairement, le Dr Béatrice Laffy-Beaufils
(v. www.Espace éthique,
février 2002) que nous avions déjà citée:
"Contrairement à la plupart des pathologies,
la maladie schizophrénique est susceptible
de compromettre l'aptitude à comprendre, à intégrer, à
mémoriser l'information transmise.
Celle-ci n'a en effet de pertinence que si elle
s'adresse à un patient capable d'intégrer en profondeur de quoi
il retourne. On peut citer les troubles cognitifs (mémoire verbale, attention,
fonctions exécutives), les idées délirantes. Le moment
et la nature de l'information doivent tenir compte de ces paramètres.
La non-conscience des troubles, qu'on l'appelle
"absence d'insight**",
déni ou anosognosie est caractéristique de la pathologie, au
moins par sa fréquence. Elle
représente même, pour certains, un élément essentiel,
quasi pathognomonique du diagnostic de schizophrénie, élément
considéré alors comme quasi irréductible."
(**) que je serais tenté d'appeler "incapacité
d'introspection critique" (J.D.).
Les deux grandes difficultés fondamentales dont la plupart des autres découlent, et qui conditionnent toutes les attitudes qu'on devra adopter avec chaque malade, sont donc:
1) l'inaptitude des malades à comprendre et à retenir l'information (qu'ils reçoivent des autres ou qu'ils devraient tirer de leur propre expérience personnelle) de la même façon que les personnes bien portantes;
2) l'anosognosie, c'est-à-dire l'incapacité (faisant partie de la maladie) à prendre conscience de sa maladie.
Ces deux particularités font qu'on ne peut communiquer avec ces malades comme on le ferait habituellement avec n'importe quelle personne bien portante, ou avec un malade atteint d'une maladie non mentale. C'est ainsi qu'on sera, en permanence,
1) obligé de s'assurer, systématiquement et à chaque instant, de la certitude d'une bonne compréhension mutuelle entre personne malade et l'entourage, ce qui nécessite des techniques particulières de "conversation";
2) obligé de baser la justification du traitement sur d'autres arguments que l'existence de la maladie elle-même (moins évidemment en relation avec elle, donc plus facilement acceptables par le malade), puisque cette maladie est - tout à fait involontairement - ignorée de la personne malade, n'existe pas pour elle. Ceci requiert également une approche particulière des relations avec le malade.
Trop fréquemment, les "précautions" à prendre pour assurer une bonne compréhension entre malade et entourage sont négligées chez nous parce que, les handicaps cognitifs de la personne malade n'étant pas visibles de façon immédiatement manifeste, tous (soignants professionnels y compris!), nous avons trop facilement tendance à les oublier. Connaître ces handicaps, et en tenir compte pour arriver à les contourner, est essentiel pour parvenir à rétablir des échanges effectifs entre malade et entourage, mais cela demande beaucoup de patience et de persévérance. Il y faut aussi un certain doigté et "de la technique".
Ce doigté et cette technique, on ne semble pas encore, chez nous, vouloir prendre le temps de s'y intéresser vraiment. Ils sont remarquablement détaillés par le Dr Xavier Amador (psychologue U.S., thérapeute, enseignant, mais surtout frère de malade!) dans son livre intitulé "I am not sick - I don't need help!" ("Je ne suis pas malade - Je n'ai pas besoin d'aide") (VidaPress, New York 2000, ISBN: 0-9677189-0-2). On s'y réfèrera souvent (la traduction française de cet ouvrage est disponible depuis 2008.)
Le but poursuivi est de garantir que le traitement médicamenteux qui s'avère favorable soit suivi scrupuleusement, régulièrement et sans interruptions.
En effet, cette observance du traitement médicamenteux est indispensable
pour éviter les "récidives" (ou au moins en limiter
la fréquence, la durée, et la sévérité),
c'est-à-dire l'exacerbation des manifestations de l'affection. Pendant
ces "rechutes" tout particulièrement, et en l'absence de traitement,
la communication avec le malade (la compréhension mutuelle entre malade
et entourage soignant) devient difficile, aléatoire, voire illusoire
et impossible. Pendant pareilles "rechutes", tout l'acquis antérieur,
obtenu grâce au traitement et aux efforts de l'encadrement de soutien,
est à nouveau compromis ou même perdu.
Alors, tout est à recommencer. Souvent, cela signifie devoir de nouveau
imposer la médication sous la contrainte. A la suite de l'interruption
de la médication, le traitement initial peut aussi avoir perdu de son
efficacité, ce qui éventuellement obligera à tenter de
changer la médication (le type de neuroleptique et sa posologie) avec
les tâtonnements longs et pénibles que pareils changements impliquent
presque toujours.
Fort souvent donc, la maladie rend le malade inapte à consentir aux
soins.
Pourtant, on peut parfois lire, sous la plume de "défenseurs des
droits et libertés des malades mentaux" (http://perso.club-internet.fr/obspsy/mdf.htm)
l'affirmation suivante: "Un traitement ou une thérapie
ne peut être efficace que s'il est librement consenti. C'est particulièrement
vrai dans le domaine de la santé mentale où tout ce qui est imposé
ou empêché est voué à l'échec et ne fait que
renforcer le trouble initial."
Nous avons là un exemple éclatant de méconnaissance des
particularités des psychoses. Si l'on devait prendre au sérieux
ces bons samaritains, certainement bourrés de bonnes intentions et de
principes généreux, mais assez éloignés de la réalité
du monde dont ils parlent, aucune hospitalisation sous contrainte ne serait
jamais tolérable et, par conséquent, aucun traitement de malade
psychotique anosognosique ne pourrait jamais être initié ni poursuivi:
il faudrait toujours laisser à ces malades la "liberté"
de courir inévitablement au désastre qu'ils n'aperçoivent
pas.
Ces "justes" laisseraient-ils un "mal voyant" tomber dans
un précipice ou s'aventurer au milieu du trafic autoroutier, sous prétexte
de respecter sa "liberté" de mouvements?
Par contre, nous ne pourrions que tomber d'accord avec ceux qui nous diraient
qu'un traitement imposé sous la contrainte risque
fort de n'être pas respecté pendant très longtemps; par
conséquent, son efficacité pratique, elle aussi, risque de n'être
que de courte durée. Mais il y a, entre la constatation
ainsi formulée et les deux phrases citées plus haut, plus qu'une
nuance!
Comment rompre le cercle vicieux de la maladie s'opposant à la dispensation des soins destinés à la combattre?
Reprenons à nouveau ce que dit le Dr Laffy-Beaufils: "Si le patient est considéré comme inapte, il est possible de déclencher une procédure d'hospitalisation sous contrainte [ceci vaut en Belgique comme en France - J.D.]. Ce manquement au respect des libertés individuelles étant justifié, bien sûr, par la nécessité d'assistance à une personne en danger et inconsciente de ses troubles."
Ceux qui s'érigent en bruyants défenseurs inconditionnels des droits et libertés individuelles des malades mentaux et brandissent ces droits pour s'opposer à l'hospitalisation forcée tiennent habituellement un discours qui trahit tout à la fois leur ignorance des réalités, leur adoration sans discernement de principes abstraits qui, en fait, ne sont pour eux que le son des mots qu'ils font passer avant le respect de la logique la plus élémentaire, mais aussi avant le respect des faits concrets de la vie et, surtout, quoi qu'ils disent, avant le respect de la personne humaine.
Ils devraient sans doute commencer par méditer, d'un point de vue tout personnel, la tragique mise en garde de Anna-Lisa Johanson, co-auteur du livre du Dr Amador cité plus haut: sous prétexte de respecter la liberté d'un être cher, rester passif et ne pas le contraindre à suivre un traitement quand il en est encore temps c'est, pour le restant de ses jours, se condamner à se reprocher sans cesse, pour n'avoir pas tenté de la prévenir, la survenue de l'irréparable: à jamais trop tard!
Du point de vue de la logique comme des sentiments, je voudrais exprimer à
nouveau ma conviction personnelle profonde: la liberté individuelle,
c'est la capacité de chacun de faire des choix délibérés,
c'est l'aptitude à choisir entre différentes options après
en avoir pesé le pour et le contre, non seulement rationnellement, logiquement,
mais aussi en fonction de ses goûts, désirs, répugnances,
aversions, etc.
Et il devrait être évident aux yeux de tous que c'est précisément
une des caractéristiques des psychoses
que de priver leurs victimes de cette capacité de faire des choix mûrement
réfléchis. Tant que l'incapacité persiste, où donc
est passée cette liberté qu'on affecte de respecter plus que tout,
et quel est le sens d'un respect qu'on prétend témoigner à
une chose qui n'est plus qu'une fiction?
Pour moi, respecter réellement la liberté individuelle d'un malade psychotique consiste à s'efforcer, par le traitement, de lui rendre cette liberté en rétablissant au plus vite et au mieux possible les capacités mentales lui permettant de faire des choix éclairés.
Par contre, prétendre respecter la liberté de quelqu'un qui, à la suite de la détérioration de ses facultés, n'a plus l'exercice de cette liberté, c'est berner le monde et s'en moquer. Pire encore, s'abstenir de tenter de restaurer ces facultés et capacités sous couleur de respect d'une liberté détruite, c'est en réalité mépriser la personne humaine au nom d'un faux respect d'une liberté disparue et, en ne soignant pas, c'est par là même refuser de jamais la lui restituer.
Dans une proportion élevée de cas (certains l'estiment à
60% !), il faudra donc commencer par imposer aux malades le traitement antipsychotique
malgré leur apparente opposition (leur incapacité à l'accepter).
Dans de très nombreux cas encore, on ne pourra s'assurer de l'observance
du traitement que s'il est administré en milieu hospitalier. Ceci signifie
hospitalisation, ce que les défenseurs des libertés (mais non
des malades) interprètent, bien sûr, comme une privation de
liberté, un internement carcéral.
C'est sans doute ainsi que, inévitablement, le ressentent la plupart
des malades qu'on doit traiter de cette manière. Mais cette interprétation
morbide des faits ne doit pas être récupérée par
les bien-portants profanes, sous prétexte de paraître, aux yeux
des malades, prendre leur parti et pour, à bon marché, leur témoigner
une sollicitude de tartuffe: à la fois platonique, hypocrite, mal informée,
stérile et dangereuse.
En même temps que le traitement médicamenteux est mis en oeuvre,
il faut tenter de convaincre le patient de l'observer volontairement pour en
assurer le suivi autonome. Ceci s'obtiendra, non pas par des exhortations continuelles
au malade pour qu'il prenne son médicament, ni par des rappels répétés
de l'existence de sa "maladie".
Selon le Dr Amador, on peut amener le malade, en l'aidant et à force
de patience, à répondre lui-même à des questions
telles que:
que se passe-t-il quand on ne prend pas le médicament?
> En bien? (on est moins somnolent, p.ex.);
> en mal? (les hallucinations auditives - les "voix" - reprennent de plus belle, on se retrouve à l'hôpital, etc.,).
Que se passe-t-il quand on prend le médicament?
> En bien? (les "voix" s'atténuent, on se concentre mieux sur ce qu'on fait, on peut sortir de l'hôpital, etc.);
> en mal? (On peut être plus somnolent; il faut y songer tout le temps pour ne pas l'oublier, etc.)
et le malade parviendrait, à la longue, à tirer lui-même
le bilan des avantages et des inconvénients (le pour et le
contre) qu'il constate de l'observance et de la non observance de la médication,
il en arriverait progressivement à accepter cette dernière, surtout
s'il existe entre son interlocuteur ("soignant") et lui une grande
affection et une solide confiance établie de longue date.
Citons à nouveau le Dr Laffy-Beaufils, "Plus le
déni est grand, plus il faut persévérer, expliciter, répéter
inlassablement les mêmes arguments, insister sur les changements bénéfiques
induits par le traitement, sans agressivité, avec humour même si
possible. La prise de conscience se fait en général progressivement,
plus ou moins vite selon les patients, parfois très lentement sur des
années. Il arrive qu'elle ne se fasse jamais complètement; l'important
est d'avoir maintenu la relation thérapeutique..."
L'anosognosie (ou "déni") peut être mise en rapport
avec une atteinte du cortex cérébral (au niveau de la face médiale
et de la région sus-orbitaire des lobes frontaux). Il y a des raisons
de penser que l'importance de cette atteinte peut varier d'un malade à
l'autre, entraînant par conséquent un "déni" plus
ou moins "profond", c'est-à-dire plus ou moins rebelle aux
efforts pour le circonvenir (le corriger lui-même m'apparaît
encore impossible aujourd'hui, mais on pourrait quand même tenter d'en
atténuer certaines des conséquences).
Explorer systématiquement l'atteinte des lobes frontaux chez chaque malade,
par exemple au moyen de l'imagerie cérébrale (IRM), devrait permettre
de mieux évaluer les chances de succès de cette lutte contre les
conséquences du déni. Malheureusement, pareille évaluation
(comme aussi celle de l'aptitude à consentir aux soins) ne semble
pas encore faire partie des préoccupations de nos psychiatres belges.
Rappelons, une fois de plus, que les traitements médicamenteux adéquats, complétés par un soutien psychologique efficace, requièrent des soignants une surveillance attentive et constante et, en permanence, à longueur d'année, une totale disponibilité ainsi qu'une réserve inépuisable de patience, de diplomatie, des capacités particulières d'empathie, de bonne humeur, de sérénité. Tout cela ne peut, humainement, être à la portée d'une famille "moyenne" dont les membres bien portants doivent, ne fût-ce que pour assurer la simple subsistance quotidienne de tous, maintenir leurs activités professionnelles, scolaires, etc., etc., pour continuer à vivre! tout simplement, malgré les situations absurdes, inquiétantes, angoissantes, incompréhensibles, tragiques auxquelles ils sont confrontés "plus souvent qu'à leur tour".
On pourrait dire que beaucoup de malades mentaux psychotiques chroniques, souffrant d'anosognosie, devraient être, chacun, accompagnés en permanence d'une personne assumant à elle seule les fonctions de valet de chambre, de garde du corps, de précepteur, de majordome, d'infirmier (parmi les diverses fonctions nécessaires, j'en oublie très probablement).
Quels sont donc les heureux privilégiés dotés simultanément de tous les moyens matériels, du temps disponible et de toutes ces compétences et qualités humaines requises pour aider efficacement leur(s) malade(s)? Ne jetons donc pas la pierre à tous ceux qui ne parviennent pas à mettre en pratique les bienveillantes recommandations et les conseils des "experts professionnels". Ils ne font que ce qu'ils peuvent. Bien plus souvent qu'il n'est admissible et malgré les beaux discours officiels de nos responsables (?), ils ont le sentiment justifié d'être ignorés, de n'être pas vraiment aidés.
COMPLÉMENT (9 ans plus tard!) PRÉCISANT CE QUI PRÉCÈDE
Depuis 2002, les recommandations de Xavier Amador ont généralement recueilli un large et franc succès auprès de nombreux professionnels et ont été reprises par diverses organisations et associations aux U.S.A. (voyez par exemple easacommunity.org où l'on peut les trouver sous forme condensée et succincte (en anglais) dans un fichier .PDF: leap.pdf (Bien qu'il soit en anglais, je me permets de recommander vivement la lecture de ce dernier fichier à tous les proches de malades visitant le présent site.)
Toutefois, au risque (comme souvent déjà!) d'être accusé par certains de pessimisme tout à la fois
systématique et exagéré paraît-il, je crois devoir
mettre mes lecteurs en garde contre un ralliement quelque peu instinctif et
inconditionnel aux recommandations de Xavier Amador (une réaction
qui ferait qu'on recevrait ces indications à la manière d'une
"révélation" à laquelle on pourrait en quelque
sorte se convertir comme on "entre en religion" et qui
promettrait de résoudre enfin tous les problèmes). Je voudrais
aussi mettre le grand public en garde contre une adhésion peut-être
hâtive voire précipitée résultant de l'interprétation
naïvement crédule, utopique et peu réfléchie de
la mise en œuvre de ces conseils représentée comme facile
et allant de soi.
Si on croyait pouvoir la généraliser et qu'elle serait toujours
applicable, la mise en œuvre stéréotypée de ces
recommandations dans tous les cas de psychoses dites
"schizophréniques" passant alors erronément pour la
panacée tant attendue, on irait fatalement au devant d'un certain nombre
de déconvenues.
Comme déjà dit ailleurs (dans un autre article), il ne suffit
pas de dire "il n'y a qu'à",
encore faut-il disposer des moyens de faire "ce qu'il n'y a qu'à",
se préoccuper de les obtenir (et parfois devoir se battre pour
cela!), voire peut-être de les créer s'ils n'existent pas.
Ces réserves sont bien plus des conseils de prudence, d'organisation et de précaution et des appels à la réflexion plutôt que des critiques du psychothérapeute U.S.. Elles étaient déjà contenues en filigrane dans l'article ci-dessus mis en ligne dès septembre 2002, mais elles n'étaient sans doute pas encore assez explicitées.
N'oublions jamais deux très importantes notions élémentaires et très générales concernant la lutte contre ces maladies mentales:
a) dans le monde entier, les maladies mentales psychotiques frappent des individus, en apparence au hasard et à peu près indistinctement et également dans toutes les couches sociales. Par contre, mais cette fois très concrètement et très pratiquement, et en dehors de tout problème préalable de santé, les ressources matérielles (humaines et financières) et les moyens intellectuels (l'instruction et l'information) dont les proches peuvent disposer, pour lutter contre les effets de la maladie et les surmonter, ne sont évidemment pas uniformément présents ni également répartis dans les différentes couches sociales touchées au sein des populations dans leur ensemble (je ne parle même pas des infrastructures et mesures sociales et de santé publique qui peuvent exister [ou être absentes!] et auxquelles les proches peuvent faire appel, suivant les régions et les différents pays.)
b) chaque personne frappée de psychose "schizophrénique" constitue en quelque sorte un cas unique, tant par les manifestations morbides particulières (individuelles) de son affection que par l'environnement, c.à.d. par le contexte lui aussi particulier (familial, social, économique, culturel, historique, philosophique ou religieux, etc.) dans lequel elle vit. Les approches à adopter envers les malades ne peuvent ignorer aucune de ces particularités dont elles doivent impérativement tenir compte pour à chaque fois s'y adapter au mieux.
Telles qu'elles ont été résumées dans le fichier LEAP.PDF, les recommandations de Mr Amador montrent que celui-ci, pour renouer la communication avec le/la malade et capter son attention et sa confiance, fait appel aux sentiments et aux émotions que son discours et son écoute parviennent à susciter chez son auditeur/interlocuteur, tout en veillant soigneusement à s'abstenir de le raisonner au cours de discusions comportant surtout des arguments rationnels ou de "bon sens". Pour employer une expression commune, il prend son interlocuteur "par le cœur" (par les sentiments) plutôt que "par la tête" (pas par la raison, puisque c'est précisément celle-ci surtout qui semble abîmée!) et après l'avoir longuement, attentivement et patiemment écouté, il s'efforce de lui apparaître comme étant à l'unisson avec lui pour ce qui est de ses sentiments, de ses émotions et du partage de ses aspirations (c.à.d. il est en empathie avec le malade).
Surtout, il s'efforce de ne pas laisser dégénérer les échanges qu'il a avec son proche en [d'âpres] discussions [stériles] ou en disputes où, continuellement, l'un des interlocuteurs [le non malade] aurait toujours raison (parce qu'il détiendrait et exercerait l'autorité?) tandis que l'autre participant à l'échange [le malade qui ignore sa maladie], obligatoirement et en quelque sorte "symétriquement", aurait tort "plus souvent qu'à son tour" (parce que ce serait à lui d'obéir au détenteur de l'autorité, ce dernier étant de plus supposé pouvoir exciper de l'expérience éventuellement due à l'âge, la position sociale et/ou à la profession?)
Donc, au moins en théorie, il s'agit d'établir en parfaite confiance réciproque une sorte de contrat de partenariat et de collaboration dont toute idée ou suggestion de rapport hiérarchique et de contrainte-domination/soumission entre les partenaires est soigneusement exclue. De plus, pour créer cette indispensable confiance et ne pas ensuite risquer de la détruire, le "soignant" et les proches ne doivent jamais contester ni même mettre tant soit peu en doute: ni la véracité des hallucinations, ni celle des délires dont le malade leur fait part. Ils peuvent seulement tenter de faire comprendre à leur malade qu'eux-mêmes, bien qu'ils s'efforcent - avec toute leur bonne volonté - d'imaginer la "pénibilité" que le malade éprouve de ces phénomènes mentaux qu'ils tentent de se représenter et dont ils ne contestent pas l'existence, ils n'y sont quant à eux pourtant pas confrontés. Peut-être pourraient-ils parfois se permettre de lui rappeler que, "par chance pour eux" , ils ne doivent pas lutter eux-mêmes contre les "impressions", visions, auditions et idées intruses et importunes voire menaçantes qui le torturent; mais ils ne demandent qu'à en être informés pour, en les examinant et en les partageant avec leur proche, pouvoir entreprendre ensemble de l'aider à s'en défendre, à les surmonter et à finalement parvenir à s'en débarrasser.
Tout cela est bien beau en imagination, on peut y rêver, mais il est sûrement plus facile de l'imaginer que de le mettre effectivement en pratique!
En effet, y a-t-il toujours dans chaque famille comptant un malade psychotique
(schizophrène, p.ex.), une personne telle qu'un frère ou une
sœur du malade (comme c'était le cas
de Xavier Amador), de préférence [un peu] plus jeune
qu'elle/ que lui (pour qu'il ne se soit pas établi d'avance entre
eux, en plus des sentiments d'affection et d'amitié, des liens d'autorité/subordination
ou de "préséance conventionnelle" du plus âgé
bien-portant sur le plus jeune, malade, dûs plus ou moins spontanément
et automatiquement à l'âge et que la psychose ferait à
présent mal interpréter et mal supporter par le malade)?
Ce frère (cette sœur) peut-il/elle être disponible en permanence
et en tous temps (c.à.d. le plus souvent à l'improviste
) pour accompagner le malade? Cette personne est-elle d'avance un(e)
psychologue clinicien(ne) (comme l'est Xavier Amador)
ou bien encore, est-elle prête à éventuellement se consacrer
à cette profession de psychothérapeute de préférence
à un autre métier qu'il/elle aurait précédemment
envisagé de pratiquer, doit-il/elle renoncer à celui-ci pour
se vouer principalement, voire exclusivement à l'accompagnement de
son frère/sa sœur, et ce pour vraisemblablement fort longtemps,
pour une durée indéterminée et peu prévisible?
Si les familiaux et les proches ne comptent parmi eux aucune personne répondant à toutes ces conditions, qualités et compétences déjà mentionnées précédemment (ce qui risque très naturellement d'être le cas le plus fréquemment rencontré), ils devront bien se résoudre à s'adresser à un thérapeute professionnel extérieur à la famille. Ceci, au moins dans les débuts de la rencontre entre cette personne étrangère et le malade, ne sera pas de nature à faciliter le départ d'une "construction" de la confiance entre soignant et soigné, et le soignant devra tout d'abord se faire accepter sans donner au malade l'impression de s'imposer.
Ce psychothérapeute extérieur, si dévoué et dédié à son métier soit-il, ne pourra toutefois pas se consacrer exclusivement (24h /jour) à l'accompagnement du malade pour lequel on l'aura appelé, ce qui l'obligerait à négliger sa propre vie personnelle, les siens et l'activité professionnelle qu'il poursuit par ailleurs, entre autres! Ce qui signifie qu'il devra bien s'absenter plus ou moins régulièrement, plus ou moins longtemps, suivant un calendrier et des horaires dont il conviendra avec son patient et sa famille. Pendant ses absences, ce sera aux membres de la famille d'assurer le relais.
Pour que les proches puissent s'acquitter correctement de cette tâche délicate et nouvelle pour eux, ils doivent s'efforcer de suivre les recommandations de Xavier Amador résumées dans le fichier .PDF mentionné ci-dessus. Mais s'inspirer d'un fichier qu'on se borne à lire ne suffit habituellement pas. Il faut compléter cette lecture en participant à des séances de "psychoéducation" organisées par des thérapeutes travaillant en liaison avec le psychothérapeute s'occupant du/de la malade (Un exemple de cette démarche mise en œuvre en francophonie peut être trouvé sur le site suivant: http://schizo-espoir.chez-alice.fr/nouveausite/profamille.html , où l'on peut aussi obtenir de plus amples renseignements).
Première publication: 10 Septembre 2002 | (J.D.) | Dernière modification: 14 Novembre 2011 |