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"Nous pensons pouvoir déduire de la connaissance du passé quelque prescience du futur."
(Paul Valery: Discours de l'Histoire prononcé à la Distribution solennelle des Prix du Lycée Janson-de-Sailly,
le 13 juillet 1932), in Variété IV, Paris, N.R.F./Gallimard, 1938, p. 137-142

la PSYCHIATRIE se berce d'ILLUSIONS par des PRÉTENTIONS OXYMORIQUES
de PRÉDICTION et de PRÉVENTION des PSYCHOSES
mais aujourd'hui encore, ces prédictions ne peuvent être ni vérifiées ni infirmées que RÉTROSPECTIVEMENT.

Depuis toujours pourtant, chacun sait bien qu'une précaution prise a posteriori n'est jamais une prévention, et aucun traitement jamais ne peut être entrepris en ignorant si, quand, lequel et contre quoi on devrait le mettre en œuvre !

Dans différents articles précédents et à diverses reprises, j'ai évoqué les nombreuses tentatives et efforts de "diagnostic" précoce (c.-à.d. de détection) mais aussi de "prévention" imaginés par les psychiatres, efforts qui, selon eux, devraient un jour leur permettre de poser, en toute certitude, un diagnostic assuré et aussi précoce que possible d'une schizophrénie déjà (mais seulement) présumée alors même qu'elle ne serait encore qu'en "gestation" dans ce qu'ils appellent sa "phase prodromique" supposée. Ils croient qu'ils pourraient dès lors mieux s'opposer au "développement" ultérieur de l'affection, sinon peut-être même empêcher complètement celle-ci d'apparaître, pour autant qu'ils puissent s'y prendre "assez tôt" (c'est du moins ce dont certains d'entre eux semblent vouloir se convaincre).

Une copieuse littérature "scientifique" spécialisée est consacrée à ce sujet (qu'on se rassure, ce site n'a pas vocation à infliger ici au lecteur profane une fastidieuse revue exhaustive de la littérature psy dans laquelle il risquerait d'inutilement se perdre!). En dépit des efforts psychiatriques accumulés depuis des décennies dans le but de permettre la prédiction d'une psychose - et malgré l'abondante communication publicitaire que de nombreux professionnels du secteur de la santé mentale se complaisent généralement à consacrer à l'utilité [postulée] de leurs préconisations prophylactiques très hypothétiques, arbitraires et de pure imagination - , je soupçonne que le problème ainsi posé risque fort de ne pas pouvoir trouver avant longtemps de solution effective, du moins tant qu'on n'aura pas identifié des marqueurs biologiques tout à la fois fiables et de détection aisée d'une "vulnérabilité" particulière aux "accidents" psychotiques.

Pareils marqueurs biologiques (nécessairement multiples), en combinaisons à la fois nécessaires et suffisantes, et accompagnant (ou non), systématiquement, les prédictions du développement d'une future, voire d'une prochaine psychose (ou au contraire, dont l'absence exclurait clairement la probabilité d'apparition d'une psychose), sont indispensables pour étayer et corroborer valablement les prédictions diagnostiques et ainsi conforter et crédibiliser ces sortes de conjectures psychiatriques (tout intuitives) qui, le plus souvent aujourd'hui, s'apparentent bien plus à de la simple divination de "voyance" qui ne s'avoue pas comme telle, plutôt qu'à une science légitime ou à un véritable savoir, et elles aboutissent à des paris insupportables et inacceptables pour les bien-portants/malades prospectifs à qui on les propose. La découverte et l'identification de marqueurs biologiques spécifiques donnerait enfin à ces pronostics plus de poids, en quelque sorte plus de crédit, les diagnostics et les décisions thérapeutiques correspondantes pourraient être respectivement posés et mises en œuvre avec plus de confiance (avec moins d'incertitude, d'hésitations et de tergiversations) et on pourrait sans doute et plus fréquemment en attendre un succès qui, de nos jours encore, ne reste que trop souvent incertain ou aléatoire.

C'est pourquoi, bien que les praticiens quotidiens de la "santé mentale" oublient ou même évitent habituellement d'évoquer ce sujet sensible, la découverte des marqueurs biologiques des psychoses représente, pour les chercheurs scientifiques des neurosciences par contre, un objectif de toute première grandeur, d'une importance digne de tous leurs soucis et justifiant leur obsession permanente. Le grand public en général n'est que très peu, voire mal informé des problèmes posés par le besoin, difficile ou peut-être même impossible à satisfaire correctement, de prévision et d'identification des affections mentales psychotiques avant même qu'elles n'apparaissent vraiment sous leur forme définitive bien reconnaissable et que leur présence soit incontestable et unanimement admise par tous les professionnels spécialistes de la "santé mentale".

Pour donner une idée de l'ampleur des difficultés rencontrées par la recherche clinique (et scientifique) et pour tâcher d'imaginer l'état actuel (encore dans l'enfance!) des connaissances dans ce domaine, état dû à la complexité de structure et de fonctionnement de notre cerveau, on pourrait comparer, assurément de manière quelque peu caricaturale (mais moins peut-être qu'on ne le croit!), les capacités présentes de la psychiatrie à "prévoir" l'apparition et le développement d'une schizophrénie, aux moyens "traditionnels et culturels" présentés comme plus ou moins "mystérieux" de prévision dont se servaient nos grands-parents et arrière-grands-parents paysans (aujourd'hui on dirait agriculteurs) pour, tout en scrutant le ciel, en humant l'air et à coups de citations sentencieusement assénées de dictons champêtres souvent pittoresques, prédire le jour même le temps qu'il ferait le lendemain et le surlendemain, et pour augurer, avec une péremptoire assurance de vieux cultivateur madré sachant de quoi il parle, des possibles intempéries ou rigueurs particulières des saisons à venir: menaçantes, ou au contraire prometteuses de bonnes récoltes à des échéances plus lointaines encore (p.ex. l'abondance des noix sur les noyers, présage sûr d'un hiver rude, etc., etc.). L'actuelle prétendue "prescience" psychiatrique, telle que pratiquée sur le terrain, me semble présenter avec ces prophéties paysannes d'évidentes analogies. Mais la psychiatrie paraît à ce jour encore loin d'avoir fait les énormes progrès qu'on reconnaît par contre à la météorologie scientifique de notre 21ème siècle.

Je n'insisterai pourtant jamais assez sur ce que j'ai déjà dit ailleurs: bien loin de moi l'idée (que certains me prêtent bien à tort!) de dénigrer cette impuissance de nos praticiens de la psychiatrie. On ne peut que la constater, s'en affliger sans doute, et par conséquent la déplorer tout en s'efforçant quand même de s'en accommoder; mais sans toutefois avoir de raisons valables de s'en étonner ni de s'en offusquer. Ce que par contre je crois pouvoir me permettre de leur reprocher, c'est d'habituellement ne pas reconnaître leur impuissance, de ne pas l'admettre ouvertement et de ne pas en expliquer les causes qui n'ont pourtant rien d'inavouable.

En effet, chacun sait qu'à l'impossible nul n'est tenu, mais bien trop souvent, l'opinion publique en général s'imagine sincèrement que les "psys" seraient déjà capables de faire aujourd'hui ce qui, en réalité, leur est pourtant encore impossible. On imagine qu'ils seraient déjà en mesure de réussir ce qu'il [ne] sera [que peut-être] possible de faire [que] dans un avenir encore indéterminé.
Cette erreur commune persiste parce que trop rares et fort discrets (prudents? Timides? Soucieux d'un fragile prestige?) sont les professionnels qui oseraient faire preuve du minimum de courage et d'humilité nécessaires qui les inciterait à honnêtement détromper (mais alors aussi à décevoir!) la clientèle de la rassurante illusion de leurs capacités à guérir les maladies mentales, une croyance à quoi le public se cramponne, ce public qui ne demande qu'à préserver religieusement sa foi en ce que les "experts" lui laissent espérer de leur expertise de notoire réputation, et parce qu'en conséquence ces spécialistes tiennent au public les discours qu'il attend d' "experts" officiellement reconnus censés détenir le savoir et "la vérité" (psychiatrique).

Depuis que les psychiatres et les psychologues se sont intéressés aux malades mentaux chroniques (et psychotiques) et ont été chargés de les soigner, ils ont recherché les causes de leur(s) "maladie(s)". Ils se sont efforcés, par ce qu'aujourd'hui on appelle des "études longitudinales rétrospectives", de retrouver dans le passé (plus ou moins lointain, voire dans l'enfance) de ces malades, le moment d'apparition des premiers signes "psychologiques" peut-être énigmatiques, peut-être réputés "pathologiques", peut-être seulement frustes mais inusités pour la personne considérée, signes le plus souvent d'apparence assez anodine et aussi d'assez courte durée pour ne pas vraiment inquiéter un entourage novice en la matière et n'ayant a priori aucune raison de se méfier ni de suspecter la menace d'une possible pathologie mentale.

Toutefois, plus tard et face cette fois au "fait accompli" que constitue l'apparition reconnue de la psychose devenue flagrante, ces signes précédents, qui n'avaient que peu attiré l'attention auparavant, "exhumés" rétrospectivement par les professionnels "psys" et à présent mis en lumière par le nouvel éclairage dû à la maladie, prennent maintenant aux yeux des "psys" la signification de "signes avant-coureurs" ou "prodromiques"; les Anglo-saxons ont une expression qui résume fort bien cela: ils disent "hindsight is a wonderful thing" (au sens de: après coup, grâce au recul, c'est merveilleux comme les choses qui étaient anodines en apparence acquièrent désormais assez d'importance pour nous sauter aux yeux!).

Puisque les bonnes explications basées sur des preuves véritables n'étaient pas encore disponibles, on s'est d'abord contenté des "explications faciles", ces très anciennes idées reçues, intuitives et immédiatement accessibles à tous, comme par exemple d'attribuer les causes de ces manifestations psychologiques inhabituelles, désormais décrétées (a posteriori!) prémonitoires, à des circonstances ou événements (parfois seulement supposés ou même inventés ou imaginés et surtout suggérés) opportunément requalifiés (a posteriori) subjectivement de "stressants" ou très douloureux (émotionnellement). Les professionnels "psys" ont ensuite baptisé ces événements du nom de "facteurs déclenchants" alors que, dans de nombreux cas , il aurait fort bien pu ne s'agir que de coïncidences, de "révélateurs" tout à fait fortuits, pas particulièrement précis ni spécifiques d'une éventuelle "fragilité cérébrale constitutionnelle" préexistante et latente. Ils ont ainsi laissé transparaître leur adhésion toujours profonde (inconsciente?) aux anciennes croyances populaires généralement répandues et tenues sans questionnement pour vraies: que ce serait le "malheur indicible et insupportable qui rend fou, qui fait perdre la raison" (et qui serait parfois aussi réputé capable de blanchir la chevelure d'un seul coup en l'espace d'une seule nuit! - malgré que ce soit matériellement [biologiquement] impossible, croyez-en le vieil histophysiologiste auteur des présentes lignes ;^) ).

Il me semble bien que nous avons là un parfait exemple de raisonnement fallacieux de la variété post hoc propter hoc. Mais on n'allait pas, en si bon chemin et pour si peu, s'arrêter de tenir des raisonnements qui n'étaient encore, tous comptes faits, que de l'herméneutique tendancieuse alimentée par l'imagination voire l'idéologie, et manipulant des hypothèses héritées des superstitions de nos très lointains ancêtres humanoïdes.

Dans des "études longitudinales prospectives" cette fois, les chercheurs "psys" ont sélectionné des échantillons de population de personnes signalées comme présentant - ou pour avoir présenté - un, ou de préférence plusieurs de ces signes dits avant-coureurs ou prodromiques présumés annonciateurs d'une psychose schizophrénique [dite débutante]. Inquiètes, certaines de ces personnes s'étaient même présentées à l'une ou l'autre consultation de santé mentale, ce qui a permis de les inclure dans les études dites "prospectives". Elles ont ensuite été suivies et périodiquement surveillées pendant parfois plusieurs années afin de voir si, effectivement, ces personnes finiraient bien (comme prédit) par développer l'affection présagée.

Des manifestations de signes psychotiques atténués, observées chez des personnes à "personnalité schizotypique ou schizoïde", dans une proportion montant jusqu'à 30% de la population générale, ont ainsi pu être interprétées comme "prémonitoires" ou "prodromiques" de schizophrénie qui pourrait se développer ultérieurement; (j'ai déjà évoqué ces hypothèses il y a de cela plus de 9 ans (v. Deux Ans ). Compte tenu de ce que l'on sait aujourd'hui de l'importance du rôle des facteurs génétiques dans la genèse d'une affection mentale chronique, ces suppositions pouvaient sembler d'autant plus plausibles et suggestives que des "anomalies" psychologiques analogues mais atténuées se retrouvent aussi chez les apparentés au premier degré (parents et fratries de malade) n'ayant cependant pas eux-mêmes développé de psychose (et pourquoi pas eux aussi? s.v.p.?).

J'avais donc déjà mentionné il y a 9 ans qu'on avait constaté des "anomalies frustes présentes parmi les membres de la famille, qui sont des signes atténués correspondant aux signes plus marqués (surtout négatifs et cognitifs déficitaires) observés chez leur malade. Il semble que ces signes frustes sont déjà présents chez les malades pendant la phase prodromique, ou même pendant la "phase prémorbide" de l'affection."
Mais il semble qu'à l'époque on ne s'est guère posé, à propos de ces observations, toutes les questions qu'elles auraient dû soulever et on ne paraît pas avoir éprouvé le besoin (il n' a du moins pas été clairement exprimé) de se poser aussi la bonne question, cette question-là qui aurait dû brûler les lèvres des cliniciens comme celles des chercheurs (et peut-être aussi secouer leurs neurones et les sortir de leur apparent assoupissement?): ces parents, bien normalement plus âgés que leur(s) enfant(s) malade(s), une grande partie d'entre eux n'auraient-ils pas dû, eux aussi, logiquement "basculer" de cette "phase prodromique" (ou prémorbide atténuée supposée?) détectée chez eux, pour tomber eux-mêmes dans une psychose schizophrénique "franche", comme plus tard l'ont malheureusement fait leur(s) enfant(s)?
N'avait-on pas là déjà une /(la) preuve évidente que cette fameuse "phase prodromique" ne permet nullement d'annoncer avec confiance la survenue d'une prochaine schizophrénie?

J'ai aussi déjà rapporté sur le présent site, dans la "FAQ" (Question n°2) une phrase du regretté Professeur cancérologue et très éphémère Ministre français de la Santé Léon Schwartzenberg (phrase citée de nombreuses fois sur la toile) qui disait: "Les statistiques sont vraies quant à la maladie et fausses quant au malade; elles sont vraies quant aux populations et fausses quant à l'individu". C'est là une affirmation qui repose sur des notions élémentaires bien connues de tous les étudiants en sciences, familiers des probabilités et des statistiques dont ils ont à se servir pendant leurs études et souvent utiles ensuite dans leurs activités professionnelles.
Ces notions élémentaires semblent difficiles à assimiler et à retenir par beaucoup de monde, et il paraît encore plus difficile d'en tirer toutes les conséquences (c'est là une des raisons du succès des jeux de hasard auprès des gens crédules ou irréfléchis). Exceptionnellement toutefois, parfois même certains professionnels qui avaient jusqu'à présent une fâcheuse tendance à les négliger ont fini par reconnaître l'existence de ces conséquences logiques et mathématiques (et fort matériellement pratiques!), mais combien de temps leur aura-t-il fallu pour cela? (en 2012!) (voyez N. Werbeloff & al., Arch Gen Psychiatry, 2012 69(5):467-475). Et combien d'entre tous les "psys" en général continuent-ils malgré tout de parler de "people at high risk of developing a psychosis" (c.à.d. de personnes dites "à haut risque", c.-à d. en grand danger de devenir psychotiques)? Ce qui suggère très fortement qu'ils ont oublié ou n'ont pas tenu grand compte des notions de "stats et proba" qui devraient leur avoir été enseignées (ou non?), et que la phrase de Léon Schwartzenberg n'est sans doute pas encore assez parlante pour que les "psys" en perçoivent la pertinence dans leur domaine réservé.
Peut-être une comparaison simple pourrait-elle éclairer pour eux la signification de cette phrase:

Si nous prenions deux échantillons de grandeur égale de population, dont l'un serait volontairement "enrichi" par rapport à l'autre, par exemple en nombre de joueurs (réguliers et occasionnels) de jeux d'argent de hasard (loteries, euromillion, etc., etc.), on pourrait effectivement constater que le nombre de gagnants constatés dans le "groupe enrichi en joueurs" serait significativement plus élevé que dans l'autre groupe "quelconque" (non "enrichi"). Mais cet accroissement de la fréquence des gagnants, au sein du groupe dans son ensemble, ne serait que le reflet du biais préalable et délibéré "d'enrichissement" introduit dans l'échantillonnage, et il ne permettrait aucune prédiction quant à la probabilité/possibilité (ou non) de gagner qu'aurait chacune des personnes individuelles composant le groupe.
Et c'est effectivement ce que, très logiquement, on obtient et qu'on constate aussi quand, de façon comparable, on sélectionne les personnes pour en faire des groupes , cette fois-ci sur la base de "symptômes psychiatriques atténués".
La fréquence accrue des psychoses, constatée dans pareils échantillons pris dans leur ensemble, n'a aucune valeur prédictive pour le diagnostic et le pronostic individuel de chacun de leurs composants.

C'est cependant ce qu'on nous suggère parce qu'on espère parvenir à y croire à force de vouloir s'en persuader, c'est ce qu'on voudrait, semble-t-il, nous faire croire aussi à nous, public non averti et naïf, depuis des décennies, en parlant de personnes "en danger", ou "en grand danger", ou "en très grand danger" ("à haut risque") de développer un trouble mental psychotique, à propos de personnes individuelles et peut-être parfois un peu bizarres, ces personnes que, pour cette raison, on fait "examiner" par un psychiatre. Le pronostic de "schizophrénie débutante" que celui-ci nous livre éventuellement n'est, au mieux, basé que sur une martingale en réalité erronée de joueur accro pratiquant une sorte de numérologie superstitieuse, parfaitement illusoire et dont il ne veut pas voir qu'elle est inefficace.

Si on peut se fier aux statistiques qui estiment à ± 50% les cas décrétés à "haut risque" qui ne développent finalement pas de psychose schizophrénique, alors n'importe quel psy, mis face à un "malade prospectif" et qui pronostique la future maladie "probable" bien qu'encore incertaine, a lui aussi une chance sur deux de se tromper (et il risque aussi de se tromper dans les mêmes proportions si, au contraire, il pronostique cette fois l'absence de future psychose). On comprend alors fort bien pourquoi, le plus souvent, certains psychiatres [ceux qui s'efforcent d'être lucides et prudents à la fois] consultés pour un diagnostic de psychose schizophrénique peut-être "débutante", restent d'abord évasifs et attendent pour se prononcer (parfois très longtemps!), que l'affection soit enfin pleinement déclarée et flagrante même aux yeux d'un public non averti (mais il n'est bien sûr plus temps alors de la "prévenir"!).

Malgré que, de tout temps, la prédiction de l'avenir n'ait jamais été et ne soit encore aujourd'hui qu'une invention de diseuses de bonne aventure, une fiction qui de nos jours exploite sans vergogne les superstitions et la crédulité du bon peuple, de nombreux psychologues, parmi lesquels certains jouissent d'une flatteuse notoriété internationale, continuent d'affecter de croire à la réalité de cette fiction, au point de recommander de s'engager dans des traitements préventifs, parfois seulement "psychothérapeutiques", comportant parfois aussi l'administration de neuroleptiques.
Je m'abstiendrai de les nommer ici, car je crois qu'il y a longtemps que la polémique sur ce sujet a été réglée (voyez ce qu'en disait le Dr Michael Davidson déjà en 2001, dans les dernières lignes de son résumé en français), et je ne désire pas la ressusciter.

Il rappelle très judicieusement que ce qu'on veut appeler les "marqueurs prémorbides et prodromiques" n'ont qu'une médiocre spécificité, et qu'aucun prodrome typique n'a pu être défini.
Je suis pour ma part convaincu qu'il en va de même pour ce qu'on considère être les "marqueurs des schizophrénies", qui ne sont eux aussi que des conséquences "fonctionnelles" et "psychologiques" souvent très indirectes de causes et de mécanismes biologiques multiples et dont la connaissance est malheureusement encore fort lacunaire. Les schizophrénies sont encore toujours d'abord des constructions conceptuelles. Pareilles constructions ne sont pas sensibles à des approches thérapeutiques pratiques, puisque les cibles de ces approches n'existent que sous forme de concepts dans l'esprit des thérapeutes, pas dans le cerveau des malades.

Ce sont les marqueurs biologiques qui restent tous à trouver. Tant que les marqueurs biologiques resteront inconnus, les marqueurs "psychologiques" ne serviront qu'à échafauder des hypothèses auxquelles on ne pourra apporter les bonnes réponses. On continuera en vain à poursuivre et à pourchasser des ombres immatérielles parce qu'on persistera à ignorer d'où vient la lumière qui leur est nécessaire, ainsi que les obstacles bien matériels qui interrompent le trajet des rayons lumineux et donnent alors naissance à ces ombres inaccessibles qui rendent la vie invivable et en même temps détournent l'attention de la recherche de leurs vraies causes.


Première publication: 13 Août 2012 (J.D.) Dernière modification: 13 Août 2012