V. Le TRAITEMENT de la SCHIZOPHRÉNIE

V-3. L'aide à la famille - Associations d'entraide

Quand il est question de l'aide à apporter à la famille d'un (ou d'une) malade schizophrène, on entend encore trop souvent parler de "thérapie familiale", et cela même par des membres du corps médical.

Il ne faut surtout pas confondre cette notion de "thérapie familiale" 1 (heureusement [presque] généralement abandonnée aujourd'hui) avec l'aide qu'il faut absolument apporter à la famille pour lui permettre de surmonter les énormes problèmes entraînés par la schizophrénie survenant chez l'un des siens.

Depuis la fable de La Fontaine "Le charretier embourbé", tout le monde connaît l'adage "Aide-toi, le ciel t'aidera". Les familles de malades, s'inspirant de ce conseil, doivent se regrouper en associations au sein desquelles elles pourront mieux s'épauler, s'entraider, s'informer et s'instruire sur tout ce qui touche aux affections mentales dont leurs proches sont atteints. Regroupées, elles pourront aussi mieux se faire entendre des professionnels de la "santé mentale", des responsables des services publics, et peut-être faire plus efficacement pression sur les décideurs politiques pour faire aboutir leurs revendications en faveur des malades schizophrènes.

Les possibilités de traitement ambulatoire (c.-à-d. quand les malades se rendent de chez eux à l'institution où l'on reçoit des "soins") se sont, paraît-il, développées, mais cette affirmation n'est, chez nous et le plus souvent, qu'une publicité résolument optimiste à la limite du pieux mensonge. Ce développement tout à fait insuffisant pour les réels besoins des malades mentaux chroniques, obtenu en partie aux dépens des budgets dont devraient disposer les institutions psychiatriques hospitalières, a en fait reporté sur les familles la charge du rôle principal dans le soutien de leurs malades et les a transformées en soignants et "gardiens" permanents, sans toutefois officialiser le fait ni, par conséquent, donner à ces familles les moyens de s'acquitter de ces tâches venant en sus de toutes les autres. Pourtant, d'habitude, ces tâches de soignants, on les imaginerait plutôt réservées à des professionnels spécialement formés qui s'y consacreraient à plein temps.

Aucune famille n'est normalement préparée ni formée aux rôles d'infirmiers ou infirmières psychiatriques, cela va de soi. Dans leur immense majorité, les familles ne comptent pas non plus, parmi leurs membres, des psychiatres ni des psychologues, ni des travailleurs sociaux. Surtout, ne l'oublions pas, comme toutes les familles, elles doivent, quelles que soient les circonstances, assurer la subsistance matérielle et une "qualité de vie" acceptable pour tous leurs membres. Ces multiples tâches et obligations familiales, professionnelles voire scolaires, remplissent déjà bien à elles seules les journées de n'importe quelle famille banale à revenus moyens dont tous les membres sont en bonne santé.

Comment alors imaginer que toutes les personnes formant une famille soient capables, sans dommages pour leur équilibre psychologique, pour leur santé et pour la cohésion du groupe familial, d'ajouter aux habituels soucis quotidiens les soins et la surveillance permanente d'une personne malade mentale dont, bien souvent, une des caractéristiques est que son discours est peu compréhensible tout comme ses changements inopinés d'humeur, alors que son comportement est encore moins contrôlable et moins prévisible que celui d'un petit enfant qu'on ne peut laisser seul à aucun instant?

C'est pourquoi, sachant cela, professionnels et politiques devraient aussi savoir que la collaboration 2 étroite et suivie entre patients, familles et professionnels de la psychiatrie est devenue un impératif que plus personne ne devrait aujourd'hui oser ouvertement ignorer. Pourtant, dans les faits, cette collaboration se limite encore bien souvent à une affirmation théorique, un discours plein de bonnes intentions, une sorte de concession oratoire annoncée plus que consentie, et est encore moins une pratique réellement mise en oeuvre.

Par collaboration, il faudrait entendre accompagnement et aide aux familles, instruction de ces familles qui, à leur tour (en retour), devraient instruire tous les "intervenants" de la "Santé mentale" et de la psychiatrie sur les aspects pratiques et toutes les conséquences des schizophrénies, aspects dont aujourd'hui beaucoup de ces "intervenants" n'ont qu'une représentation surtout "théorique" et plutôt imaginaire fort éloignée des réalités (et que les systèmes actuels d'enseignement, supérieur ou universitaire et autres tels qu'ils sont organisés en Belgique, ne peuvent leur enseigner).

V-4. L'alimentation, le sommeil, l'exercice physique

Une fois qu'il (elle) est de retour dans sa famille après un séjour à l'hôpital rendu nécessaire pour maîtriser un épisode aigu de schizophrénie, on conseille de se mettre d'accord avec le (la) malade sur les horaires et une routine bien et strictement réglés pour, dès le départ, obtenir de lui (d'elle) son assentiment, une sorte de promesse de se conformer à une espèce de "règlement d'ordre intérieur" valable pour toute la maisonnée (et, au moins dans les débuts, il ne faut pas s'attendre à ce que le malade se souvienne toujours de cette promesse et la respecte).

Ceci ne doit nullement être interprété comme une discipline vexatoire ou stupide (le règlement pour le plaisir du règlement) ou comme une technique prétendument thérapeutique. En réalité, c'est le seul moyen pratique pour tous, malade comme cohabitants "soignants" d'installer des routines utiles, voire indispensables (c'est ce que certains psychiatres, parfois, et par amour des belles phrases cache-misère, appellent vivre dans un "environnement structurant". Quant à moi, je dirais plutôt qu'on tente de recréer des automatismes chez un malade qui les a perdus et ne s'en rend pas compte).

Il faut en effet surtout ne pas oublier que, de son côté, le malade schizophrène vit en permanence dans l'instant (que ce soit l'instant dans ses rêveries ou l'instant de l'action du moment dans la vie réelle, qu'il oublie presqu'immédiatement après, à la moindre distraction ou interruption); il ne prévoit donc pas les événements dans leur chronologie (et, souvent, il prévoit encore moins l'enchaînement de leurs conséquences). Sa perception du temps qui passe n'est souvent plus la même que celle des personnes qui l'entourent. Tant que, par exemple, il ne ressentira pas une sensation suffisamment intense de faim pour penser à la satisfaire, l'idée de participer au repas en commun risque bien de ne pas l'effleurer; mais alors, il aura faim à un autre moment de la journée ou de la nuit et risque de s'alimenter n'importe comment, "au petit bonheur" de ce qu'il pourra trouver ici ou là (et, p.ex., de dévaliser le réfrigérateur pendant la nuit, sans prévenir...). De même, s'il n'éprouve pas une sensation de sommeil ou de fatigue malgré l'heure tardive, il ne pensera peut-être pas à aller se coucher, et le réveil du lendemain matin sera sans doute pénible pour lui et laborieux pour ceux qui tenteront de l'extraire de son lit. Par contre, il risque de passer la majeure partie de ses journées à dormir, selon ses sensations immédiates de besoin de sommeil. De manière plus générale, on peut dire qu'il ne parvient plus à planifier ses tâches, qu'elles soient à court ou à long terme.

Les horaires à respecter pour les "activités essentielles", c.-à-d. le lever, la toilette et l'hygiène, les repas etc., sont donc un moyen de recréer petit à petit, dans l'esprit du malade, des repères temporels - des habitudes - lui permettant de réintégrer progressivement une vie relationnelle et sociale plus ou moins régulière. Ces activités "essentielles" ou "de base" constituent un minimum sur lequel, dès le départ, tous s'étant mis "officiellement" d'accord avec le malade, celui-ci est prévenu qu'on ne transigera pas (mais les oublis et les entorses à l'horaire - inévitables au début quoiqu'involontaires - ne doivent pas faire l'objet de disputes sans fin!).

Par contre, il me paraît illusoire et "contre-productif" de vouloir imposer, sous prétexte de le sortir de son oisiveté ou de le distraire, quelque activité que ce soit à un malade qui ne manifeste pour elle aucun signe d'intérêt ou peut-être d'envie - ne parlons même pas d'enthousiasme. Tout au plus peut-on lui suggérer l'une ou l'autre activité simple (une sortie, une balade ou une promenade si possible accompagnée, ou bien lui suggérer de se rendre utile en participant et en aidant à l'une ou l'autre tâche simple, etc.) sans toutefois trop insister: l'apathie, l'indécision, le manque de motivation sont des signes de la maladie, il ne sert à rien de tenter de les combattre par des injonctions répétées: si ces signes peuvent et doivent s'atténuer, on peut espérer qu'ils le feront probablement d'eux-mêmes, mais on doit savoir qu'il y faudra pas mal de temps et, très certainement, beaucoup de patience, mais surtout il faut éviter, autant que possible, tout ce que le malade pourrait interpréter comme étant du harcèlement.

Il ne faut pas non plus s'engager prématurément dans des tentatives d'autonomie ou d'indépendance complète sans avoir, au préalable, procédé par étapes prudentes et progressives destinées à évaluer les capacités du malade à s'adapter aux changements d'ambiances et de situations: il faut voir s'il parvient à les prévoir à peu près et à prendre les [bonnes] décisions qui, à ces moments-là, sont dictées par les circonstances. Parfois, des circonstances qui nous paraîtraient "neutres" et anodines éveillent chez le malade des émotions difficiles à contrôler et qui dépassent ses capacités d'adaptation de comportement et de raisonnement logique (qui "prennent ces capacités de vitesse") et qui, dès lors, peuvent précipiter un accès psychotique (une "rechute").

La prise consciencieuse du (des) médicament(s) aux dates et heures prévues doit être surveillée, discrètement mais avec vigilance. La poursuite de la médication est en effet essentielle pour le bon pronostic de l'évolution de l'affection. Quelle que soit l'opinion des proches sur le neuroleptique administré et sur les effets qu'ils lui attribuent, ils ne doivent surtout pas en médire en présence du malade. Bien au contraire, il faut lui en faire l'éloge s'il manifeste de la répugnance à suivre ce traitement, il faut lui en faire apprécier les avantages (et relativiser les éventuels inconvénients) en lui rappelant tout ce qu'il est à nouveau capable de faire depuis qu'il le prend, par comparaison avec ce dont il n'était plus capable avant qu'on le lui prescrive. Ceci est extrêmement important: un grand nombre de malades, persuadés au fond d'eux-mêmes qu'ils ne sont pas malades, refusent de prendre leur médication (c'est la conséquence de l'anosognosie), ils imaginent parfois que c'est le médicament qui est la source de leurs difficultés mentales, vont même parfois jusqu'à imaginer que ce sont les autres qui, par malveillance, s'ingénient à les empoisonner par le médicament. Ils s'arrêtent alors de le prendre, ce dont ils se cachent et se défendent, souvent avec une ingéniosité surprenante qui prend la surveillance de tous les proches en défaut malgré eux.

L'arrêt de la médication écourte les périodes "calmes" intercalées entre les épisodes aigus (à signes positifs) successifs et, ensuite, à chaque interruption puis reprise du neuroleptique, l'efficacité de celui-ci diminue progressivement, plus ou moins rapidement, si bien que la "stabilisation" du malade devient de plus en plus difficile à obtenir. Sauf intolérance grave au médicament (effets secondaires sérieux), il ne faut donc surtout pas en interrompre l'administration.

V-5. La (les) "psychothérapie(s)"

"Bei allen Krankheiten, die in ihrer Uhrsache nicht Geklärt sind und für die es keine heilende Behandlung und Verhütung gibt, entstehen Theorien, Schuld Zuweisungen und irrationale Behandlungsversuche."

"Toutes les maladies dont les causes n'ont pas été établies et pour lesquelles ni traitement curatif ni prévention ne sont disponibles, font naître des théories, des imputations de fautes, et des tentatives thérapeutiques irrationnelles."

M. Geiser, Die Schizophrenie aus der Sicht von Familienangehöringen,
Schweiz. Med. Wochenschr. 1994, 129: 529 - 538

Encore aujourd'hui, une grande majorité de psychiatres francophones insistent sur la très grande importance qu'ils veulent accorder aux traitements "psychothérapeutiques" dont ils disent qu'ils doivent absolument accompagner les traitements médicamenteux pour en augmenter l'efficacité.

Le lecteur ne comprendrait donc pas qu'à aucun endroit de la présente brochure il ne soit fait mention des "psychothérapies" 3. L'opinion de l'auteur au sujet de leur utilité pour le traitement des psychoses schizophréniques est "globalement peu favorable". Ces "psychothérapies", du moins telles qu'elles sont conçues et [le plus souvent non ou mal] mises en pratique la plupart du temps, ne me semblent mériter que scepticisme et considérations fort critiques. C'est pourquoi ce sujet ne sera abordé qu'après le chapitre consacré au rôle des familles dans les soins aux malades schizophrènes (ou cliquez la note 3)


SUITE - Chapitre VI: Le rôle des familles dans les soins

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