Chap. V-5 Note 3

La (les) "psychothérapie(s)" (4/8)

On pense que les psychoses résultent d'altérations cérébrales qu'on aurait jadis appelées "innées" (aujourd'hui dites génétiques, et/ou apparues in utero: développementales), c'est-à- dire très précoces et profondes des structures cérébrales, qui entraînent des anomalies du cablage de nombreux circuits et réseaux étendus de neurones (aujourd'hui, ces anomalies sont confirmées, elles ne sont plus de simples "hypothèses").

Les névroses, au contraire, seraient la conséquence "d'erreurs d'apprentissage" (commises pendant l'enfance, l'adolescence et même à l'âge adulte) nettement plus tardives. Ces erreurs tardives d'apprentissage n'entraînent que des altérations superficielles et réversibles ou modifiables des neurones de notre écorce cérébrale (au niveau des contacts synaptiques dans ce qu'on appelle le "neuropile") sans toucher aux longs circuits et réseaux déjà constitués au cours du développement. Ces altérations plus "localisées" sont susceptibles de "corrections" grâce à un apprentissage correcteur approprié (p. ex. les psychothérapies "cognitivocomportementales).

Ces "corrections" des névroses (et de phobies, p.ex.) sont possibles grâce à ce qu'on appelle la "plasticité synaptique". Par exemple, les techniques actuelles d'imagerie cérébrale nous permettent d'observer que, chez un musicien exécutant ayant accidentellement perdu un doigt ou en ayant subi l'amputation, grâce à l'entraînement (l'exercice, la rééducation), la surface corticale cérébrale réservée à la sensibilité des doigts voisins du doigt amputé s'étend et en quelque sorte vient empiéter (coloniser) sur les territoires contigus réservés auparavant à la sensibilité du doigt disparu.
Des remaniements de même nature surviennent dans les aires cérébrales corticales hébergeant les cellules motrices qui étaient le point de départ de la commande volontaire des mouvements du doigt manquant.

De même, la stimulation répétée, c'est à dire l'entraînement, par exemple de la vision, de l'audition, surtout dans le jeune âge, chez des individus bien portants (c.-à-d. à vision et audition "normales"), peut s'accompagner d'une multiplication et d'un accroissement du nombre et de la surface active des contacts synaptiques des neurones qu'on pourrait appeler "de première et de seconde lignes" (mais le nombre des neurones eux-mêmes n'en est pas augmenté pour autant). Ceci conduit à un développement de certaines aires corticales cérébrales chez des musiciens virtuoses, par exemple, plus important que chez le commun des auditeurs simplement mélomanes ou musiciens amateurs plus occasionnels. La plasticité synaptique, c'est donc la modification structurale de nos neurones sous l'influence des sollicitations sensorielles leur parvenant de "l'environnement", qu'il s'agisse d'apprentissage délibéré ou des stimulations spontanément plus ou moins nombreuses selon le milieu dans lequel nous évoluons (on pourrait aussi citer l'exemple de la sensibilité tactile très accrue chez les non-voyants ayant appris la lecture Braille).

Le remodelage - et la multiplication - des connexions synaptiques entre neurones, conduisant à une communication fonctionnelle entre eux est possible dans la mesure où les cibles neuronales disponibles existent bien, et si les terminaisons axonales bourgeonnant et partant à leur recherche ne sont pas trop éloignées de leurs cibles (ces remaniements-là sont ce qu'on appelle la "plasticité neuronale" et non plus la "plasticité synaptique").

Mais encore faut-il, en plus de la proximité, voire de la contiguïté des structures devant entrer en contact les unes avec les autres, que les nouvelles synapses qui se créeraient ainsi soient "compatibles" entre elles du point de vue des médiateurs et des récepteurs synaptiques impliqués de part et d'autre de ces nouveaux contacts.

Quoique la comparaison ne soit qu'une analogie simpliste, songeons p.ex. aux conditions à respecter quand nous voulons intercaler un cable de rallonge entre la prise électrique murale et un appareil ménager trop distant: nous devons veiller à choisir correctement fiches "mâles" et prises "femelles" aux extrémités des conducteurs, le nombre et la disposition des broches et des orifices de raccordement doivent correspondre exactement et on doit s'assurer que les caractéristiques de courant soient correctes de part et d'autre.

On peut même pousser l'analogie plus loin: si, par exemple, une dizaine de fiches étaient disponibles, appartenant à des appareils électriques distincts mais non visibles parce que trop éloignés, raccorder la rallonge à la première fiche accessible n'aurait qu'une chance sur dix d'aboutir au résultat désiré (p. ex. alimenter en courant un appareil précis parmi les dix).
Rappelons que, dans l'immense enchevêtrement labyrinthique du cortex cérébral, les possibilités de raccordement sont infiniment plus nombreuses encore que cette pauvre dizaine prise ici pour l'exemple. Par conséquent, la probabilité d'un résultat fonctionnel (utile) consécutif à des migrations neuronales et axonales tardives (prenant place de manière anachronique par rapport au développement chronologiquement normal) devient très faible, fort peu vraisemblable.

Les apprentissages correcteurs (ce qu'on pourrait appeler la "pédagogie de psychothérapie") sont possibles dans les "névroses", car toute l'infrastructure neuronale qui leur sert de support indispensable est présente au préalable, et les remaniements synaptiques nécessaires s'effectuent sur des distances très courtes.

Dans le cas des maladies psychotiques chroniques, par contre, les atteintes pathologiques portent sur des réseaux et circuits à multiples relais de cellules nerveuses et les faisceaux d'axones des neurones qui s'y projettent proviennent de cellules nerveuses souvent situées à bien plus grande distance. De plus, au sein de ces réseaux, certains maillons sont manquants ou défaillants, privant ainsi de leurs cibles les neurones situés "en amont" - et de stimuli normaux les neurones situés "en aval". Des tentatives de remaniement et de "remodelage" des connexions synaptiques pourront sans doute s'y produire, sous l'influence de stimulations sensorielles, par exemple, mais elles ne pourront pas aboutir à des résultats fonctionnels, les terminaisons axonales ne rencontrant pas, soit des cibles libres, soit des cibles compatibles quant aux médiateurs et aux récepteurs synaptiques qui s'y trouveront en présence les uns des autres.


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