Chap. V-5 Note 3

La (les) "psychothérapie(s)" (7/8)

Une autre erreur fondamentale des psychiatres et psychothérapeutes "cognitivo-comportementalistes" consiste à croire que les comportements "appris" en réaction à des situations particulières spécialement mises en scène, ou lors de jeux de rôles, sont, comme ils disent, "généralisables" par les malades aux autres situations susceptibles de se présenter à eux, de façon aléatoire, dans la vie de tous les jours.

Pareille "généralisation" est habituellement acquise chez les personnes bien portantes, parce que leur "théorie de l'esprit" est intacte, et parce que les personnes bien portantes sont capables, très automatiquement, "instinctivement" pourrait-on dire, de percevoir les multiples analogies qui existent entre situations néanmoins différentes, ou les différences particulières survenant dans des circonstances pourtant généralement comparables; de plus, les "neurones-miroirs" de leur cortex frontal leur permettent d'interpréter instantanément les intentions probables et les gestes de ceux qu'elles côtoient.

Il est toutefois fort vraisemblable que, de manière comparable à ce qu'on peut observer chez certains patients autistes, les "neurones miroirs" du cortex frontal de nombreux malades schizophrènes présentent des déficits qui handicapent les malades dans cette tâche de "généralisation" des apprentissages: ils en restent alors à des réflexes stéréotypés mal adaptés aux situations et événements auxquels ils doivent faire face.

Nous devons toujours avoir présent à l'esprit le fait que nous évaluons toutes les situations dans lesquelles nous sommes plongés au moyen, au moins en partie, de comparaisons des analogies - et des différences - qu'instantanément (et inconsciemment) nous faisons entre les situations présentes et les souvenirs que nous gardons de situations passées, comparables ou non.
Pour ensuite justifier nos actions et nos comportements dans telles ou telles circonstances, nous ne parvenons à en exprimer les analogies et les différences que par d'autres analogies de langage et par des métaphores, et c'est ainsi qu'habituellement on les "explique" aussi aux malades.

Nous oublions, comme aussi la plupart des psychothérapeutes (ceux que j'ai rencontrés comme ceux que j'ai lus), que, dans le langage, les analogies et les métaphores ne sont reçues qu'au premier degré par un grand nombre de malades schizophrènes, ce qui leur en rend le sens que nous leur prêtons totalement inaccessible.
Dans la réalité, c'est la multiplicité des différences et des analogies caractérisant une situation donnée qui rend la "rééducation" ou "revalidation" par l'entraînement et "l'apprentissage" des malades schizophrènes aléatoire. L'attention déficitaire des malades ne parvient que fort difficilement à faire l'inventaire instantané et correct de cette multiplicité, et elle ne parvient pas non plus à classer assez rapidement les particularités identifiées d'une situation en ordre tant chronologique que de leurs importances relatives respectives.

C'est pourquoi les "apprentissages" de revalidation, tels que parfois on imagine d'en faire l'éloge (en Belgique, cela ne va guère plus loin que les propositions platoniques et une "promotion virtuelle" ou publicitaire de "programmes inappliqués"), ne produisent habituellement que des réactions réflexes assez frustes et stéréotypées ne répondant pas adéquatement aux impératifs des échanges sociaux complexes que chacun de nous doit anticiper dans la vie quotidienne.
(pour des exemples, voyez R.P. Lieberman: Handbook of Psychiatric Rehabilitation. Longwood Division. Allyn & Bacon 1991, ISBN 0-205-14557-4; R.P. Lieberman, K.T. Mueser: Social Skills Training for psychiatric Patients, Longwood Division, Allyn & Bacon,1991, ISBN 0-205-14407-1)

Les difficultés rencontrées pour "réhabiliter" les malades schizophrènes sont connues depuis longtemps et ont été signalées à diverses reprises.
(v. p.ex. McGlashan, T.H., Heinssen, R.K., Fenton, W.S.: "Psychosocial Treatment of negative Symptoms in Schizophrenia." In: Andreasen, N.C. (éd.): Schizophrenia: Positive and negative Symptoms and Syndromes. Mod. Probl. Pharmacopsychiatry 24, pp. 175-200. Basel, Karger 1990. ISBN 3-8055-5050-2)

Ces auteurs nous disent fort clairement:

"Nous avons cependant trouvé que nos patients n'avaient pas atteint un niveau de vie indépendante qui fût significativement plus élevé que quand le [programme de] groupe avait commencé [un an auparavant]. Bien qu'un certain apprentissage ait eu lieu, l'objectif consistant à leur faire acquérir des tâches d'apprentissages complexes et à les leur faire reproduire de manière autonome, après un an de traitement comportemental, s'est avéré exagérément ambitieux [...]
Le but thérapeutique à atteindre dans de pareils cas est de favoriser des niveaux croissants d'autonomie dans le contexte du lieu d'asile. Créer un environnement qui s'adapte aux déficits des patients peut libérer ce qui leur reste effectivement de capacités fonctionnelles et leur permettre de vivre le changement et une certaine croissance dans ces domaines de compétence. Les soutenir d'une main, les guider de l'autre, telle est la dialectique à laquelle il faut s'accrocher." (souligné par moi)

Dans notre pays, toutefois, même pareils essais ne sont guère tentés. Dans quelques rares "lieux d'accueil", on se borne tout au plus à "inculquer" quelques réflexes simples de politesse élémentaire (dire "bonjour", "excusez-moi", etc.) qui, souvent ensuite, sont utilisés hors de propos par les malades.

Croire que quelques comportements réflexes simples, lentement et laborieusement acquis mais souvent fugaces, suffiraient à faire "refonctionner" les malades schizophrènes dans une société complexe culturellement, économiquement et socialement, c'est en quelque sorte commettre, dans le domaine psychologique cette fois, la vieille erreur de Lamarck dans le domaine de l'évolution des espèces. Lamarck croyait que "la fonction crée l'organe". Les psychiatres "cognitivocomportementalistes" voudraient-ils croire et nous faire croire avec eux que les comportements réflexes "appris" vont créer chez les malades le désir, la volonté de s'en servir?

Ils voudraient nous persuader que des attitudes réflexes vont insuffler aux malades la motivation pour faire les efforts soutenus nécessaires à leur réinsertion et à leur maintien dans la société. Ils s'imaginent que ces comportement réflexes leur feraient retrouver l'intérêt pour les échanges sociaux dont leurs handicaps les privent (alors que c'est la maladie qui leur en a ôté tant le désir que les moyens). En d'autres termes, "la capacité créerait le besoin". Nous savons qu'au contraire, c'est le besoin qu'on en éprouve qui encourage à explorer l'existence - ou l'absence - de capacités dont on souhaite se servir. Aurions-nous ici un nouvel exemple de confusion entre causes et effets, cette fameuse causalité circulaire chère à certains?

(Certains psychiatres psychanalystes ont même une imagination de mauvaise science fiction plus débridée encore: ils prétendent que le cerveau recèle plus de potentialités que nous n'en utilisons, ce qui n'est qu'un mythe d'ailleurs depuis longtemps discrédité, et ils croient aussi que "le cerveau grandit à la demande"(sic), sous l'influence des stimuli extérieurs. Cela pourrait ressembler, par analogie, à l'idée selon laquelle, par exemple, la perte accidentelle d'un bras, entraînant l'hypertrophie musculaire compensatoire du bras restant, on serait dès lors autorisé à faire passer cette hypertrophie du bras restant pour une repousse du moignon du côté opposé. Il est toutefois difficile d'imaginer en quoi pareille hallucination intellectuelle prouverait la prescience que la psychanalyse aurait eu des neurosciences actuelles et les démontrerait. vide G. Pommier, Comment la Psychanalyse démontre les Neurosciences. Flammarion, Paris 2004, ISBN 2-08-210369-2).

Qui dit apprentissage, rééducation, revalidation, implique nécessairement éducation, enseignement. Tout enseignant - aimant son métier et y croyant - sait que l'échec se combat en adaptant la pédagogie à la personnalité, à l'âge et aux capacités des enseignés, et non pas en voulant forcer ces derniers à se couler tous, indistinctement, dans un même moule rigide établi à l'avance: "Ceux qui, comme porte notre usage, entreprennent d'une même leçon et pareille mesure de conduite, régenter plusieurs esprits de si diverses mesures et formes, ce n'est pas merveille si, en tout un peuple d'enfans, ils en rencontrent à peine deux ou trois qui rapportent quelque juste fruit de leur discipline" (Montaigne: Essais, Livre I, chap. XXVI).

Dire qu'il n'y a pas deux malades pareils est une banalité. Les combinaisons et constellations de signes, symptômes et déficits sont innombrables. Le degré de sévérité des atteintes individuelles et, par conséquent, le niveau des capacités conservées en dépit de la maladie sont, eux aussi, très variés. Les efforts de revalidation, sous peine de courir à l'échec garanti, ne peuvent ignorer cette diversité. Pourtant, les "questionnaires d'évaluation" parfois utilisés par les thérapeutes, qu'ils soient "cognitivo-comportementalistes" ou autres, ne témoignent d'aucun souci réel de connaître vraiment le malade: on ne se préoccupe nullement de sa véritable histoire personnelle: de ses goûts, de ses sujets d'intérêt, de ses capacités, de son parcours scolaire, de ses hobbies, de ses habiletés avant qu'il ne tombe malade.


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