La (les) "psychothérapie(s)" (6/8)
Les psychothérapies cognitivo-comportementales pour les schizophrènes se veulent moins platoniques, moins contemplatives et peut-être moins spéculatives que les autres. Elles se veulent donc plus actives, plus interventionnistes. Elles prétendent inculquer aux malades des "habilités" (anglicisme franco-canadien: comprenez des habiletés ou un savoir faire, ou des "compétences") comportementales et sociales leur permettant de se réinsérer dans la vie sociale et économique de la société dite "normale" en s'y sentant dès lors intégrés, c'est à dire sans éprouver le sentiment d'en être exclus ou rejetés. Les psychothérapeutes francocanadiens parlent à ce propos de "réhabilitation", autre anglicisme signifiant revalidation, mais, dans les pays francophones éloignés du continent nord-américain, ce mot n'a pas le même sens, ce qui encourage à accréditer la légende stupide de la stigmatisation des schizophrènes en laissant croire qu'il faudrait réhabiliter les malades d'une condamnation judiciaire erronée. Les "psys" francophones qui utilisent ce terme feraient peut-être oeuvre utile et peu fatigante en réservant son usage aux personnes condamnées par les tribunaux, et en parlant d'efforts de revalidation quand il s'agit des malades schizophrènes qu'on tente de "réinsérer" dans la société des bien portants.
A la suite de certains socio-psychologues et autres théoriciens (à la traîne de leurs homologues U.S. et canadiens pionniers en ce domaine), certains représentants de nos pouvoirs publics affirment habituellement que le meilleur témoin de la réintégration sociale d'une personne, précédemment exclue de la société, est sa participation à une activité de travail rémunéré, ce qui devrait constituer, à ses propres yeux, un élément de "revalorisation personnelle" en même temps que de "promotion sociale" (notons en passant qu'en même temps, nos responsables politiques s'abstiennent alors de mentionner les chômeurs, bien portants mais défavorisés, même si souvent, chez nous, on tente de tout mélanger et de les faire passer pour des personnes ayant une "mauvaise santé mentale"...)
C'est cet objectif de "réhabilitation" que parfois notre ministre de la Santé, des Affaires sociales, etc., etc., croit pouvoir assigner à des "projets pilotes" destinés, paraît-il, à "réintégrer les malades mentaux dans le ‘circuit normal' du travail" (sic), mais ce ne sont là que des voeux pieux dont personne, y compris nos ministres, de toutes façons ne se donne les moyens de les exaucer.
Des ateliers dits "protégés" ont été
créés pour permettre à des personnes, handicapées
à divers titres, de travailler dans des conditions compatibles avec
leur(s) handicap(s).
Les statistiques des organismes publics gérant l'emploi montrent
que, jusqu'à présent, les malades psychotiques, même
lorsque les psychiatres les déclarent "stabilisés, ne
parviennent pas à se maintenir dans ces ateliers protégés.
En fait, quand il s'en trouve, aucun malade prétendument "stabilisé"
ne s'y maintient plus de quelques mois. Ce constat jette un doute, non seulement
sur l'efficacité des méthodes de "réhabilitation"
des malades, mais aussi sur leur mise en pratique effective dans la partie
francophone de notre pays.
Chez nous, les efforts annoncés pour la revalidation des malades schizophrènes se basent sur les théories "cognitivocomportementales" (behavioristes) qui postulent qu'il est possible de modifier les comportements (et donc les processus de pensée?) des malades et ainsi rendre à nombre d'entre eux des capacités suffisantes pour reprendre une place effective dans la société. Les psychiatres et psychothérapeutes "cognitivo-comportementalistes" affirment qu'ils procèdent à une évaluation aussi précise que possible des déficits et capacités des malades schizophrènes dans le domaine des relations sociales et interpersonnelles, de l'hygiène personnelle, du comportement en société, etc. Pour parvenir à ces évaluations, ils disent se baser sur l'observation de leurs patients dont ils comparent les éléments constitutifs du comportement à des "échelles d'évaluation", protocoles codifiés résumés dans des formulaires. Ils croient prendre ainsi ce qu'ils appellent très sérieusement (?!) une "mesure qualitative" (sic) du fonctionnement des malades, ce qui ensuite, par comparaison, leur permettrait de mesurer les progrès obtenus par les malades grâce aux apprentissages d'habiletés" mis en oeuvre par le programme de "réhabilitation" (Favrod, J. "Entraînement des habiletés sociales". Internet, Rehab InfoWeb 03/06/1999).
Les apprentissages dont il est question reposent principalement sur le conditionnement opérant (appelé parfois aussi le conditionnement "instrumental") dont les découvreurs ont été les psychologues américains E. Thorndike et B.F. Skinner. Ce conditionnement, réflexe, consiste à associer, dans l'esprit de la personne qui apprend, une situation et des circonstances rencontrées avec un comportement qu'elle adoptera. On l'aura encouragée à adopter un comportement donné, parmi d'autres possibles, à chaque répétition d'une situation vécue ("fabriquée" et mise en scène par les thérapeutes): soit par un "renforcement positif" (une récompense), soit au contraire par un "renforcement négatif" (une punition) si le comportement adopté est considéré comme inadéquat.
Pour obtenir le conditionnement, il faut que le temps qui sépare l'action (la réaction à la situation vécue) du renforcement correspondant soit le plus bref possible. Il faut aussi que le renforcement se répète à chaque fois. Si le renforcement (récompense ou punition) n'est pas maintenu, le comportement qu'il "renforçait" disparaît (c'est ce qu'on appelle "l'extinction").
Quoiqu'il soit aussi de nature réflexe, le conditionnement opérant diffère du conditionnement "classique" (selon Pavlov) en ce qu'il fait intervenir la motivation, c'est-à dire la volonté du sujet et sa prévision de la conséquence de ses actes: que le sujet en soit conscient ou non, il adopte un certain comportement parce qu'il espère la récompense qu'il prévoit, ou parce qu'il désire éviter la punition (qu'il anticipe).
Les psychiatres prônant, pour les malades schizophrènes (dont, fort souvent, la motivation est très affaiblie), la revalidation par l'approche cognitivocomportementale" prétendent, à l'appui de cette approche, que la motivation n'interviendrait pas dans le conditionnement opérant. "Car", m'a fait dire l'un d'entre eux, "des pigeons ont bien appris à jouer au ping pong!", sous-entendant que, bien évidemment les pigeons n'ont aucune motivation pour ce jeu. Cet éminent psychiatre canadien - que je ne nommerai pas - prudemment omettait de mentionner les grains de maïs et d'autres céréales distribués aux pigeons en guise de renforcement! Nous avons là un bel exemple de récupération tendancieuse par certains psychiatres des travaux du psychologue Skinner sur ses pigeons. Ils prennent dressage pour apprentissage délibéré. Ils oublient l'obligation de maintenir les indispensables renforcements pour éviter l'extinction des réponses réflexes. Ils substituent la motivation durable et réfléchie du dresseur (du dompteur) à celle de l'animal dressé; cette dernière n'est qu'immédiate, passagère, liée à la récompense du moment. Confondre ainsi dressage et apprentissage réfléchi, c'est-à dire prévoyance (un des privilèges de l'être humain normalement conscient), c'est assimiler, en effet sans grande réflexion ni respect pour leur humanité, les malades à des animaux de cirque. C'est croire de plus que les animaux dressés continueraient bien d'exécuter leur numéro de singes savants, d'initiative et en l'absence du dompteur. Certain dressage est concevable et peut-être admissible chez le petit enfant. Mais, très tôt déjà, l'apprentissage suppose la capacité de décider, de soi-même, de chaque action à entreprendre pour accéder à un but plus ou moins éloigné qu'on s'est assigné et dont on a relevé les étapes du chemin qui y mène, et il suppose aussi la capacité de maintenir le cap sur l'objectif final ("En nous proposant des buts et en constituant des agendas [des programmes d'action - ndlr], nous échappons aux contraintes chaotiques du comportement réflexe en réponse aux stimuli et aux récompenses. Ceci ne veut pas dire que les réflexes conditionnés, que ce soit du type Pavlov ou du type opérant selon Skinner, n'existent pas. Si, ils existent. Oui, Professeur Skinner, le comportement est, en partie, déterminé par ses conséquences. Mais c'est la conscience qui nous aide à prévoir précisément ces conséquences, et ainsi c'est elle qui privilégie les bonnes décisions en modelant notre comportement à partir de l'intérieur." (HOBSON, J.A., Consciousness ,p. 220. W.H. Freeman & Co., New York 1999. ISBN 07167-5078-3). Ce sont précisément la motivation et les capacités de prévision (ou de prévoyance) qui sont le plus fréquemment détériorées chez les malades schizophrènes.