V. Le TRAITEMENT de la SCHIZOPHRÉNIE
V-2. Traitement hospitalier, "post-cure", réinsertion
En phase aiguë de la maladie (lors d'une "crise",
que ce soit la première ou qu'il s'agisse d'une "récidive"),
on est le plus souvent forcé, même si cela ne plaît habituellement
à personne, de recourir à l'hospitalisation: en effet, généralement
l'exacerbation des manifestations de l'affection ne s'atténue pas
instantanément (ni même en une heure ou deux) grâce au
traitement que l'on tenterait de mettre en place, ou grâce à
une modification de ce traitement.
En attendant que la médication (ou, peut-être, la nouvelle
médication, ou la nouvelle dose) fasse son effet et qu'on puisse
en juger, le séjour à l'hôpital ou en clinique s'impose.
Bien que ceci soit très souvent perçu, surtout par le malade lui-même bien plus encore que par les proches, comme une contrainte difficilement acceptable, on doit comprendre que l'indispensable surveillance professionnelle constante (médicale, psychiatrique et de soins infirmiers) du malade et de ses réactions aux modifications du traitement n'est pas praticable à domicile. Pendant les périodes "de crise", les proches habituellement ont attendu le plus longtemps possible, jusqu'à ne plus pouvoir "faire face" aux manifestations de l'affection de leur malade et alors devoir enfin se résigner à son hospitalisation. Ils sont alors épuisés physiquement et nerveusement, et vont peut-être pouvoir enfin bénéficier d'une période de répit.
Si, même pendant les "crises", le malade ne constitue que rarement un danger pour les autres (ce que, dans certains hôpitaux, certains psychiatres semblent parfois considérer comme un argument suffisant pour ne pas hospitaliser), l'hospitalisation constitue cependant une assurance contre les risques encourus par le malade lui-même, tels que, par exemple, la tentative de suicide ou les auto-mutilations (qui ne sont pas rares et qui, le plus souvent et quoi que certains en disent, ne sont pas vraiment prévisibles).
Les "rechutes" ou épisodes aigus sont les raisons les plus fréquentes de faire appel (en Belgique) aux services médicaux d'urgence les plus proches du domicile de la famille du malade ou encore, si celui-ci habite seul, à proximité de chez lui; ou encore, à défaut de place disponible dans l'hôpital le plus proche, on l'enverra là où on finira par trouver de la place. Il est donc fréquent que le malade soit amené à l'accueil ou à la garde d'un hôpital où personne ne connaît ses "antécédents psychiatriques" et ne dispose d'aucun renseignement sur le traitement qu'il suit ou qu'il devrait suivre (mais a abandonné). Si le malade est accompagné d'un des membres de sa famille qui est au courant de l'anamnèse et du traitement, ceci peut ne pas porter à conséquence, pour autant que l'équipe médicale psychiatrique locale veuille bien écouter ce que la famille lui dit, ce qui, malheureusement, est loin d'être systématiquement le cas. (ceci peut dépendre, entre autres impondérables, de l'âge et de l'expérience du "psy" de garde, voire de son humeur du moment et de l'heure du jour ou de la nuit...)
Jusqu'à présent, dans notre pays pourtant peu étendu géographiquement, la coordination des soins et de leur suivi entre institutions psychiatriques différentes qu'un malade aurait déjà successivement fréquentées ne semble pas avoir fait l'objet d'efforts très convaincants. Il peut donc arriver que les réhospitalisations de malades s'accompagnent d'interruptions ou de modifications intempestives de leurs traitements parfois longues et difficiles à faire corriger par la suite. A l'ère des "autoroutes de l'information", des "bases de données" électroniques et de la multiplication de fichiers électroniques de toutes sortes, alors qu'aussi nos "responsables" se targuent de vouloir mettre en place des "réseaux de soins" (dont ils ne semblent toutefois pas comprendre les impératifs ni, par conséquent, connaître les moyens nécessaires à leur mise en oeuvre), pareils accrocs à une bonne pratique thérapeutique sont inacceptables et doivent être vigoureusement dénoncés.
Une fois la "crise psychotique schizophrénique " apaisée en apparence et le traitement médicamenteux étant considéré comme "au point" 1 (les psychiatres parlent alors de "stabilisation" 2), les psychiatres de l'hôpital doivent, paraît-il, proposer au malade tout un éventail de "thérapies occupationnelles" (souvent regroupées sous l'appellation d'ergothérapie) censées le préparer à se réintégrer dans la vie à l'extérieur de l'hôpital.
L'assistance à l'extérieur, la question
du logement et, éventuellement celle d'un travail,
doivent avoir été évaluées quant à leur
disponibilité, leurs modalités et quant à la capacité
du malade à s'y conformer et à s'y adapter (estimer ses
capacités d'autonomie). Ces questions "pratiques"
très importantes doivent avoir été réglées
avant la sortie de l'hôpital (sinon, bien évidemment,
on ne fait que "relâcher" dans la nature quelqu'un dont,
d'avance, on devrait savoir qu'il court de grands risques de ne pouvoir
s'y débrouiller et que, fragile et laissé à lui-même,
il va rechuter très vite et s'exclure encore plus de la société).
Ces aspects pratiques supposent évidemment une collaboration étroite
entre les psychiatres traitants, le service social de l'hôpital (infirmières
sociales spécialisées), les éventuels "soignants",
fournisseurs et responsables d'hébergement qui prendront, à
la suite de l'hôpital, le relais de la "prise en charge"
à l'extérieur de l'hôpital ("extra muros"
[sic]). Malgré les affirmations idéologiquement optimistes
qu'on entend d'habitude à ce sujet ("the
empowerment" 3
ou "appropriation de ses droits"
par le malade considéré comme "capable
de se prendre en charge"), on ne doit pas trop compter
sur une collaboration active, spontanée et cohérente du malade
lui-même.
L'ensemble de ces aspects constitue ce qu'on appelle le "suivi des soins" 4, plus ou moins étroit selon le cas de chaque malade, et ce suivi, malgré son caractère absolument indispensable, semble ce qui, dans beaucoup de pays dont le notre, est le plus difficile à mettre en place de manière effective et durable.
Certains parlent, aujourd'hui encore, de "post-cure". C'est un terme qu'on employait surtout il y a quelques années, exprimant un voeu pieux qui résultait des représentations fausses que les professionnels de la "santé mentale" se faisaient des malades mentaux psychotiques et des traitements qu'ils devaient suivre (ou peut-être, c'étaient les idées rassurantes que, par une sorte de charité ou d'optimisme forcé, ils s'efforçaient de répandre et dont ils finissaient peut-être par se persuader eux-mêmes.)
En réalité, beaucoup pensaient (ou voulaient se persuader, ou laissaient croire?) que seuls les épisodes "aigus", c.-à-d. à signes "positifs", devaient être soignés "intensivement" (si on trouve encore cette affirmation et cet adjectif ou son adverbe stupidement employés sous la plume de nos administratifs et dans la bouche de nos politiques, n'oublions cependant pas que ces "décideurs" sont conseillés par nos psychiatres!), tandis qu'une fois que ces signes positifs étaient prétendument "jugulés", le traitement "intensif" pouvait faire place à un traitement d'entretien [sans doute] moins "intensif" (on peut se demander ce qu'on se représentait par là) et on pouvait préparer le malade, désormais présenté comme convalescent, à reprendre une vie et des activités aussi "normales" que celles de tout un chacun.
Cette préparation des soi-disant "convalescents" était présentée comme une transition 5 obligée entre, d'une part la maladie - "intensivement" soignée et "maîtrisée" (?) par traitement "intensif" à l'hôpital - et d'autre part la guérison (supposée?) et, à demi-mot, on faisait miroiter le retour à la vie "normale" qui devait suivre cette "post-cure".
Ce qui précède montre bien que nos experts en "santé mentale", qu'ils soient psychiatres ou "responsables" de santé publique, ignoraient, délibérément ou non, la persistance des signes négatifs des schizophrénies (et cette attitude persiste toujours, elle aussi). Or, ce sont précisément ces signes-là qui, avec l'anosognosie, constituent l'obstacle le plus important à la plupart des tentatives de "réinsertion", de "re-socialisation", de "réhabilitation" (sic), de "rééducation", qu'on prétendait mettre en oeuvre pendant cette "post-cure": dans des centres et hôpitaux de jour et autres lieux d'accueil et de "formation".
Les "lieux d'accueil" intermédiaires entre l'hôpital et la "vie normale" ont souvent été imaginés pour des patients théoriques et par des théoriciens plutôt dogmatiques éloignés des réalités, bien plus que pensés pour les malades tels qu'ils sont au sortir de l'hôpital, et ils sont de toutes façons restés bien trop rares chez nous. De plus, aucune des institutions qui existent ne dispose ni des moyens matériels, ni du personnel en nombre suffisant, hautement spécialisé et bien formé qui serait nécessaire pour, d'une part évaluer les déficits cognitifs et autres de chaque malade individuellement et, d'autre part, pour mettre en oeuvre des méthodes psychopédagogiques permettant de peut-être les pallier de la seule façon qui ait un sens et, peut-être, une utilité: au cas par cas.
"Post-cure" et réinsertion, si on veut y croire, si on veut se donner une chance d'en réussir au moins quelques unes , doivent évidemment être entreprises et menées de telle sorte qu'elles soient, au moins en fait et pas seulement en principe ou en apparence, effectives et ne se bornent pas à des effets d'annonce (c.-à-d. qu'elles ne soient pas que virtuelles ou seulement de vagues intentions). Les conditions pratiques de leur réussite éventuelle sont, principalement, un encadrement véritable des malades, plus ou moins permanent, plus ou moins "étroit" tenant compte de la gravité variable des déficits résiduels de chacun, par des "soignants" au rôle à la fois de tuteur, d'infirmier, d'accompagnateur, d'éducateur et enseignant spécialisé.
Cet encadrement d'accompagnement devrait avoir pour but d'aider les malades à s'adapter progressivement, "en douceur", aux contraintes de la vie dans la société, en leur évitant de commettre les multiples erreurs - petites ou grandes - que notre société ne pardonne pas longtemps aux personnes, qu'elles soient "malades" ou non, mais que les malades, eux, ne peuvent s'empêcher de commettre très involontairement ou "inconsciemment". Ceci correspond à un apprentissage analogue à des "travaux dirigés" qui, compte tenu des handicaps dûs à la maladie, peut durer fort longtemps, voire ne jamais aboutir. C'est-à-dire que, même si les tâches à accomplir semblent être obtenues quand l'accompagnateur est présent (apprentissage apparemment réussi), en l'absence de "moniteur" permanent, le côté éphémère de cet apprentissage se révèle assez rapidement.
On doit aussi rappeler ici ce que nos "professionnels de la santé mentale" préfèrent habituellement oublier et ignorer: quoiqu'ils proclament très généralement s'y employer, PERSONNE (et eux non plus!) ne sait encore comment combattre et surmonter, d'abord l'anosognosie (l'absence de conscience d'être "malade") des malades schizophrènes, ensuite leur apparent déficit de motivation durable pour un objectif lointain, c.-à-d. qui ne serait pas immédiatement accessible (souvent, si les différentes étapes d'un processus à apprendre et à suivre pour atteindre un objectif désiré sont trop nombreuses et de prime abord éloignées du but final, soit ils tentent de sauter les étapes et ne peuvent alors qu'échouer, soit ils oublient l'objectif "en cours de route").
Les conditions requises pour qu'une "post-cure" et une réinsertion réussies soient possibles ne font pas, chez nous, de la part de nos autorités et responsables politiques, l'objet de tentatives sérieuses pour les remplir, vraisemblablement parce que personne n'est prêt à consentir les importants efforts budgétaires que, de toute évidence, ces conditions impliquent. Par conséquent, la sortie de l'hôpital est très souvent suivie, à plus ou moins brève échéance, d'une nouvelle hospitalisation obligée qui ne fait que compromettre un peu plus les possibilités de future "réinsertion" 6.